42.

— Tu feras une mère formidable, plus tard, dit Matt sur le ton de la plaisanterie.

Ils étaient de nouveau dans le sous-sol chez Caitlin. Comme promis, Matt était passé chez elle après la fin des cours, et elle venait de l’aider à nettoyer après qu’il eut renversé son verre de Pepsi. Elle avait l’impression d’être assignée à résidence – même si c’était pour sa propre protection.

Elle sourit et reposa le torchon qu’elle était allée chercher, mais… Mieux valait régler cette question tout de suite.

— Je n’aurai jamais d’enfants, dit-elle en se rasseyant dans son fauteuil (et en maudissant une fois de plus ses parents de ne pas avoir installé un canapé dans cette pièce…)

— Oh ! fit Matt. Excuse-moi. Est-ce que… heu… c’est le même problème que ce qui t’a rendue aveugle ?

Elle fut très surprise – mais elle n’aurait pas dû l’être. Hormis les cas d’accident, la cécité chez des gens jeunes était généralement liée à d’autres problèmes. En fait, lorsqu’elle était à l’Institut texan, elle avait rencontré beaucoup d’autres élèves affligés de handicaps mentaux en plus de leur handicap visuel.

— Eh bien, dit-elle, pour commencer, ma cécité était causée par ce qu’on appelle le syndrome de Tomasevic, qui affecte uniquement la façon dont la rétine codifie les informations. Et ensuite, ce n’est pas que je ne peux pas avoir d’enfants, c’est que je n’en veux pas.

Une fois de plus, Caitlin aurait bien aimé avoir plus d’expérience pour déchiffrer les expressions du visage. Celle de Matt en était une qu’elle n’avait encore jamais vue : un côté de la bouche plissé vers le bas, l’autre vers le haut, et les sourcils froncés. Elle pouvait signifier n’importe quoi. Au bout d’un moment, Matt dit :

— Tu n’aimes pas les enfants ?

— Oh, si, dit-elle, je les aime. C’est juste que je ne pourrais pas en manger un tout entier.

Ah, mais cette expression-là, elle la connaissait : Matt était bouche bée…

— Non, je blague, fit-elle. J’adore les enfants. Quand j’étais à Austin, j’aidais Stacy à faire du baby-sitting.

— Mais tu n’en veux pas à toi, c’est ça ?

— C’est ça.

Et là, il haussa les sourcils.

— Pourquoi pas ?

— Je n’en ai jamais eu envie. Même toute petite, ça ne m’a jamais tentée.

— Tu ne jouais pas à la poupée ?

Caitlin avait encore cette poupée Barbie ridicule que sa cousine Megan lui avait offerte pour rire, celle qui disait : « Ah, les maths, qu’est-ce que c’est dur ! »

— Si, bien sûr. Mais ça n’est pas pour autant que je voulais être une maman.

Matt resta silencieux, et Caitlin commença à se sentir nerveuse. Bon sang, ça ne faisait que quelques jours qu’ils étaient ensemble – c’était quand même beaucoup trop tôt pour se soucier de ce genre de choses ! Mais si Matt trouvait ça rédhibitoire…

Elle s’efforça de prendre un ton posé, pour éviter toute polémique.

— J’ai déjà eu cette discussion avec Bashira, tu sais. Elle m’a dit : « Comment peux-tu ne pas vouloir d’enfants ? », et aussi « Tu ne crois pas que tu es un peu égoïste ? », et encore « Qui va s’occuper de toi quand tu seras vieille ? » Matt se cala dans son fauteuil.

— Et alors ?

— Eh bien, je ne veux pas d’enfants, c’est tout. Je ne sais pas pourquoi. Et non, je ne suis pas égoïste. (Elle réfléchit un instant.) Est-ce que tu as déjà lu des bouquins de Richard Dawkins ?

— J’ai lu Pour en finir avec Dieu.

— Oui, il n’est pas mal, celui-là. Mais son livre le plus célèbre est Le Gène égoïste. Et c’est ça, son argument : les gènes sont égoïstes, parce que tout ce qu’ils veulent, c’est se reproduire. C’est très égoïste de vouloir se reproduire, au sens propre du terme : on cherche à fabriquer des copies conformes de soi-même, ou du moins aussi fidèles que possible étant donné notre, hem, méthode de reproduction.

Matt détourna les yeux et fit simplement :

— Ah…

— Et pour ce qui est de « qui va s’occuper de moi quand je serai vieille », alors là, difficile d’imaginer plus égoïste que de vouloir un enfant uniquement pour qu’il fasse quelque chose pour vous. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas en avoir carrément un pour récupérer ses organes et pouvoir vivre plus longtemps ? Après tout, il y a de bonnes chances pour que les tissus soient compatibles.

— Beurk, fit Matt. Caitlin sourit.

— Oui, exactement.

— Mais, heu, puisqu’on parle de gènes et tout ça, c’est quand même intéressant que tu ne veuilles pas d’enfants. Comment expliquer, hem…

— Tu veux dire, comment l’évolution peut-elle préserver une disposition à ne pas avoir d’enfants, c’est ça ?

— Tout à fait, dit Matt. Au fond, si tu es ici en ce moment, c’est bien parce que chacun de tes ancêtres a voulu avoir des enfants, non ?

Caitlin se sentit très embarrassée. Elle avait la réponse à ça, naturellement, et n’avait eu aucun mal à la formuler quand elle en avait discuté avec Bashira, mais là, maintenant…

Elle respira un grand coup et évita de regarder Matt dans les yeux.

— En réalité, le fait d’avoir des enfants n’est qu’un effet secondaire. Si je suis ici, c’est parce que chacun de mes ancêtres aimait bien faire l’amour.

Même sans regarder Matt directement, elle réussit à percevoir une autre expression qu’elle connaissait bien, maintenant : celle du lapin pris dans les phares.

— Ah… fit-il encore.

Il semblait vraiment très gêné, et il se dépêcha de changer de sujet.

— Alors, heu, qu’est-ce que tu penses des prochaines élections américaines ?

Caitlin secoua doucement la tête. Elle avait encore du pain sur la planche… Elle rapprocha un peu son fauteuil de sorte que, maintenant, leurs genoux se touchaient.

— J’espère bien que le Président sera réélu, dit-elle. Mes parents ont fait le nécessaire pour pouvoir voter par correspondance.

— Ils ont droit de voter depuis le Canada ?

— Oui, bien sûr. Leurs bulletins seront décomptés pour Austin, leur dernière adresse aux États-Unis.

— Est-ce que… heu, vous comptez rester au Canada, ou bien est-ce que le poste de ton père n’est que temporaire ?

Caitlin sourit.

— Tant qu’il ne pousse pas le professeur Hawking dans l’escalier, il peut rester ici aussi longtemps qu’il voudra. En fait, il parle déjà d’adopter la nationalité canadienne. Il doit se rendre à de nombreuses conférences dans le monde, et il y a des endroits où il vaut mieux ne pas être américain…

C’était vraiment gênant d’être assis face à face comme ça. Voyons, Matt ne devait pas peser plus de soixante kilos, et elle-même en pesait cinquante… et ces fauteuils avaient résisté au poids du Dr Kuroda, qui dépassait certainement les cent dix… Elle se leva de son fauteuil qu’elle repoussa du pied, et elle dit en haussant les sourcils :

— Ça ne t’ennuie pas ? Matt sourit.

— Heu, non, non, pas du tout.

Elle s’assit sur ses genoux et il lui passa les bras autour de la taille. Les ressorts hydrauliques du fauteuil s’affaissèrent légèrement sous leur poids.

Ils s’embrassèrent un moment, et elle remua un peu les fesses pour trouver une position plus confortable, et…

Tiens, tiens ! Mais oui, un pénis, ça faisait vraiment ça !

Matt sembla un peu gêné…

— Heu, alors, comme ça, c’est la dernière fois qu’il pourra voter aux présidentielles ?

— Qui donc ? Mon père ?

— Oui.

Caitlin caressa les cheveux blonds de Matt.

— Non, pas du tout. Il va avoir la double nationalité.

— Je croyais que c’était interdit aux États-Unis.

— Autrefois, c’était vrai, à moins d’être né comme ça – et c’était assez difficile de remplir les conditions. Mais bon, ils ont fini par céder aux pressions internationales, et maintenant, c’est autorisé. En fait, ça l’est déjà depuis quelques dizaines d’années.

— Ah… fit Matt.

Mais il y avait comme de l’hésitation dans sa voix.

— Oui ?

— Non, rien.

Caitlin l’embrassa sur le bout du nez.

— Mais si, dit-elle, vas-y.

— Bon, c’est juste que, tu sais, on devrait être seulement l’un ou l’autre, canadien ou américain.

— Oh, moi, je trouve que la double nationalité, c’est vraiment très bien. C’est, comment dire… c’est antidarwinien.

— Ah… Heu, je sais que tu viens du Texas, mais, hem…

Elle lui donna une pichenette sur l’épaule.

— On n’est pas tous des péquenauds, Matt. Bien sûr que je crois à l’évolution. Mais…

— Oui ?

Le cœur de Caitlin se mit à battre encore plus fort que quand Matt était arrivé. Elle ressentit soudain la même impression que quand elle voyait quelque chose en maths, une chose qui lui semblait tout à coup manifestement et magnifiquement vraie. Elle se pencha un peu en arrière pour pouvoir regarder Matt dans les yeux.

— L’évolution – la sélection naturelle – n’est efficace que jusqu’à un certain point. Le problème de l’évolution, c’est tout ce dont Richard Dawkins parle : les gènes égoïstes, la sélection de parentèle. Quand on privilégie ceux qui sont génétiquement les plus proches de soi, au début, on est plus compétitif que ceux qui n’ont aucun lien de parenté. Mais cette attitude devient franchement contre-productive quand on passe à une civilisation technologique.

— Comment ça ?

— Tiens, par exemple, prends, heu… je ne sais pas, moi, disons une population de loups. Tous les loups se font concurrence pour accéder aux mêmes ressources, à la même nourriture. Alors, imaginons que tes proches et toi, vous soyez le groupe le plus nombreux, et que vous arriviez à chasser les autres loups loin des terres fertiles, ou à les empêcher de trouver des proies. Le résultat, c’est qu’ils meurent, et vous survivez. C’est le principe de l’évolution : les plus aptes survivent, et ça marche aussi longtemps que seule compte la supériorité numérique. Mais dès qu’on devient une espèce vraiment technologique, l’évolution ne fournit plus le bon… heu, quel est le mot, déjà ?

— Paradigme ? proposa Matt.

Elle l’embrassa pour le récompenser.

— Exactement ! Le bon paradigme ! Si vous êtes une centaine face à un seul de ceux que vous êtes en train d’éliminer, mais s’il a un pistolet-mitrailleur et pas vous, c’est lui qui gagne. Il vous extermine en quelques rafales.

— Ah, dit Matt avec un petit sourire taquin. Tu n’as pas de revolver sur toi, là, j’espère ?

Caitlin faillit lui dire que, si quelqu’un semblait avoir un revolver quelque part, c’était plutôt lui… mais elle répondit simplement :

— Non. Nous autres aveugles, on a tendance à préférer les grenades – pas besoin de savoir viser.

Matt la serra un peu plus fort.

— C’est bon à savoir.

— Mais en fait, c’est un point important. Il n’est pas nécessaire que ce soit des armes. N’importe quelle technologie qui te permet d’éliminer un grand nombre de tes concurrents suffit à changer toute l’équation de l’évolution. Et… ah, oui ! Voilà ! C’est pour ça que la conscience a été sélectionnée dans le processus évolutif. La conscience est utile à la survie parce qu’elle te permet de transcender ta programmation génétique. Au lieu de te contenter bêtement d’éliminer tous ceux qui ne sont pas comme toi – au point de les pousser à riposter avec leurs propres armes –, la conscience te permet de décider d’arrêter de les harceler. Elle nous permet de dire à nos gènes : « Hé, les gars, accordons aussi une chance à ce type qui n’est pas comme nous – parce que, comme ça, il n’éprouvera pas le besoin de nous attaquer pendant notre sommeil. » S’assurer que sa propre famille est prospère est un avantage seulement si ceux qui ne le sont pas ne risquent pas de venir te faire du mal.

Matt commençait à s’enhardir un peu. Il approcha ses lèvres de celles de Caitlin et l’embrassa. Puis il dit :

— Tout ça me paraît logique, effectivement. C’est vrai que les gens heureux s’adonnent rarement au terrorisme, et n’essaient pas de s’emparer des terres de leurs voisins.

— Exactement ! Pour faire ça, il n’y a que les désespérés, ou les oubliés, ou – je ne sais pas, moi – les envieux. En éliminant la pauvreté – en améliorant les conditions de vie à l’autre bout du monde –, on contribue à améliorer sa propre sécurité. Les gènes égoïstes seraient tout bonnement incapables de parvenir à cette conclusion, mais pour un esprit conscient, c’est… (elle réfléchit un instant, et elle eut un grand sourire)… d’une clarté aveuglante ! Matt l’embrassa encore avant de dire :

— J’ai lu un roman dans lequel on citait un scientifique du nom de Benjamin Libet. J’ai d’abord cru que c’était une invention de l’auteur, mais j’ai vérifié dans Google, et c’est effectivement vrai. Libet a remarqué que notre corps commence à faire les choses un cinquième de seconde avant que notre esprit prenne conscience de l’action. Tu comprends ? Le corps commence à agir inconsciemment. Ce n’est pas la conscience qui déclenche l’action, mais elle est capable d’y mettre son veto si elle l’estime dangereuse ou inappropriée.

— Non, vraiment ? dit Caitlin. Ah, j’ignorais complètement.

— Mais ça vient conforter ce que tu dis. Le rôle de la conscience est de nous empêcher de faire des choses que, sinon, nous ferions absolument sans réfléchir.

— C’est cool ! Et je crois vraiment que c’est ce qui se passe en ce moment. Le Dr Kuroda m’a dit que le Japon est gouverné selon ce qu’il appelle la « Constitution pacifiste », tu le savais, ça ?

— Non, fit Matt.

Elle se serra un peu plus contre lui, et il se mit à la caresser entre les omoplates.

— Il y a une différence énorme entre le Japon d’avant la Seconde Guerre mondiale et celui d’après, dit-elle. Avant, ils pensaient pouvoir conquérir le monde. Après, ils y ont tout simplement renoncé – ou plus précisément, peut-être, ils ont commencé à mettre leur veto à ce que leurs gènes égoïstes voulaient faire. Ils ont dit : « Plus jamais ça. » Il vaut mieux vivre et laisser vivre que de s’attaquer si brutalement au reste du monde que celui-ci décide de vous éliminer complètement. Matt hocha la tête d’un air entendu.

— J’imagine qu’on ne peut pas avoir reçu deux bombes atomiques sur la tête sans commencer à se dire qu’on devrait peut-être fiche la paix aux autres.

— Exactement ! dit Caitlin. Et regarde l’Union européenne : tous ces pays qui se sont fait la guerre pendant des siècles ont tout à coup décidé, eux aussi : « Plus jamais ça. » Es ont tout simplement cessé de laisser leurs gènes égoïstes dicter leur comportement. Des pays comme l’Espagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, la Belgique et tout le reste, ont décidé que, pour assurer leur survie, il valait mieux ignorer la sélection de parentèle et bien s’entendre avec tout le monde, et donc ne plus laisser leurs gènes égoïstes contrôler leurs actions.

— Hmm, fit Matt. (Sa main était un peu remontée, et il lui caressait maintenant la peau nue à la base de la nuque.) Je crois qu’on a quelque chose d’un peu analogue au Canada. Tu te souviens de l’enseigne du Tim Hortons ? Et celle de Wendy’s, où l’apostrophe est remplacée par une feuille d’érable ? Les Français et les Anglais de ce pays seront toujours – eh bien, l’expression consacrée est « deux solitudes », d’après un célèbre roman canadien sur ce thème.

Caitlin sourit, en pensant qu’un « célèbre roman canadien » constituait une sorte d’oxymore… Mais elle laissa Matt poursuivre.

— Au lieu d’essayer de les repousser ou de les combattre, nous – les Canadiens anglophones, je veux dire – nous leur avons dit, bon, qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? Et on l’a fait. Après tout, quelques apostrophes par-ci par-là, ça ne nous coûtait pas grand-chose…

Elle releva la tête.

— Je croyais qu’ils voulaient partir ?

— Qui ça ? Le Québec ?

— Oui.

— Partir pour aller où ? On ne peut pas déplacer le Québec, tu sais. Le séparatisme est mort – c’est comme d’être un supporteur des Leafs : on fait ça pour s’amuser, mais on sait bien qu’on ne gagnera jamais. (En souriant, il ajouta :) Je crois que nous aussi, les Canadiens, nous sommes devenus un peu plus adultes…

Caitlin l’embrassa encore une fois.

— Le monde entier est en train de devenir adulte.

— Mais pourquoi seulement maintenant ? dit Matt quand leurs lèvres se furent séparées. Cela fait des dizaines de milliers d’années que nous sommes conscients, non ? Alors, pourquoi maintenant ?

— Est-ce que tu as lu La Naissance de la conscience dans l’effondrement de l’esprit ?

— C’est un titre que tu viens juste d’inventer, dit Matt en souriant.

— Non, pas du tout. C’est le père de Bashira – le Dr Hameed – qui m’a conseillé de le lire, et c’était fabuleux. Bon, toujours est-il que l’auteur, Julian Jaynes, dit que cela ne fait que trois mille ans que nous sommes réellement devenus conscients, quand les deux hémisphères cérébraux ont commencé à penser comme un seul. Alors, nous venons peut-être seulement d’atteindre le stade où nous sommes capables de faire ça.

Elle ajusta sa position sur ses genoux et poursuivit :

— Ou c’est peut-être parce que ce n’est qu’au siècle dernier que des individus sont devenus capables de blesser ou de tuer un grand nombre de personnes, et que c’est seulement maintenant qu’il est logique de ne pas les mettre en colère. Après tout, nous parlons d’une décision consciente de coopérer plutôt que de se faire concurrence. Et au fait, c’est intéressant de voir que nous avons une expression comme ça, tu ne trouves pas ? Une « décision consciente » – comme si nous savions bien que la plupart des décisions ne le sont pas.

— Tu es géniale, dit Matt en souriant.

— Je suis sûre que tu dis ça à toutes les filles…

— Non, murmura-t-il, pas à toutes…

Elle éclata de rire et l’embrassa de nouveau. Leurs langues se caressèrent. Quand ils s’écartèrent enfin, elle dit :

— Bon, où est-ce qu’on en était ? Ah, oui… La double nationalité est une chose formidable – plus il y a d’endroits où on se sent chez soi, mieux c’est. Ah, qu’est-ce que je ne donnerais pas pour avoir un passeport européen ! Pouvoir vivre et travailler n’importe où là-bas : étudier à Oxford ou à la Sorbonne, travailler au CERN…

— Ah, ouais, fit Matt en lui caressant encore la nuque. Ce serait cool.

— Et tu as certainement remarqué que, cette fois-ci, le Président arbore toujours un drapeau américain à la boutonnière ? La dernière fois, il y a quatre ans, il n’en portait pas et il s’est fait descendre en flammes à cause de ça.

— Ah, oui, c’est vrai.

— Je sais bien qu’il est candidat à la réélection comme président des États-Unis, mais en pratique, cela revient à être le dirigeant du monde libre, n’est-ce pas ? Alors, qui sait ? Peut-être que dans quatre ans, nous aurons un candidat américain avec le drapeau des Nations unies au revers de sa veste. Ça, ce serait drôlement cool !

Elle était sur sa lancée, et elle se sentait merveilleusement bien.

— Et encore un autre truc. Imagine qu’à la naissance, chaque personne ait la double nationalité – le pays où elle est née, et un autre choisi au hasard. Voilà qui désamorcerait complètement les histoires de chauvinisme. Tu ne crois pas que ce serait formidable ?

Très prudemment, Matt fit :

— Eh bien, hem, je…

— Tu me trouves sans doute très naïve, hein, c’est ça ? (Elle se pencha de nouveau en arrière pour bien voir son visage.) Comme si je voyais le monde à travers un implant rétinien tout rose ?

Matt éclata de rire, et elle aussi. Il approcha son visage du sien, elle lui prit la tête entre les mains, et ils s’embrassèrent longuement.

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