25.

Caitlin avait eu l’occasion d’entendre sa mère utiliser l’expression « à somme non nulle ». Elle savait que c’était un terme de son domaine d’expertise, la théorie des jeux. Webmind avait déjà tout lu sur ce sujet dans Wikipédia, mais cela ne signifiait pas pour autant qu’il comprenait ce que signifiait ce « somme non nulle ». Honnêtement, Caitlin non plus, et pourtant, cette idée de jeux à somme non nulle lui était restée à l’esprit : des situations gagnant-gagnant dans lesquelles tout peut être amélioré.

Sa mère avait passé sa journée à bavarder avec Webmind pendant que Caitlin était au lycée. Une fois rentrée à la maison, et après avoir jeté un coup d’œil à ses e-mails, elle alla rejoindre sa mère dans son bureau et lui parla de cette malheureuse jeune Australienne qui s’était suicidée, et de la discussion qu’elle avait eue avec Webmind sur la nécessité d’intervenir dans des situations à somme non nulle.

Sa mère sembla horrifiée.

— Il a… il s’est contenté de la regarder ? Il n’a pas essayé de l’en empêcher ?

— Il ne savait pas quoi faire, ni quoi penser. Nous devons l’aider à comprendre ce qu’il devra faire la prochaine fois, pas seulement pour des suicides d’adolescentes mais aussi dans des situations à somme non nulle. Tu veux bien nous aider ?

Plusieurs expressions se succédèrent sur le visage de sa mère, pour finir par une de celles que Caitlin connaissait bien : celle de la supermaman qui prend les choses en main et à qui rien ne peut résister.

— Oui, je vais l’aider à apprendre à nous aider. Je tiens particulièrement à m’impliquer là-dedans.

— Merci. Mais, heu… je sais… enfin, nous savons ce que c’est qu’une somme non nulle. Ça, je comprends bien. Mais il doit y avoir bien plus que ça dans la théorie des jeux.

— Oh… oui, un petit peu plus, dit sa mère.

Caitlin commençait à percevoir l’importance – l’immensité – de ce qu’elle s’apprêtait à entreprendre.

— Alors, tu pourrais nous expliquer ? Je me souviens de t’avoir entendue dire que la théorie des jeux n’est pas seulement une question de mathématiques, mais qu’elle comporte aussi des aspects psychologiques.

— C’est vrai. En fait, la branche la plus passionnante en ce moment s’appelle la « théorie des jeux comportementale ».

— Eh bien, Webmind a certainement besoin de comprendre un peu mieux le comportement humain.

C’est ce que tout le monde me dit, fit Webmind.

— D’accord, dit sa mère. Allons en bas.

Elle prit un bloc et quelques stylos, et elles descendirent dans la salle à manger. Il y avait normalement une chaise de chaque côté de la grande table, mais la mère de Caitlin déplaça la sienne pour s’asseoir à côté d’elle.

— Webmind nous écoute, en ce moment ? demandât-elle.

Le mot Oui apparut devant Caitlin, et elle le répéta à voix haute.

— Bon, fit sa mère. Est-ce que tu connais le dilemme du prisonnier ?

Caitlin pensa aussitôt à : Comment faire pour ramasser le savon dans les douches ? Mais elle se contenta de répondre :

— Non.

Sa mère réfléchit un instant.

— Bon, allons-y comme ça : imagine que Bashira et toi, vous ayez de gros ennuis au lycée. Le proviseur, Mr Auerbach, pense que vous vous êtes introduites dans les systèmes informatiques pour modifier vos notes – exactement comme dans WarGames, tu vois ? Et il en discute avec chacune de vous séparément. À toi, il dit : « Bon, Caitlin, je dois avouer que je n’ai pas d’éléments suffisants pour prouver que c’est vous qui avez fait ça, mais je peux vous renvoyer toutes les deux une semaine tout simplement parce que… eh bien, parce que je suis le proviseur. »

Caitlin fit signe qu’elle comprenait, et sa mère poursuivit :

— Mais en fait, ce qu’il veut vraiment, c’est que ça ne se reproduise plus, donc il ajoute que, si tu dis que c’est Bashira qui l’a fait, et si tu expliques comment elle s’y est prise, tu t’en tireras sans punition – et Bashira écopera de trois semaines de renvoi. Ah, j’oubliais un petit détail : si tu dis que c’est Bashira la coupable, et si elle dit que c’est toi qui as fait le coup – autrement dit, si vous vous accusez mutuellement –, alors vous récolterez deux semaines de renvoi chacune. Tu as bien tout noté ? Tu peux t’en tirer sans renvoi, ou avec une semaine, deux semaines, ou trois semaines. Et tu sais qu’il va faire la même proposition à Bashira. Alors, qu’est-ce que tu décides ?

Caitlin n’hésita pas une seconde.

— Je reste muette comme une carpe. Je ne dis pas un mot.

— Mais si Bashira t’accuse, tu seras renvoyée trois semaines.

— Mais je sais bien qu’elle ne le fera pas, répondit Caitlin avec conviction.

Sa mère réfléchit.

— Bon, d’accord, d’accord, ne parlons plus de Bashira et toi. Disons qu’il s’agit de deux types au hasard… heu, Franck et Dale. Qu’est-ce que tu ferais si tu étais Franck ?

Caitlin se retint de sourire. Franck était le nom du premier mari de sa mère, qui n’était plus là depuis longtemps quand elle-même était née, et Dale était l’ancien directeur du département d’économie de l’université de Houston – avec qui sa mère avait été notoirement à couteaux tirés. Prendre deux noms au hasard était apparemment aussi difficile que de générer une série de nombres véritablement aléatoires… Mais le raisonnement mathématique était simple.

— Je dénonce Dale, dit Caitlin.

— Pourquoi ?

— C’est ce qu’il y a de mieux pour moi. S’il ne me dénonce pas, je ne suis pas punie au lieu d’en prendre pour une semaine. Et s’il me dénonce, je m’en tire pas mal quand même, parce que je suis renvoyée deux semaines au lieu des trois que j’aurais eues si je n’avais rien dit. Peu importe ce qu’il fait, je réduis ma punition d’une semaine en le caftant…

— Et Dale, lui ? Qu’est-ce qu’il devrait faire ? Caitlin fronça les sourcils.

— Ma foi, il a aussi intérêt à me cafter.

— Pourquoi ?

— Pour les mêmes raisons : quoi que je fasse, il gagne une semaine de punition en me dénonçant.

Sa mère sourit – sans que Caitlin puisse dire si c’était parce qu’elle avait répondu brillamment, ou bien si c’était à l’idée de voir Franck et Dale punis…

— Exactement, dit-elle. (Elle se mit à dessiner sur son bloc.) Si nous représentons graphiquement les deux décisions possibles de Franck – appelons-les « défection » et « coopération » – en ligne, et celles de Dale en colonne, nous obtenons ce qu’on appelle la matrice des gains : une table contenant les quatre résultats possibles, tu vois ? (Elle désigna un des carrés de la matrice.) Même si le meilleur résultat – seulement une semaine de punition – est obtenu quand les deux coopèrent, les maths disent que tous les deux doivent choisir la défection. Bien sûr, ça ne donne pas le meilleur résultat possible, mais c’est quand même le mieux que chaque joueur peut espérer, étant donné que l’autre va lui-même se comporter en égoïste. Caitlin fronça les sourcils. Si la théorie des jeux tournait autour de l’égoïsme des gens, ce n’était pas ça qui allait l’aider avec Webmind : ce qu’elle voulait, c’était un moyen de le faire agir de façon altruiste.

— Bon, reprit sa mère, là, c’est un jeu très simple : chaque joueur ne joue qu’une fois. Mais la plupart des jeux comportent plusieurs coups successifs. Prenons un billet de un dollar…

— On est au Canada, maintenant, dit Caitlin pour taquiner sa mère. Ça n’existe pas, les billets de un dollar.

Elle savait que les Canadiens ont une pièce de un dollar, qu’ils appellent un loonie (« dingue ») du nom du petit oiseau représenté sur une face. Elle savait aussi que la pièce de deux dollars s’appelait un toonie, jeu de mots sur le chiffre two, « deux ». Caitlin trouvait qu’il aurait été plus astucieux de l’appeler un doublon, à cause de « double loon », mais personne ne lui avait demandé son avis…

— Très bien, dit sa mère en souriant. Prenons donc une pièce de un dollar – et imaginons un groupe de gens dans une soirée. J’en ai fait l’expérience moi-même, et je t’assure que ça marche. Annonce que tu mets cette pièce aux enchères. Le plus offrant l’emportera, bien sûr, mais contrairement aux enchères normales, l’enchérisseur le précédant immédiatement devra également payer ce qu’il avait proposé – mais sans rien recevoir en échange. Tu me suis ?

Caitlin fit signe que oui.

— À ton avis, en moyenne, le dollar finit par se vendre à combien ?

— Je ne sais pas, moi. Cinquante cents ?

— Pas du tout. La moyenne est de 3,40 dollars.

— C’est de la folie !

— On peut même dire que c’est « loonie », répondit sa mère. Mais c’est vrai.

— Pourquoi les gens sont-ils prêts à miser si haut ?

— Eh bien, il faut se rappeler que le deuxième mieux placé doit payer, lui aussi, et donc…

Elle s’interrompit, attendant manifestement que Caitlin trouve la réponse toute seule.

C’est ce qu’elle essaya de faire. Le premier enchérisseur démarrait vraisemblablement à un cent – ce qui pourrait lui rapporter un bénéfice net de quatre-vingt-dix-neuf cents. Mais dès qu’un autre proposait deux cents, le premier se disait sans doute que ça valait la peine de monter à trois, ce qui lui permettait quand même d’espérer un bénéfice net de quatre-vingt-dix-sept cents.

Et ainsi de suite, jusqu’à ce que…

Ah !

Jusqu’à ce que quelqu’un en vienne à proposer quatre-vingt-dix-neuf cents – un bénéfice de un cent. Mais le plus offrant précédent, qui avait peut-être proposé quatre-vingt-dix-huit cents, risque maintenant de les perdre. Il monte donc à un dollar – comme ça, au moins, il s’en tire… Mais celui qui a misé quatre-vingt-dix-neuf cents se trouve confronté à un dilemme : s’il abandonne, il les laisse sur la table… ou alors il surenchérit, disons à 1,01 dollar – ce qui réduit ses pertes à un cent.

Et c’est ainsi qu’une escalade peut effectivement se produire, dans laquelle les enchères ne cessent d’augmenter jusqu’à ce que le côté absurde de la situation apparaisse enfin aux joueurs, qui arrêtent alors d’enchérir.

C’est ce que Caitlin expliqua à sa mère, qui l’encouragea d’un sourire.

— C’est bien ça, ma chérie. Et maintenant, d’après toi, quelle serait la stratégie optimale ? Et ne va pas tricher en demandant la réponse à Webmind.

Caitlin réfléchit une seconde avant de proposer :

— Je ferais une enchère initiale à quatre-vingt-dix-neuf cents. Les autres n’auraient aucune raison de surenchérir parce que, au mieux, en misant un cent de plus, ce serait pour eux une opération blanche, et s’ils misaient plus, ils commenceraient à perdre de l’argent. Je me retrouverais la seule à avoir enchéri, et je gagnerais de l’argent, même si ce n’est que un cent.

— C’est bien ça, dit encore sa mère, à condition que les autres soient des êtres rationnels et que leur seule motivation soit le profit. Mais voici justement où les mathématiques ne peuvent tenir compte de la réalité : il y a un élément psychologique que Webmind devra comprendre.

— Oui ?

— Imagine que ce soit ton pire ennemi qui vient de proposer quatre-vingt-dix-neuf cents. Tu pourrais monter aussitôt à 1,98 dollar, ce qui lui ferait perdre pratiquement un dollar – et toi, tu perdrais juste un tout petit peu moins que lui.

— Hou, fit Caitlin, c’est vicieux, ça.

— J’ai vu ce jeu prendre parfois une très mauvaise tournure. Des couples qui étaient venus ensemble, et qui repartaient séparément…

— Ah, bon, alors, j’ai une question pour toi, maman. Quel souhait ferais-tu si tu savais que ton pire ennemi va recevoir le double de ce que tu désires ?

— Hmm… Un million de… Non, je ne sais pas.

— Perdre un œil, répondit Caitlin.

— Ah, mon Dieu ! fit sa mère. Mais, heu, oui, c’est un bon exemple de ce que je veux dire : les gens peuvent évaluer les conséquences de différentes façons. Tu te souviens quand ton père t’a appris à jouer aux échecs ?

Ils avaient un échiquier spécial avec des caractères braille sur chaque pièce.

— Oui, bien sûr.

— Et tu te souviens comment il te laissait gagner ? Caitlin haussa les sourcils :

— Je te demande pardon ?

— Heu, ma chérie, il…

— Je blague, maman. Elle sourit.

— À ton avis, pourquoi te laissait-il gagner ?

— Je ne sais pas. Sans doute parce que, sinon, je n’aurais plus voulu jouer.

— Exactement. Pour ton père, le plus important n’était pas que ce soit lui qui gagne, mais toi. En d’autres termes, vous vouliez tous les deux la même chose, et même si cela lui coûtait – au sens de perdre la partie – de te laisser gagner, il était content que tu gagnes.

— Je comprends. Mais dans la mise en vente du dollar, les gens ne veulent plus jouer passé un certain stade. Et je suis sûre que ce n’est pas seulement l’absurdité de la situation qui les amène à s’arrêter. C’est aussi parce que ça devient ennuyeux. Même si on surenchérit à coups de dix cents au lieu de un, il faut quand même trente-quatre enchères pour arriver aux 3,40 dollars dont tu parlais. Mais si j’écrivais deux programmes pour simuler ce jeu, ils continueraient de jouer indéfiniment – parce que la seule façon de perdre est d’arrêter d’enchérir.

Caitlin s’arrêta un instant, puis elle fit un grand sourire :

— Ou encore, en repensant au film que j’ai regardé avec papa, le seul coup perdant est de ne pas continuer de jouer.

— C’est bien vu, dit sa mère. Alors, maintenant, peux-tu imaginer des exemples de ce jeu du dollar dans la vraie vie ?

Caitlin y réfléchissait justement quand Schrödinger traversa son champ de vision en se déplaçant dans un silence parfait.

— L’évolution, dit-elle.

— Oui, exactement ! Mais pourquoi ?

— L’évolution est une course aux armements, d’accord ? (Ils en avaient discuté en cours de biologie.) Les prédateurs ne cessent de devenir plus rapides et plus forts, ce qui fait que les proies doivent devenir à leur tour plus rapides et mieux à même de se défendre. Les gazelles ont développé la capacité de courir vite quand elles voient les lions faire la même chose. Le jeu n’en finit jamais – parce que le premier qui arrête de surenchérir… meurt.

Encore une fois, le seul coup perdant dans l’évolution est de ne pas jouer.

— Bingo ! fit sa mère.

— Mr Lockery – c’est mon prof de biologie – dit que, si les dinosaures revenaient sur terre aujourd’hui, nous n’aurions rien à craindre. Les chiens, les loups et les ours ne feraient qu’une bouchée des tyrannosaures. (Elle montra Schrödinger qui progressait à pas feutrés de l’autre côté de la pièce.) Les grands félins aussi. Ils sont plus rapides, plus puissants et plus intelligents que tout ce qui pouvait exister il y a soixante-dix millions d’années. Tout ne fait que s’améliorer, dans une escalade permanente.

— C’est bien ça, dit sa mère.

Caitlin la vit jeter un coup d’œil vers le salon – ah, elle regardait l’escalier qui menait aux chambres, là où était l’ordinateur de Caitlin, là où elles avaient discuté avec Webmind. Ses pouvoirs grandissaient, eux aussi, et pas seulement de génération en génération, comme dans l’évolution biologique, mais à chaque seconde qui passait. Caitlin se retourna vers sa mère, et vit encore quelque chose de nouveau : elle vit quelqu’un frissonner.


Quand Harl Marcuse avait déniché ce terrain pour y installer son institut, l’endroit lui avait paru idéal : une douzaine d’hectares de prairie avec un îlot artificiel au milieu d’un étang. Mais cela reposait sur l’hypothèse que Chobo allait être un singe coopératif. Son île n’était pas très grande, mais il pouvait facilement se tenir à distance d’un visiteur. Bien sûr, en s’y mettant à deux, on pouvait arriver à le coincer, mais un singe piégé et furieux n’est pas un très beau spectacle à voir…

Shoshana, Dillon et le Dr Marcuse étaient réunis dans la grande pièce du bungalow pour discuter de ce problème. Dillon était adossé au mur, Shoshana s’était installée devant l’ordinateur et Marcuse dans le grand fauteuil.

Sho eut soudain une idée.

— Bon, dit-elle, il ne veut pas nous parler, mais il acceptera peut-être de parler à un autre singe.

Marcuse haussa ses sourcils broussailleux.

— Vous pensez à Virgile ?

Virgile était un orang-outan. Chobo et lui avaient été les acteurs d’un événement historique le mois précédent : la première vidéoconférence interespèces.

— Effectivement, fit Dillon, il pourrait parler à Virgile. Mais est-ce que nous pouvons prendre le risque d’amener Chobo ici en ce moment ?

D’un grand geste, il désigna tout l’équipement fragile rassemblé dans la pièce.

— Bonne remarque, dit Marcuse. Et en plus, je doute qu’il vienne de son plein gré, et je n’ai pas envie d’être obligé de le tirer jusqu’ici. Installons un système de webcam pour lui dans le pavillon. (Et s’adressant à Shoshana :) Je n’ai toujours pas l’intention de parler à ce connard du Feehan. Voyez directement avec lui pour les détails.

Et Silverback sortit.

Shoshana échangea un regard avec Dillon, puis elle décrocha le téléphone et composa le numéro à Miami.

— Centre des primates Feehan, fit une voix d’homme teintée d’un léger accent hispanique.

— Salut, Juan. C’est Shoshana Glick à l’appareil.

— Shoshana ! Le vieux m’en veut toujours ?

Juan avait divulgué l’information sur la vidéoconférence des deux singes à un journaliste du New Scientist, déclenchant ainsi la série d’événements qui avait abouti à la demande du zoo de Géorgie de récupérer Chobo.

Sho fit pivoter son fauteuil et jeta un coup d’œil par la fenêtre.

— Eh bien, disons simplement que c’est une bonne chose que vous soyez à trois mille cinq cents kilomètres de lui.

— Je suis vraiment désolé, dit Juan.

Cela faisait près d’un an qu’elle avait rencontré Juan pour la dernière fois. C’était un homme d’une trentaine d’années, avec un visage mince, des pommettes hautes, et de longs cheveux noirs et brillants qu’elle lui enviait.

— Ne vous inquiétez pas, dit-elle. Moi, je ne suis pas fâchée après vous – et j’ai un service à vous demander.

— Oui ?

— Nous avons de gros problèmes avec Chobo. Il est devenu violent et asocial.

— Les chimpanzés, dit Juan sur ce ton qui signifie « Qu’est-ce qu’on peut y faire…»

— Si c’est simplement parce qu’il atteint sa maturité, il est possible que nous n’y puissions rien – mais il est quand même encore un peu jeune pour ça, et puis, bien sûr, c’est un singe très spécial, et… bon, c’est peut-être idiot, mais nous espérons le rendre de nouveau coopératif, en tout cas un peu plus. Il faut qu’il puisse se défendre tout seul si nous voulons éviter que… ma foi, vous savez.

— La Géorgie veut le faire castrer, hein, c’est ça ?

— Oui. Ce sont des barbares.

— D’un autre côté, ça le rendrait plus docile…

— Ce n’est pas ça qu’on cherche, bon sang !

— Je voulais simplement dire…

— Ne dites rien !

— Désolé, fit Juan. Heu, bon, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

— On s’est dit que, si on arrive à le faire parler à quelqu’un, il pourrait accepter de nous parler de nouveau.

— Son vieux copain Virgile ?

— Exactement. Chobo ne vient même plus quand on l’appelle, mais si on mettait en place une liaison permanente par webcam entre sa cabane et la pièce de Virgile, ils recommenceraient peut-être à bavarder ensemble.

— Virgile adorerait ça. Justement, il m’a demandé des nouvelles de Chobo, aujourd’hui. « Où ce singe à la banane ? Où ce singe qui parle ? »

— Parfait, parfait. Alors, on peut installer ça ?

— Oui, bien sûr, pas de problème, dit Juan. Mais n’oubliez pas de dire au vieux que je vous ai aidés, d’accord ?

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