46. LUNDI 7 MAI, 06 H 30


Stéphane jeta son fusain usé et en prit un nouveau. Une goutte de sueur s’écrasa sur son dessin, à proximité du Sig Sauer. Il redressa la tête, empoigna une bouteille de whisky et en avala plusieurs gorgées. Puis il se leva et la fracassa contre un mur. Là où, déjà, gisait un poste radio, en miettes lui aussi.

Darkland était devenu une pièce abandonnée, vidée de ses âmes, de ses figures, de sa vie. Les monstres se trouvaient regroupés dans un coin, recouverts de draps blancs, sauf Darkness. Une peinture rouge vif, étalée de façon grossière, couvrait presque tous les murs.

Stéphane s’approcha en titubant des quelques fragments de messages encore lisibles sous les coups de pinceau. « … cassette regardez… Parle-moi de l’enquê… tu ignores quand je rêve de toi, mais par pitié… »

— On a essayé, toi et moi, murmura-t-il. On a vraiment tenté le coup. Il s’en est fallu de si peu pour qu’on y arrive. Mais c’est ce si peu qui nous a manqué à chaque fois. Tout était si difficile à comprendre, et nous disposions de tellement peu de temps. Je t’aime mon ami. Si tu m’entends, je t’aime…

Stéphane se dirigea vers les mannequins et en ôta les draps, un à un. Il s’arrêta devant Darkness, le monstre au crâne ouvert. A bout de forces, il tira sur la petite tête présente à la place du cerveau. La boule de latex finit, arrachée, dans sa main.

— Tout est terminé à présent. Tu n’as jamais su m’aider. Et je n’ai jamais su te comprendre.

Lentement, il retourna vers le portrait qu’il avait commencé à dessiner. Sur la feuille, Sylvie avait les cheveux courts, les traits lisses et réguliers. Mais, progressivement, Stéphane rajouta des touches de fusain qui lui déformèrent le visage. Les yeux grossirent, le menton se tordit, les joues se comblèrent de bosses, de creux, jusqu’à devenir monstrueuses. Le crayon appuyait sur le papier, y abandonnant de grosses traînées difformes.

— Pourquoi ? Pourquoi ?

Stéphane laissa tomber son fusain, désespéré. Il posa son coude sur la table et s’allongea sur son bras. Et là, à quelques centimètres de son dessin, il se mit à pleurer, puis finit par s’endormir.


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