70. SAMEDI 12 MAI, 19 H 00
On frappa à la porte d’un réduit d’à peine six mètres carrés, aménagé en laboratoire photo et salle de montage vidéo.
— Je peux entrer ? demanda une voix féminine.
L’homme ôta son casque audio et se retourna brusquement. Son front se couvrit instantanément d’une pellicule de sueur.
— C’est fermé, je vais sortir. Deux minutes, d’accord ? Des photos sont en cours de développement.
Très rapidement, l’individu éjecta le DVD de son banc de montage et le rangea dans une boîte métallique qu’il ferma à clé. Puis il s’empara de trois films huit millimètres, de radiographies, de documents médicaux et fourra le tout dans un tiroir. Derrière lui, des photos noir et blanc de paysages et d’animaux étaient suspendues à un fil par des pinces, mais elles étaient déjà sèches depuis longtemps.
L’individu s’essuya le front avec le bas de son tee-shirt et s’approcha de la porte.
— Tu as éteint ? demanda-t-il.
— Oui, c’est bon.
Il déverrouilla, sortit et referma la porte derrière lui. Puis il s’approcha d’un interrupteur et alluma, dévoilant une vaste pièce, très haute, qui ressemblait à un vieil atelier, avec toutes sortes d’outils et du matériel de bricolage. Fer à souder, scies, haches, quincaillerie diverse. Il n’y avait aucune fenêtre, juste un escalier qui partait vers l’étage supérieur.
Il se retourna vers sa femme.
— Je t’ai déjà dit de ne pas venir me déranger ici.
Elle lui tendit des produits antiseptiques.
— Tiens, les voici.
Il ne la remercia pas. Il baissa son pantalon militaire, ôta une compresse et observa la large cicatrice dans sa chair, le long de sa cuisse gauche. Les quatre points de suture soigneusement réalisés n’avaient pas empêché une petite infection sur l’extrémité supérieure de la blessure. L’homme la nettoya avec soin, appliquant minutieusement un tampon imbibé de Bétadine.
— Tu aurais quand même dû aller à l’hôpital, lui reprocha sa femme, tu n’es pas médecin. Après une semaine, ça aurait dû cicatriser mieux que ça.
— J’ai déjà vu pire, non ?
Il plaça les pansements propres rapportés par son épouse dans une petite pochette en cuir, attachée à sa taille par une ceinture.
— Tu as reçu mes nouveaux kits de suture ? demanda-t-il.
— Pas encore.
Sa femme allait et venait, le regard soucieux.
— Je suis inquiète, avoua-t-elle. Tu te blesses de plus en plus, et c’est à chaque fois plus grave. Cette entaille-là aurait pu te tuer.
— C’est pour cette raison que les kits de suture existent.
— Mais imagine ! Imagine seulement que…
— Il n’y a rien à imaginer. Laisse-moi, à présent, j’ai du travail avec mes photos.
La femme voulut s’approcher, mais il tendit une main ouverte devant lui.
— Laisse-moi, j’ai dit.
Elle n’insista pas. Mieux valait en rester là.
A peine eut-elle disparu que l’homme partit s’enfermer dans son laboratoire. Il se fichait bien des photos, suspendues là depuis des jours sans que son idiote de femme s’en aperçoive.
Non, ce qui l’intéressait par-dessus tout, c’était le DVD.
Il le sortit de nouveau de sa boîte métallique et le glissa dans un lecteur.
Puis, il remit son casque, augmenta un peu le volume et fit défiler le film monté.
Sa langue courut sur ses lèvres.
Le film était splendide.