52. LUNDI 7 MAI, 21 H18


Il pleuvait. Le genre de pluie glaciale qui tombe drue, inonde la terre et fait se courber les fleurs. Stéphane était tourné vers l’entrée du cimetière de Lamorlaye. Il fixait la longue procession noire de costumes, de chapeaux et de parapluies qui s’engouffraient dans les véhicules avant de disparaître pour rejoindre la ville.

Stéphane se tenait là, immobile, les bras le long du corps, les poings serrés, tandis que le froid venait lui mordre les joues, les cheveux, la nuque.

— Tu vois, tout ceci n’a servi à rien, dit-il. Strictement à rien. Si seulement j’avais pu être plus clair, plus… Mais comment l’être avec toutes ces horreurs dans ma tête ? Avec tout ce qui s’est passé ? Comment rester sain d’esprit ?

Vic Marchal, costume noir, chemise blanche et cravate foncée, vint se positionner devant lui et l’abrita avec son large parapluie.

— Tu as fait le maximum. Tout est tellement… illogique. En quoi faut-il croire ?

Le regard perdu, il porta une cigarette à ses lèvres et l’alluma calmement. Les gouttes tambourinaient sur la toile, au-dessus de leurs têtes.

— On va le coincer, Stéphane. Je te garantis qu’on va choper ce salopard. On est tout prêt désormais.

— Ça ne changera rien. Elle est morte. Il l’a assassinée et rien ne la ramènera.

Stéphane caressa longuement son visage humide, en soupirant douloureusement.

— Le pire c’est que j’ai déjà fait ce rêve… Mon tout dernier cauchemar où je nous voyais là, tous les deux, devant la tombe, sous cette même averse, ces mêmes parapluies, ces mêmes personnes. Avec les mêmes fleurs qui ornaient la même tombe, la même couleur de marbre, les mêmes vases. Comment peut on savoir les choses si précisément et ne pas empêcher qu’elles arrivent ?

— Parce qu’il te manquait des éléments les plus importants. On ne peut reconstituer le puzzle sans en posséder toutes les pièces.

Lentement Stéphane se retourna vers la sépulture, recouverte de fleurs et de plaques. Il se baissa et ramassa les bouquets posés au sol, qu’il essaya de regrouper délicatement. Puis, avec peine, il caressa du dos de la main l’inscription gravée dans le marbre.

« Sylvie Kismet – 1974-2007 ».

— Dans le rêve, j’ai vu cet épitaphe. Je savais qu’elle allait mourir.

Il s’effondra à genoux.

— Pourquoi ? Pourquoi je n’ai pas réussi à te sauver ? Mon amour !

Et il pleura, pleura à s’étrangler, alors que la pluie tombait encore plus fort.

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