49. LUNDI 7 MAI, 12 H 23


Céline était allongée sur un lit d’hôpital, immobile, les traits empreints d’une profonde tristesse. Les néons plaquaient sur son visage des reflets tranchants. Le gynécologue se tenait à ses côtés.

— L’hystérotomie a dû nécessiter une anesthésie générale, détailla le docteur Sénéchal. Elle va mettre un peu de temps à se réveiller. Nous allons devoir la garder au moins jusqu’à jeudi… Un psychologue viendra vous parler, à tous les deux, dans la soirée.

Les larmes au bord des yeux, Vic caressait les cheveux de sa femme. Il se retourna et demanda au gynécologue-obstétricien :

— Expliquez-moi ce qu’il s’est passé.

Sénéchal raconta qu’une complication au sein du placenta s’était produite lors de l’examen. Un cas d’une extrême rareté qui avait provoqué une rupture prématurée de la poche des eaux.

Vic, moralement abattu, sombra dans un long mutisme. Les paroles de Stéphane Kismet résonnaient dans sa tête. Il déclara finalement :

— Je veux que vous fassiez quand même les examens du liquide amniotique.

— Mais… pourquoi ?

Vic fixa le médecin dans les yeux.

— Je veux savoir si mon enfant était trisomique ou non. Je veux savoir si… si l’on m’a dit la vérité.

— Qui cela ? Quelle vérité ?

— Je veux savoir.

Sénéchal lui accorda un regard compatissant.

— On ne peut pas revenir en arrière. Pourquoi chercher à souffrir inutilement ? Ceci est une blessure que vous devez panser le plus vite possible, avec votre épouse. On conseille souvent, dans ce cas, de…

Vic lui attrapa le poignet.

— Faites cela pour moi, je vous en prie.

Après quelques instants, le gynécologue lui répondit, la mine grave :

— Je vous appelle dès que j’aurai les résultats.

Vic embrassa Céline et posa une dernière question au médecin :

— Mon… Cet enfant… C’était un garçon ou une fille ?

— Un garçon. C’était un garçon.

Une fois hors de la chambre, Vic fonça aux toilettes et s’envoya de grandes giclées d’eau glaciale sur les pommettes. Comment tout ceci avait-il pu arriver si vite ? Dans quel état se réveillerait Céline ? Comment pourrait-elle supporter sa nouvelle vie à Paris désormais ? Et la chambre du bébé déjà préparée ? Et la poussette, les biberons, les petits bavoirs, les peluches ?

Dégoûté, à bout de forces, il attrapa sa boîte d’allumettes et se regarda dans le miroir. À quoi bon se fixer des limites, se discipliner alors qu’on pouvait mourir n’importe quand, n’importe où, même dans le ventre maternel, l’endroit le plus protégé, le plus sécurisant au monde ? Pourquoi se priver et se faire mal par l’abstinence, puisque quelqu’un d’autre décidait à notre place de la vie ou de la mort ? Des gens fument trois paquets par jour et meurent de vieillesse. Des jeunes en parfaite santé claquent d’un anévrisme au cerveau en faisant leurs devoirs. Des mômes crèvent dans des incendies. Qui décidait ? Pourquoi ?

Une fois dans le couloir, il s’empara de son portable et appela à Avignon. La mère de Céline… Elle s’effondra.

Elle allait prendre le TGV et monter à Paris dans la journée.

Puis, Vic retrouva Sénéchal et lui demanda :

— Quand ma femme va-t-elle se réveiller ?

— Oh… Elle en a encore pour cinq ou six heures, je pense. D’autant plus que le sommeil naturel va probablement prendre le relais. Elle était épuisée en arrivant ici. Depuis quand n’avait-elle pas dormi ?

Vic ne répondit qu’une dizaine de secondes plus tard, complètement ailleurs.

— Nous dormons très mal tous les deux en ce moment. Appelez-moi s’il y a le moindre problème.

— Vous ne restez pas ?

Le regard de Vic se troubla.

— Je dois voir quelqu’un. Un type extraordinaire.


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