62. JEUDI 10 MAI, 15 H 37
Quand Vic et Céline arrivèrent sur leur palier, ils eurent la désagréable surprise de voir un homme recroquevillé devant la porte de leur appartement. Lorsque Stéphane releva la tête, la jeune femme s’immobilisa, la main devant la bouche.
— C’est lui… C’est lui qui…
— Je sais, répliqua Vic, les sourcils froncés. Que fais-tu ici ?
Stéphane se redressa d’un coup, le regard fuyant, incapable de soutenir celui de Céline.
— Il… Il faut que je te parle. J’ai essayé d’appeler ton portable. Déchargé, encore. J’ai… J’ai une info très importante à te donner.
Instinctivement, Céline posa sa main sur son ventre. Ses yeux étaient encore ravagés par les larmes.
— Comment ? Comment vous avez su, pour le bébé ?
Stéphane se décida à la regarder enfin.
— Mes visions, vous vous rappelez ?
La jeune femme hocha doucement la tête.
— Vous auriez dû me croire, ajouta-t-il.
La gorge serrée, Céline s’empressa d’ouvrir la porte. Elle passa devant les biberons empaquetés, les tétines, le matériel de puériculture, et partit sans un mot s’enfermer dans sa chambre, tandis que Vic emmenait Stéphane dans le salon.
— Qu’est-ce que tu fais ici, bon sang ? Je rentre à peine de la gare. On vient juste de reconduire la mère de Céline et ma femme a besoin de moi !
— Tu me sers un verre ?
— Non. Encore une fois, qu’est-ce que tu fiches ici ?
— Je ne reste pas longtemps, il faut que je retourne chez moi, la famille de Sylvie arrive dans la journée. Tu dois me donner toutes les infos concernant les deux meurtres précédant celui de… de ma femme. Les photos, les noms, les adresses, les détails, tout !
— Écoute, je n’ai plus trop la tête à ça en ce moment. Je ne sais pas si…
— Fais-le ! Je t’ai confié mon carnet, mon intimité, je t’ai fait confiance ! À toi de faire pareil.
Vic le fixa étrangement. Stéphane paraissait beaucoup moins affecté que dans la matinée. Il était même curieusement excité.
— D’accord.
Vic revint avec une épaisse pochette de photocopies et la lui tendit.
— Prends-en soin. Qu’est-ce que tu mijotes ?
— Tu m’as dit que le tueur avait oublié un sac à dos et une boîte remplie de viande avariée, là où…
— C’est exact. Je n’en sais malheureusement pas plus, je retourne au boulot demain et je crois que ça va barder pour moi.
— Tu te rappelles mon rêve concernant la cassette vidéo ? Celui où toi et moi on voit l’assassin passer par un trou dans le grillage d’une usine, filmé par une caméra de surveillance ?
— J’ai cru lire cela dans ton carnet, oui. Je ne me souviens plus bien.
— Il portait un gros sac à dos. Sûrement celui que vous avez retrouvé chez moi, à côté de Sylvie.
Stéphane sortit une feuille pliée de sa poche.
— Je ne savais pas de quelle usine il s’agissait, mais maintenant, je sais.
— Tu plaisantes ?
— Il s’agit d’une usine d’équarrissage. Le tueur y a piqué sa viande avariée.
— Une usine de… Merde, ça semble logique.
— J’ai fait une recherche sur Internet de ce genre d’usine dans la région parisienne, et j’en ai trouvé quatre. Et en fouillant un peu plus, j’ai même déniché des photos, sur des blogs perso. Des habitants mécontents, en rage contre les odeurs insupportables. Des odeurs de cadavres d’animaux.
Stéphane déplia la feuille, imprimée en couleur, et la posa sur la table.
— Usine de Saint-Denis. C’est celle de mon rêve !
Il échangea avec Vic un regard complice.
— Tu es certain ? demanda le flic.
— Presque. Autant que je me souvienne, c’est celle-là qui correspond le mieux. La forme des bâtiments, des cheminées… Les autres sont trop différentes.
Vic se frotta le menton.
— Une usine… Il vole donc la viande dans une usine. Mais pourquoi ne pas la laisser tout simplement pourrir chez lui ?
— Tu pourrais le faire, toi, ici, dans ton appartement ? Sans attirer l’attention de ta femme ou de tes voisins ? J’ai senti l’odeur, c’était infect, ça imprégnait presque toute ma grande maison. Cette usine est vieillotte, il passe juste par un trou et se sert, il n’y a pas grand risque. La caméra qui l’a filmé semblait disposée de l’autre côté de la rue. Ce n’était peut-être même pas une caméra de l’usine d’équarrissage.
— Et donc ?
— J’ai besoin de toi, il faut que tu ailles là-bas maintenant, que tu enquêtes, que tu poses des questions. Tu peux retrouver la cassette, qui sait… Nous découvrirons peut-être des éléments nouveaux ? Tu es de la police, ils te recevront sur-le-champ. Moi, ils vont me jeter, direct. T’as vu ma tête de déterré ? Fais ça. Fais ça pour moi. Pour Sylvie.
Le flic jeta un œil vers la chambre.
— Je ne peux pas. Je… Je vais appeler les collègues, ils vont…
Stéphane secoua la tête.
— Non ! C’est toi qui dois le faire ! Si tu les mets sur le coup, les infos vont nous échapper, on… on ne maîtrisera plus rien. Tu ne disais pas qu’ils allaient te virer de l’affaire ? En plus, on se trouve piégés dans quelque chose d’improbable, d’illogique. Il n’est plus question d’enquête, de procédures, et tu le sais. Essaie seul, et s’il n’y a rien à en tirer, alors, dans ce cas, tu leur files le tuyau, d’accord ?
Vic prit le temps de la réflexion.
— OK, je fais juste l’aller-retour alors. Mais… un truc m’échappe encore. Si tu as fait le rêve de la cassette, c’est que…
— Je sais. Mon fameux coup de fil de cette nuit, depuis la brigade, a fait que le tueur a oublié sa boîte de viande. On pensait avoir modifié les événements, mais… j’ai rêvé voilà quatre jours de cette cassette, nous l’avions en main dans mon songe ! Cela signifie que nous sommes remontés vers cette usine d’équarrissage. Et que, pour remonter vers cette usine…
— Il nous fallait forcément la boîte de viande oubliée. Et donc, le coup de fil passé cette nuit. Ton Stéfur avait déjà fait exactement la même chose que toi. Merde… La boucle…
— On n’a rien changé du tout. Ce coup de fil était prévu par le destin depuis le début, comme le reste. Mais… Mais je veux continuer à penser qu’on peut modifier les choses. J’ai besoin d’y croire. Je veux me battre pour Sylvie. Pour sa mémoire.
Vic se massa les tempes.
— C’est dingue. Comment cela aurait-il pu être prévu ? C’est impossible !
— Si, malheureusement.
— Non, peut-être que… que sur la scène de crime, chez toi, mes collègues ont relevé des indices qui nous auraient menés à cette usine, même sans la boîte de viande oubliée. Peut-être qu’on est réellement en train de gagner du temps. Que le futur, tel que tu l’as rêvé, change vraiment.
— J’aimerais tellement te croire. Va à l’usine maintenant… Vas-y avant tes collègues. Toi et moi, on veut la même chose à présent : le tueur.