44.

Il était encore en vie.

Il était encore en vie et la déchirure qui grandissait dans son ventre décuplait l’infernale douleur.

Elles ne pouvaient pas être mortes. Pas elles.

Ses chéries.

David releva le front. Ses cheveux noirs, ses iris brillants contrastaient avec la maigreur blanche de sa poitrine. Nu, serré entre les cordes, il se sentait anéanti, vidé de sa substance.

— Noooon ! gémit-il d’une voix qui se brisa dans des vagues de sanglots.

Et, tandis que sa tête trop lourde tombait, que les larmes ruisselaient sur ses joues, que sa cheville le brûlait de douleur, son regard atterrit sur la table basse, ramenée juste devant lui.

Il faillit retomber inconscient.

Sous son crâne, toutes les victimes du Bourreau se mirent à hurler. Il vit leur sang se répandre, entendit leurs plaintes, leurs longs cris étouffés.

Ces horribles crimes, il les revécut un à un, comme s’ils avaient été enfermés en lui, depuis tout ce temps.

Leur souffrance devint la sienne.

Ses jambes se dérobèrent sous lui. Seules les cordes solidement enroulées autour de son torse l’empêchèrent de s’effondrer.

Il se dressait là, en face de lui.

Le Monstre, jailli d’entre les morts. L’âme du Mal.

Doffre, le Bourreau 125. Une seule et même personne.

— Noooon ! répéta David.

Le Bourreau 125 s’empara de la pochette de cuir posée au bord de la table et l’ouvrit délicatement. Avec une minutie extrême, il disposa les instruments tranchants devant la balance de Roberval, tous dans la même direction et parfaitement parallèles. Un scalpel, un bistouri, une paire de ciseaux, une tenaille et des pinces de manucure, de tailles variées. Sur la gauche, le cuivre de la plume de Maât brillait d’une lumière froide.

— Oh ! Mon Dieu ! Qu’est-ce que vous avez fait… Qu’est-ce que vous avez fait…

David répétait cette même phrase inlassablement. Il ne parvenait plus à réfléchir. Plus rien n’existait, plus rien ne s’ordonnait.

C’était inconcevable.

Le Bourreau se toucha le sexe et caressa le vase couleur chair.

— Il faut que ça dure, fit-il dans une grimace. Il faut que la jouissance se prolonge. Faire venir, puis laisser repartir. Appeler et repousser l’excitation, sans cesse, suivre le mouvement infini des marées.

Il rejeta la tête vers l’arrière et inspira profondément, avant de retrouver un visage plus détendu.

— C’est tellement difficile, ajouta-t-il. Une souffrance qui devient plaisir, un plaisir qui retourne à la souffrance la plus originelle. C’est pire qu’une drogue. Dix fois pire… Et dix fois meilleur.

David était incapable de prononcer un mot. Les images des maris mutilés tournoyaient dans sa tête, auxquelles se mêlaient les visages de sa femme et de sa fille. Il soufflait péniblement et essayait de remuer ses liens.

— J’aime percevoir cette terreur ! clama le tueur en s’approchant. Celle qui se reflète dans tous les regards. Cette même peur, intemporelle, inaltérable, qui remonte du fond des temps. Ton regard, ils l’ont tous eu avant de mourir. Oh, David ! La plus grande jouissance n’est pas dans l’acte final, mais dans tout ce qui mène à cet épilogue. La domination. La destruction. Ce moment où les victimes retournent au stade primitif, où elles redeviennent… des bêtes !

Sa main s’attardait sur les contours du vase.

— Il n’y a plus que cela qui m’aide à tenir, avoua Doffre en désignant l’objet rose. Sais-tu ce que je vois en ce vase ? Sais-tu ce qu’il représente pour moi ?

Il décocha un rire bestial.

— Un vagin ! Un vagin de pucelle ! Et ce bras de fauteuil roulant ? Et ces brocs en faïence ? Réponds, David ! Tu en es capable ! Toi, le spécialiste des tueurs en série !

— Bou… Bourne… bégaya le jeune homme.

— Ah ! Bourne ! Bourne, Bourne, Bourne…

Doffre laissa échapper un ignoble ricanement.

— Bourne n’aurait pas fait de mal à une mouche. C’était un pervers inactif, juste bon à fantasmer devant les rubriques nécrologiques ou les photos de chairs mortes. Ce goût morbide le torturait, il se dégoûtait lui-même… Et pourtant, chaque jour, il avait besoin de sa dose d’abject. C’était sa nature, sa personnalité, et il n’y avait aucune thérapie pour ça. Sauf la mienne. Ma thérapie. L’emmener là où il n’était jamais allé…

Il s’empara d’un scalpel et fit jouer la lame dans la lumière.

— Je l’ai aidé à plonger dans l’esprit du Bourreau, dans mon esprit. Je l’ai nourri de mes histoires, je l’aidais à se représenter les scènes de crime, à sentir l’odeur des chairs qui s’ouvrent sous le fil du bistouri. Je l’ai transporté dans l’univers du Bourreau exactement de la même façon que je l’ai fait avec toi. Il a transpiré, vibré, joui à sa place, à ma place. Je ne le guérissais pas, j’empirais son état ! Il devenait dépendant… dépendant de l’horreur.

— Mais… Mais pourquoi ? Je veux… comprendre…

— Pourquoi ? Pourquoi ! Mais parce que tout passait dans ses yeux ! Les meurtres, les cris, la douleur ! À chaque fois que je le rencontrais, avec sa frange parfaite, son strabisme, sa cicatrice, je l’imaginais découper les chairs, humilier les victimes ! Et il m’en parlait ! Il me parlait de tout ça au cabinet… Il allait même jusqu’à se frotter les doigts sur du papier de verre ! Il s’était procuré une balance et fabriqué une plume de cent vingt-cinq grammes, comme le Bourreau ! Et il racontait ce qu’il croyait vivre, et que moi je vivais réellement ! Il ravivait les braises ! Grâce à lui, j’agissais, sans cesse, même quand je ne tuais pas. Sans cesse… Nous formions le duo parfait…

D’un geste sec, il planta l’instrument dans le bois de la table.

— Et après l’accident, le Bourreau est mort… poursuivit David en secouant la tête. Et donc Bourne devait partir avec lui…

— Forcer Bourne à se suicider… Faire le deuil du Bourreau en lui inventant une histoire et un personnage… Le faire disparaître aux yeux du peuple, des médias… A mes yeux… Satisfaire la police, avec cette histoire de souffle au cœur… Donner un sens à ces numéros gravés sur les crânes, afin de clore l’affaire … J’ai rédigé toutes ces fiches d’analyse en deux nuits, et puis j’ai brûlé tout ce qui concernait le vrai Bourne, le petit obsédé sexuel. La police a tout gobé, même son voisinage l’a enfoncé. Ils étaient tellement pressés de classer le dossier ! De faire taire les grondements qui s’élevaient de la rue !

Il serra le poing.

— Oui, forcer Bourne à se supprimer ! Je devais chasser le Bourreau, l’éliminer ! Il ne devait plus exister ! Mais c’était impossible ! Il a toujours fait partie de moi ! Je suis ce qu’il est ! Je suis le Bourreau, même dans un fauteuil ! Le Bourreau ne pouvait pas mourir ! Il était invincible !

Plus aucune émotion dans les prunelles de Doffre. Aucune tristesse, aucune joie. Une froideur absolue.

— Il me fallait une raison de vivre. Il me fallait des objectifs. Dignes de ce que j’ai toujours été… Satisfaire les appétits du Bourreau, continuer à respirer, malgré Dolor…

— Alors… Alors, après que la DST vous… vous a forcé à disparaître, vous avez… repris votre activité de psychologue, de manière non officielle… Vous avez modelé des esprits malades… Vous… Vous avez agi non plus sur le terrain, mais… depuis votre fauteuil roulant… Combien ? Combien d’Emma, de Bourne avez-vous manipulés et détruits ? Combien ?

— Suffisamment pour avoir eu l’impression de continuer à marcher.

David était dévasté, tout tourbillonnait autour de lui.

— Vous les avez tuées… Vous avez tué ma famille… Ma femme… Mon enfant…

— Tu ne peux imaginer combien de personnes j’ai tuées. Ça va au-delà de tes capacités.

David éprouva ses liens à se faire saigner les poignets.

— Tu vas te blesser plus encore, ricana le Bourreau. Ce serait bien dommage.

— Alors tout… tout était faux… Les entomologistes, les carcasses…

Doffre hocha la tête avec délectation.

— Ce chalet m’appartient. Tu es dans un décor. Ta famille, Adeline et toi n’avez été que des jouets, des objets de désir, que je me suis procurés pour passer un bon moment.

Il désigna le mur du fond.

— C’est Christian qui a installé les carcasses, posé pour la photo… C’est lui qui a pénétré ici, qui a dépecé les lapins et placé la herse. Les entomologistes n’existent pas, il n’y a jamais eu de programme Schwein, ni de Franz. Et ces numéros, que tu étais si fier d’avoir découverts, sur le chêne, la photo, etc., ont été créés de toutes pièces. On a même coulé de l’argent dans l’inscription en haut de l’arbre ! Pour Christian, il s’agissait d’ordres, qu’il a exécutés, voilà tout. Pour moi… préparer tout cela… c’était comme une première mise à mort, une jouissance infinie ! Ce pauvre Christian est persuadé d’avoir mis un écrivain dans l’ambiance, afin que ce soi-disant écrivain ait une imagination plus fertile ! Puis il est tranquillement retourné chez moi, il n’est au courant de rien, il attend sagement le vingt-huit février… la fin de mes vacances…

Il rit grassement.

— Tu es un écrivain pitoyable ! Ton récit est archi nul ! Cette femme, qui s’enfuit dans la forêt, qui se cache sous un lit ! Que du cliché, du bas de gamme ! De la part des morts est une catastrophe ! Tu n’aurais jamais réussi à rien !

— Vous êtes…

— La seule chose de véridique, dans cette histoire, c’est l’amour qu’Emma ressent pour toi. C’est moi qui lui ai transmis ton livre, qui l’ai mise sur ta route, qui ai forgé Miss Hyde. Elle t’aime, David. Elle t’aime au point de te tuer. Au point de s’infliger des griffures, de se persuader qu’elle a été poursuivie par une Chose, de crever d’épuisement… Tout ça pour pouvoir se pâmer dans tes bras. Elle est allée jusqu’à déplacer ses meubles, pour que son lit soit orienté dans la même direction que le tien, pour se donner l’illusion que tu étais sans cesse à ses côtés. Tu es partout chez elle. Sur ses murs, en face de ses miroirs, elle a affiché des agrandissements d’articles parus sur toi, ça en devient ridicule, on ne te reconnaît même pas tellement la qualité est mauvaise ! Tu sais, elle a déjà envoyé trois types à l’hôpital et brisé les deux jambes d’un autre… à chaque fois en provoquant des accidents. Chute dans les escaliers, objets qui tombent, cachets dissimulés dans la nourriture avant qu’ils prennent la route… Et Dieu sait si elle les aimait, eux aussi ! Elle ne te lâchera pas ! Et crois-moi, tu l’as sacrément mise en colère !

— Vous n’avez… pas le droit !

— J’ai droit de vie et de mort ! Je me suis toujours servi, autant que je le voulais. Prendre la chair, quand j’en avais besoin. La chair humaine ! Le nirvana ! Qui pouvait m’en empêcher ? Le pouvoir, David ! Je possédais ! J’ordonnais ! Je dominais !

Il garda le silence une dizaine de secondes, loin, très loin d’ici.

— Nous y voilà enfin… soupira-t-il. C’est maintenant, David. Les années passent mais l’excitation reste, pareille à la douleur du membre fantôme… Je ne sais pas… Ça va au-delà de l’entendement…

— Vous… Vous ne pouvez pas faire ça… Arthur… Vous…

Doffre agita son index devant lui, dans un mouvement d’essuie-glace.

— C’est Emma qui va le faire. Ce sont toujours elles qui l’ont fait ! Tu ne peux pas imaginer de quoi les femmes sont capables pour ne pas mourir… Oh ! Et si tu avais pu voir leurs regards, quand je tenais leurs enfants dans mes bras ! C’est…

Il ne termina pas sa phrase. Il savourait.

— Ces enfants… fit David. Vous… devez me dire… Les numéros… sur leurs crânes… Que… Que représentent-ils ?

Arthur fit courir sa langue sur ses lèvres, fixant sa proie avec l’œil du prédateur.

— Il s’agissait bien des battements cardiaques. Dire que tu y étais presque, David. Tu y étais presque…

— Ces battements cardiaques… c’étaient les vôtres…

— Soixante-dix pulsations en moyenne, sur vingt-quatre heures, la première fois où j’ai agi. Puis soixante-huit, puis soixante-sept… Mon pouls n’a jamais dépassé les quatre-vingt-dix pulsations par minute quand j’ai exécuté les Böhme. Je maîtrisais tout ! Ma hargne, ma colère. Et je m’améliorais, à chaque fois ! J’approchais de la perfection…

Il se caressa le pantalon, les yeux au plafond.

— Et puis, graver ces chiffres c’était… c’était leur laisser ce que j’avais de plus précieux, alors que je leur prenais ce qu’ils avaient de plus cher. Mes pulsations cardiaques, contre leurs parents. Je gravais le sceau de mon organisme sur leur crâne, tandis que mes mains s’imprégnaient de leur sang. Ces bébés m’appartenaient ! Ils m’ont vu torturer leur père, assassiner leur mère ! Tu imagines ?

Il posa son index sur sa tempe.

— C’est imprimé dans leur subconscient ! J’existe dans leurs cauchemars, je sais qu’ils sentent encore, au plus profond d’eux-mêmes, la moiteur de la chambre quand le sang a giclé, et que des cris viennent les hanter, jour et nuit. Ces mêmes cris que tu entends en permanence…

David aurait voulu se recroqueviller dans un coin et se boucher les oreilles.

— Dumortier, Lefebvre, Potier, Pruvost, Cliquenois, Aubert, Böhme. Je connais chacun de ces enfants. Et eux aussi me connaissent… Je leur parle, de temps en temps… Il y a plus de vingt-cinq ans, je leur ai donné un peu de moi-même, de ma colère, de ma douleur. Ils ont ça dans leurs tripes. Eux l’ignorent, mais moi je le sais. Qu’y a-t-il de plus jouissif, de plus abouti que cette ultime prolongation de l’acte ?

Doffre dépassait tout ce que David avait pu concevoir en terme de sadisme. Sa cruauté s’était propagée dans les veines des enfants qui avaient grandi, évolué, mais qui avaient vu l’horreur et la gardaient en eux. L’impression de reconnaître un visage, sans l’avoir vraiment déjà croisé. Un sentiment de mal-être perpétuel. Des images sanglantes, les harcelant au fond de leur âme, sans qu’ils en comprennent la raison. Des êtres déréglés. Quelle avait pu être leur existence, après un tel drame ?

— C’est… C’est impensable… murmura David. Mon Dieu…

— La graine du Mal… J’ai planté en eux la graine du Mal qui, lentement, a germé…

Le Bourreau s’approcha et promena ses doigts sur les hanches nues.

— Tu sais ce qui m’a mis dans cet état ? Un accident de voiture, un stupide accident de voiture alors que… je venais d’assister à la crémation des Böhme ! J’étais tellement excité… un peu ailleurs, si tu veux, alors… je n’ai pas pu éviter la collision. … Ma voiture a été retrouvée en bouillie sur une berge du Rhin. Jambes broyées… Et tu connais la meilleure ? Quand les pompiers m’ont retrouvé, ma main droite avait été arrachée, et emportée par les flots ! C’était précisément sur la main droite que je me tranchais le bout des doigts, avec une lame de rasoir. La gauche, elle, portait toujours un gant en latex. S’ils avaient découvert cette main, ou si elle n’avait pas été arrachée, ils auraient pu se poser des questions à l’hôpital, enquêter et tout comprendre. Formidable ironie du sort, n’est-ce pas ?

David détourna la tête, tandis que Doffre le caressait.

— Ne me touchez pas ! Vous me répugnez. Vous n’êtes qu’une erreur ! Une triste erreur de la nature !

— Oh si ! Je vais te toucher, David Miller. Je vais te toucher, tout le temps qu’il faudra. Te toucher et te regarder mourir. Me délecter de votre douleur commune, pendant que son bras te charcutera et que son esprit t’adulera.

Il fixa l’arcade de David, de ses yeux infiniment noirs.

— Tu n’as donc toujours pas compris la raison de ta présence ici ?

David lui cracha à la figure. Doffre s’essuya calmement.

— Parce que tu te doutes bien que ce n’est pas pour tes capacités littéraires ?

— Arrêtez. Pitié…

— Tes parents t’ont-ils expliqué, pour cette cicatrice en boomerang ?

David agita la tête, soufflant très fort par le nez.

— Que t’ont-ils raconté ? Que tu t’étais cogné sur un coin de table en étant petit ? Ou que tu étais tombé sur un caillou ? Dis-moi David ! Dis-moi !

Pas de réponse. Arthur se déplaça jusqu’à la table basse, s’empara d’une tondeuse à cheveux et de deux miroirs.

— D’où crois-tu que vient ton goût pour ton métier exécrable ? Toutes ces images noires que tu extériorises par la plume ? D’où vient ta souffrance ? Et ces cauchemars ? Ces cauchemars innommables, qui ont cisaillé ta jeunesse ?

Il présenta la tondeuse dans sa paume ouverte.

— Cette blessure, c’est moi qui l’ai provoquée. Je t’ai laissé tomber, et tu as heurté l’un des plateaux de la balance de Roberval. Regarde le plateau, il est légèrement tordu. Oh, David ! Tu étais si petit !

David ne tenait plus debout. Les cordes s’enfonçaient dans sa chair.

— Vous… Vous dites n’importe quoi…

— Tes parents adoptifs ont tout fait pour te protéger, ils ne t’en ont bien évidemment jamais parlé. C’était une consigne des hautes instances. Une famille prête à tout plaquer et déménager souvent, pour garder l’enfant… Pour s’assurer que personne ne lui révélerait la vérité… Ils ont même modifié ta date de naissance de quelques jours, pour éviter qu’elle coïncide avec celle de l’enfant Aubert… Tu n’es même pas toi-même, David !

— Non… Ce n’est pas…

— Tu permets ? Baisse la tête. Tu vas savoir. Tu vas enfin connaître la vérité. Et t’apercevoir que ton destin, c’est moi qui l’ai tracé… Comme j’ai tracé celui de Brassart, l’ouvrier qui a assassiné sa femme et son fils, avant de se flinguer. Brassart… Il était si fragile… Je le vois encore, avec son revolver. Il m’a suffi de quelques rencontres… lui glisser les bonnes idées, au bon moment…

— Mon Dieu…

— Baisse la tête !

David fléchit les jambes et obtempéra. Les larmes affluèrent encore, coulant silencieuses sur ses joues. Doffre rasa l’arrière du crâne, au niveau de l’occiput, puis il posa le premier miroir sur ses jambes, et maintint l’autre derrière la tête de sa victime.

Des traces laiteuses, presque effacées, imprégnées dans sa chair. David plissa les paupières. 9… Puis, oui, ça ressemblait à un 7… Puis 8, 7, 8… 97878.

Le sixième enfant.

Le trou noir.

Il revint à lui en hurlant quand le Bourreau appuya sur sa cheville, provoquant des jaillissements de sang.

— Ne pars pas, David ! Ça n’est que le début ! Tu comprends mieux, à présent, pourquoi je suis venu te chercher, toi, et pas un autre ? J’étais déjà en toi, David ! Dans ta chair !

Il ricana encore.

— Mon cœur était quasiment au repos quand j’ai tiré une balle dans la tête de ton père, devant tes yeux. Tu me fixais avec une telle intensité ! Tu as tout mémorisé. On dit qu’à cet âge-là, les souvenirs ne persistent pas. J’ai l’intime conviction du contraire. Tout est précieusement stocké au fin fond de ton être… Et aujourd’hui, je vais revivre avec le fils ce que j’ai vécu avec les parents. Boucler la boucle, même si ta fille n’est plus là pour assurer la continuité. Oh ! J’aurais tant aimé planter la graine du Mal dans sa petite cervelle…

Il leva le bras en l’air.

— Vingt-sept années à attendre ce moment !

Il opéra une marche arrière, se saisit du fusil et se dirigea vers le couloir.

— Emma ! Viens me rejoindre ! Nous allons commencer !

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