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La police scientifique de Carrickfergus se présenta à l’aube dans l’entrée de la petite maison où attendait Lennon. L’équipe se consacra d’abord au cadavre de Quigley pendant que le photographe prenait d’autres clichés du garçon dans la courette, cette fois-ci à la lumière du jour. Lennon se posta à la fenêtre de la cuisine, les yeux secs et irrités. Bien qu’il fût rentré chez lui pendant près de deux heures, il n’avait pu trouver le sommeil.

Il regarda le corps du jeune garçon, son visage levé vers le ciel, à côté de la bâche qu’on avait tendue pour la nuit et qui venait d’être retirée. La cambrure de la nuque suggérait qu’il n’était pas mort du seul coup reçu à la tête. Dix-sept ou dix-huit ans, dix-neuf tout au plus. Il portait un survêtement et des chaussures de sport Nike, sans doute des imitations achetées dans un supermarché quelconque. A priori, un jeune du quartier qui délibérément n’avait pas de papiers sur lui, mais on ne mettrait pas longtemps à l’identifier. Une mère s’apercevrait que son fils n’avait pas dormi dans son lit, et lorsqu’elle entendrait parler du garçon découvert mort dans la cour d’une maison non loin de là, elle arriverait en courant. C’est Lennon qui l’accueillerait à la porte.

Le photographe revint dans la cuisine. Il montra l’écran de son appareil à Lennon et fit défiler les prises. « Regardez, dit-il. Là. »

L’image révélait un couteau dans la main que le garçon cachait sous sa jambe. Lennon jeta un coup d’œil par la fenêtre. Le corps dissimulait l’arme.

« Le meurtrier n’est pas allé loin, dit le photographe. Il a glissé et a fait une mauvaise chute.

— Peut-être. Il est couché sur le côté gauche, mais son dos et le côté droit aussi sont pleins de terre. Remarquez la position de sa tête. Il n’a pas pu se rompre le cou et se tourner ensuite.

— Allez savoir où il s’est sali.

— Laissons d’abord travailler les techniciens avant de supposer quoi que ce soit. Déposez vos tirages sur le bureau de l’inspecteur principal Gordon le plus tôt possible.

— Pas de problème. » Le photographe se dirigea vers le salon.

Lennon gagna la porte et examina la cour dans ses moindres détails, passant en revue chaque détritus, chaque flaque d’eau. Sur la mousse qui couvrait le béton d’un mince film verdâtre apparaissaient des traces de pas. Ce pouvait être les empreintes de n’importe qui. Celles de la vieille femme ou de son fils, du garçon, du médecin qui avait constaté le décès. La pluie avait commencé à tomber avant qu’on n’étende la bâche et noyé leurs contours. On n’en tirerait rien.

« C’est trop parfait », songea Lennon.

Son portable sonna. Il prit l’appel.

« On vient de découvrir quelque chose d’intéressant, dit Gordon.

— Ici aussi.

— Vous d’abord. »

Lennon lui parla du couteau décelé par le photographe.

« Alors, c’est réglé, fit Gordon. Presque.

— Presque ?

— D’après un rapport de l’agent de service à North Queen Street, des policiers sont intervenus dans une rixe entre deux bandes rivales à la jonction de Lower Ormeau et de Donegall Pass. Ils ont pourchassé les jeunes dans Lower Ormeau et en ont suivi deux qui s’engageaient dans la ruelle derrière chez Quigley. C’est là qu’ils les ont perdus.

— Ils ont pu les décrire ? demanda Lennon en s’écartant pour laisser passer l’équipe scientifique.

— Vaguement, mais ça devrait suffire. Sexe masculin, entre quinze et vingt ans, cheveux courts bruns, minces tous les deux, en survêtements et chaussures de sport, de marque Adidas et Nike pour le plus grand. Ça vous paraît coller ? »

Lennon regarda le corps du jeune garçon. « Oui.

— Cela dit, poursuivit Gordon, il y a des fans d’Adidas et de Nike partout dans le monde, et ici en particulier. Mais ce serait quand même une coïncidence.

— Une putain de coïncidence, oui.

— Surveillez votre langage, je vous prie. Bien sûr, cela signifie aussi… »

Lennon termina la phrase à sa place. « Qu’il y avait un autre jeune avec lui.

— Dès que le corps sera identifié, je veux qu’on interroge toutes les personnes qui connaissaient ce gamin, de près ou de loin. C’est clair ?

— Très clair.

— Bien. » Gordon raccrocha.

« Inspecteur », fit une voix derrière Lennon.

Il se retourna.

Un agent en uniforme passa la tête par la porte du salon. « On va avoir besoin de vous à l’entrée. »

Lennon traversa à sa suite le salon où les techniciens examinaient toujours le corps de Quigley, puis gagna la porte. Il était encore tôt et l’air frais annonçait l’automne. Un attroupement de femmes et d’enfants se pressait sur le trottoir pour tenter d’apercevoir le corps.

Devant le petit groupe, un policier barrait la route à une femme qui se distinguait des autres. Pieds nus, vêtue d’une robe de chambre enfilée à la hâte. Ses mains tremblaient lorsqu’elle regarda Lennon, bouche ouverte, les yeux emplis de crainte et d’espoir.

Lennon s’approcha.

« Je suis désolé », dit-il au moment où elle s’effondrait dans ses bras.

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