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Lennon appela Gordon sur sa ligne directe dès qu’il vit la porte au chambranle éclaté mais n’obtint aucune réponse. Il essaya encore trois fois, puis tenta de joindre l’accueil. Toujours rien. Il se serait peut-être demandé pourquoi, si l’état de la chambre d’hôtel n’avait représenté à ce moment-là un souci plus urgent. À nouveau, il fit le tour de la pièce, inspectant le lit, le fauteuil, le placard, la salle de bains exiguë.

Comme il s’y attendait, les membres du personnel ne montrèrent qu’une indifférence toute professionnelle. Ils avaient dû attendre l’accord du gérant afin de respecter la loi, mais celui-ci se trouvait en déplacement pour effectuer un stage de formation. Il arriva tout droit de l’aéroport pour conduire, en personne, Lennon et l’équipe d’agents de police qu’on lui avait attribués à la va-vite. Devant la porte enfoncée de la chambre, il se tourna vers Lennon : « Au moins, je n’ai pas besoin d’appeler la police », dit-il.

Lennon regarda les agents travailler. Porte forcée ou non, il était convaincu que l’exercice s’avérerait inutile ; jamais le suspect n’aurait laissé derrière lui quelque chose susceptible de le faire accuser. Il ne lui restait donc qu’à prendre son mal en patience en attendant que Gordon réponde à son message.

Fergal Connolly, un policier au visage rond et lisse, examinait le contenu d’un coffre de rangement posé au pied du lit : sweat-shirts à capuches de qualité médiocre, T-shirts et jeans, chaussettes, sous-vêtements. Tout était fourré dans des sacs à l’enseigne de Dunnes, Primark et Matalan. Le gars jetait ses habits en cours de route.

« Il est malin, ce salopard », dit Lennon.

La chambre était bien rangée, en tout cas avant le début de la fouille. Le suspect avait choisi un hôtel de bonne catégorie où l’on pouvait compter sur l’efficacité du personnel d’entretien. On ne trouverait même pas un cheveu dans le siphon, songea Lennon.

Il vérifia l’écran de son portable pour la dixième fois depuis son arrivée. Pas d’appel manqué ni de message. Il savait que Marie et Ellen ne risquaient rien, mais il ne parvenait pas à se débarrasser du nœud qui lui serrait le ventre.

À présent qu’ils avaient tout soulevé, tout retourné, tout ouvert, les trois agents de police arpentaient la chambre comme des moutons dans un enclos. Ils allaient bientôt se fouiller les uns les autres, pensa Lennon.

« Faites un dernier tour, ordonna-t-il à Connolly. Ensuite ramassez tout et remettez une serrure. Laissez quelqu’un sur place pour s’assurer que personne ne franchisse le seuil, compris ? Retrouvez-moi en bas dans un quart d’heure. Je veux parler à quelqu’un de l’accueil avant de partir. »

Il gagna l’ascenseur et appuya sur le bouton. Après un regard aux alentours, il sortit à nouveau le téléphone de sa poche, chercha le numéro de Marie. Devrait-il l’appeler ? Au risque de la réveiller si elle dormait, ce qu’il espérait pour elle ? Mais il serait rassuré. Marie aussi, de voir qu’il se faisait du souci au point de prendre des nouvelles. Il pressa la touche verte.

Marie répondit en soupirant. « Quoi ?

— Je voulais juste savoir comment ça allait.

— Je dormais, figure-toi. Maintenant, je suis réveillée. Ellen aussi. »

Il y eut un tintement au moment où les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Lennon entra dans la cabine, appuya sur R.d.C. La voix d’Ellen lui parvenait à l’oreille, toute de bâillements et de paroles ensommeillées. Les portes se refermèrent et il éprouva l’étrange légèreté qui accompagne la descente.

« Pardon, dit-il. C’était juste pour m’assurer que tout allait bien.

— Tout va bien, confirma Marie. Ça irait encore mieux si on dormait.

— Oui… Pardon.

— Tu l’as déjà dit. »

La communication s’interrompit. Les portes de l’ascenseur s’écartèrent sur le hall d’accueil. L’une des hôtesses avait été témoin des entrées et des sorties du suspect. Lennon l’entraîna dans un coin garni de fauteuils confortables. Son badge indiquait qu’elle se prénommait « Ania » et parlait polonais, lituanien, russe et anglais.

« Je ne l’ai pas vu très souvent, dit-elle d’une voix claire et volontairement sonore, avec un accent qu’atténuaient des années passées à Belfast. Il ne disait jamais bonjour. Il marchait toujours tête baissée et ne levait jamais les yeux. Mais une fois…

— Oui ?

— Par terre, juste après son passage… Il y avait quelque chose qui ressemblait à de la terre ou à de la boue. Une petite tache, de la taille d’une pièce d’un centime. J’ai pris un mouchoir en papier et je suis allée voir. Quand je l’ai essuyée, c’était rouge. C’était du sang. »

Son visage ne reflétait aucune émotion, comme si elle annonçait le tarif des chambres. Une ou deux semaines auparavant, Lennon aurait peut-être tenté sa chance. À présent, cette jeune femme à la beauté froide et dure ne le touchait pas.

« Et aujourd’hui ? On a demandé à ce que personne n’approche de la chambre. Est-ce que quelqu’un aurait pu monter sans qu’on le remarque ?

— Je n’ai vu personne. Mais il y a beaucoup d’allées et venues. Des gens qui assistent à une réunion, des hommes d’affaires, des représentants de commerce.

— Y a-t-il une autre entrée ? Un moyen d’accéder aux chambres sans passer par la réception ?

— Oui, par le parking. Mais il est fermé à clé. Sauf que…

— Sauf que, quoi ?

— Il y a une caméra au-dessus de l’entrée. Les employés de l’accueil ne sont pas censés faire ça, et je n’arrête pas de leur dire… Mais si une voiture approche, ils ouvrent parfois la porte sans regarder. C’est plus facile. Surtout que les clients n’aiment pas être obligés de descendre de voiture et d’aller à pied à la réception.

— Donc quelqu’un aurait pu… »

Avant qu’il n’ait le temps de terminer sa phrase, Lennon entendit le grésillement d’ondes radio derrière lui. Il se retourna. Connolly accourait dans le hall, pâle comme la mort.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Lennon en se levant.

Connolly dérapa sur le carrelage et faillit tomber. « Il faut qu’on y aille.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Connolly semblait sur le point de vomir. « C’est grave, dit-il. Vraiment grave. »

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