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Fegan était debout dans le salon, les bras le long du corps. De l’autre côté de la pièce, Ronan le regardait, balançant son inutile pistolet contre sa cuisse.

Fegan savait qu’en cinq pas il traverserait l’espace qui le séparait de lui avant qu’il n’ait le temps de réagir, et qu’il le désarmerait sans que Ronan ne puisse appuyer sur la détente. Mais après ? Mieux valait ne pas bouger et attendre.

Ils se tenaient ainsi depuis dix minutes maintenant ; pas un mot n’avait été échangé depuis l’entrée de Fegan. Il ferma les yeux et laissa son esprit se reposer. L’image d’un visage dans un journal jaillit en un brillant éclair dans sa conscience, mais disparut aussitôt, emportant l’odeur de la chair qui brûlait. La sueur lui vint au front. Son estomac se souleva. Un poids se déposa dans son ventre, dense, écœurant, insistant. Il déglutit, pris d’un froid qui le saisissait de la poitrine au bas-ventre, puis descendait le long de ses jambes et de ses mollets, jusqu’aux semelles de ses chaussures. Il frissonna comme un cheval qui s’ébroue de joie et d’épuisement.

Lorsque Fegan rouvrit les yeux, il vit Orla O’Kane à côté de la porte ouverte. Quelque chose passa sur son visage, que Fegan identifia aussitôt tel un frère perdu mais qu’on n’a pas oublié. La peur, douce et docile, la seule émotion qu’il reconnût de vue.

« Venez », dit-elle en baissant les yeux pour éviter son regard.

Ronan indiqua que Fegan devait suivre Orla jusqu’au grand vestibule. Fegan s’exécuta, heureux d’être en mouvement, heureux d’en finir. Le costaud ferma la porte et les rattrapa tandis qu’ils traversaient le hall et se dirigeaient vers l’escalier.

Le cœur de Fegan accéléra pendant l’ascension. L’escalier débouchait sur un balcon, puis se repliait sur lui-même en entourant un espace dominé par un plafond en vitrail. La lumière du matin qui filtrait par le verre colorait les murs d’orangés, de verts et de rouges. Parvenue au premier étage, Orla tourna à droite dans un couloir menant à l’aile est. Ronan agrippa l’épaule de Fegan pour le guider derrière elle.

Une demi-douzaine de pièces donnaient dans le couloir, mais Orla ne s’arrêta pas avant d’avoir atteint la double porte au fond. Elle ouvrit les battants en un geste ostentatoire et passa à l’intérieur. Fegan entra dans la chambre, où l’accueillit une sourde odeur d’excréments humains. Il s’immobilisa mais Ronan le poussa de l’avant. Fegan s’arrêta lorsqu’il posa le pied sur la fine bâche en plastique.

« Salut, Gerry », dit O’Kane, les lèvres entrouvertes en un sourire tordu.

Le Bull était assis dans un fauteuil roulant, une couverture remontée sur ses genoux jusqu’à hauteur du nombril. Le fauteuil, équipé d’un haut dossier et de roues de petite taille, ressemblait aux véhicules sur lesquels les brancardiers d’hôpital transportent les invalides dans des couloirs qui sentent l’antiseptique. La peau du Bull pendait sur son visage. Ses yeux brillaient d’un éclat trop vif dans les orbites sombres, ses joues étaient profondément creusées. Une bulle de salive luisait à l’un des coins de sa bouche.

Deux hommes se tenaient de chaque côté du fauteuil. Fegan en reconnut un. Ben O’Driscoll, qui avait écopé d’une courte peine à Maze pendant que lui-même tirait la sienne. Il avait des mains grasses et la stature d’un pugiliste, épais du torse, large d’épaules. Mais l’autre type, c’était autre chose. Beaucoup plus dangereux. Taille moyenne, fin et musclé, les yeux morts. Un tueur. Fegan le reconnut à son odeur, parmi toutes celles qui se mêlaient dans l’atmosphère. Il sut avec certitude que c’était l’homme dont Tom le barman avait parlé, celui qui rôdait dans Belfast depuis quelques jours.

À en juger par le volume de la pièce, Fegan devina qu’il devait s’agir d’une salle commune à l’usage des patients de la maison de retraite. Tous les meubles avaient été poussés à la hâte contre les murs. Des tables en formica, entassées à côté de sièges en vinyle, le tout surmonté de tableaux peignant la campagne autour de Drogheda. Il n’y avait rien au sol, hormis les six personnes debout sur le plastique qui recouvrait le parquet.

« Où sont Marie et Ellen ? demanda Fegan.

— Ne t’inquiète pas pour elles, répondit O’Kane.

— Moi contre elles.

— Ça, c’était le deal la dernière fois. » O’Kane hocha la tête. Puis il partit d’un rire aigu, haché. « Les choses ont tourné différemment, pas vrai ? Cette fois non plus, ça ne marchera pas. »

Orla s’approcha. Elle sortit un mouchoir en papier de sa manche et essuya la salive sur la bouche de son père. Il repoussa brutalement sa main.

« Papa, dit-elle en se penchant vers lui. Je n’ai pas envie de voir ça.

— Très bien, chérie. Sors, va te promener. Je t’appellerai quand ce sera fait. »

Orla évita le regard de Fegan en passant. Il entendit la double porte se refermer dans son dos, puis des pas qui s’éloignaient. Cinq personnes dans la pièce maintenant. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule en direction de Ronan qui se reposait contre le mur. Fegan nota la position de chacun. L’homme debout à la droite de O’Kane, le tueur, s’avança.

« Je voudrais te présenter un de mes amis, dit le Bull. Il meurt d’envie de faire ta connaissance. »

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