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C’est l’enfant qui vint le chercher, le Voyageur n’eut rien à faire. Debout derrière un pan du mur, il la vit s’approcher. Elle l’avait surveillé du coin de l’œil tout le temps qu’elle mangeait ses bonbons, assise en face du flic. Plus d’une fois, il ne put soutenir ce regard brillant, ces yeux qui savaient. Comme si elle voyait les choses horribles qui tournaient et se disputaient dans sa tête.

Voilà maintenant qu’elle arrivait, balançant sa poupée en plastique dont la nudité résonnait en lui comme un souvenir, quelque part derrière ses yeux. Il cligna des paupières pour bloquer sa mémoire. Une douleur fulgurante, telles des aiguilles de feu dans ses orbites, l’obligea à serrer les dents.

« Bonjour, dit-elle. Qu’est-ce que tu veux ? »

Le Voyageur la dévisagea fixement, sans savoir comment répondre à la question. Il regarda le flic horrifié qui tournait en rond sur lui-même.

« Tu connais Gerry ? » demanda la fillette.

Le Voyageur s’humecta la lèvre supérieure. « Oui. » Il lui prit la main. « Viens. »

Ils étaient parvenus à la moitié de l’escalier et se glissaient entre les patients et les membres du personnel quand quelqu’un appela : « Ellen » d’une voix faible, effrayée. Si l’enfant l’entendit, elle ne réagit pas.

Le Voyageur pressa le pas en la tirant derrière lui. « Par là », dit-il en indiquant la salle de Recueillement, qui faisait face à la boutique du rez-de-chaussée.

« Ellen ! »

Une voix plus forte maintenant, pas encore paniquée, mais avec un soupçon de colère.

La gamine résista et se retourna pour voir qui l’appelait. Le Voyageur la tira plus fort. Il scruta les visages autour de l’accueil. Comme personne ne se souciait d’eux, il fonça vers la porte de la salle de Recueillement et la poussa de l’épaule malgré la douleur. L’endroit était désert, peu éclairé. Il crut entendre de vagues chuchotements, mais une fois la porte refermée, le silence les engloutit.

Il serra la main d’Ellen qui essayait de se dégager. Sa propre respiration lui semblait étrangère dans le calme et la pénombre de la pièce. Il s’aperçut qu’il ne savait plus quoi faire.

La sueur lui picotait la peau, il avait la gorge sèche. L’enfant était venue le chercher, précisément lui. Quel idiot. Il n’avait jamais fait de bêtises de sa vie, ce n’était pas le moment de commencer. Impulsif, oui, il l’était parfois, mais jamais stupide. Pas comme maintenant. Tout ça parce que la gamine était venue à lui.

Une idée insolite, horrible, envahit soudain son esprit. Une idée qui s’imposa avec la clarté et l’évidence de la vérité. Il regarda l’enfant. Elle lui sourit. Aussitôt, il n’y eut plus aucun doute.

Il ne l’avait pas enlevée.

C’était elle qui le charmait.

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