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Fegan n’avait jamais trouvé cela difficile, sans jamais se demander pourquoi. Il agissait, tout simplement. Le reste suivait. Dès que l’attention de O’Kane fut détournée et le canon du Walther dévié, sentant que O’Driscoll desserrait sa prise, il se mit en mouvement.

Il passa les mains sous le fauteuil roulant et le souleva avec force. O’Kane réussit à tirer, mais la balle atteignit Ronan à la poitrine. O’Driscoll essaya d’empêcher la chute de O’Kane, au détriment de son propre équilibre. Profitant de ce que la bâche en plastique n’offrait aucun appui, Fegan lui faucha les jambes d’un coup dans les chevilles.

O’Kane tomba à la renverse puis roula sur le côté avec le fauteuil. Il poussa un cri quand sa jambe blessée heurta le sol, malgré la couverture qui l’enveloppait.

Fegan se releva avant que O’Driscoll n’eût le temps de se ressaisir. O’Kane tentait de se traîner vers le Walther. Fegan s’en empara le premier. Il y eut une détonation. Il sentit la chaleur de la balle lui frôler l’oreille, se retourna, lentement, calmement, et visa la tête de Ronan qui, allongé par terre, essayait de tirer une nouvelle fois. Le Walther accusa le recul dans la main de Fegan, et la tête de Ronan partit en arrière.

O’Driscoll rampa pour arracher le pistolet à la main sans vie de Ronan. Fegan lui logea deux balles dans le dos. O’Driscoll s’effondra sur les jambes de Ronan, les épaules secouées de convulsions. Fegan prit l’arme dans la main de Ronan, la glissa dans sa ceinture, et retourna auprès de O’Kane.

Le Bull le dévisageait fixement. Une bulle de salive s’était formée au coin de sa bouche. « Salopard, dit-il.

— Où sont-elles ?

— Va te faire foutre.

— Où sont-elles ?

— Va te faire foutre. T’as qu’à me tuer.

— Non. D’abord, dites-moi où elles sont.

— Va te faire foutre. »

La jambe gauche de O’Kane était étendue par terre, raide à l’endroit du genou. Fegan posa le pied juste au-dessus de l’articulation, là où la balle avait pénétré quelques mois auparavant, et appuya.

O’Kane hurla.

« Où sont-elles ?

— Va te faire foutre. »

Fegan pesa à nouveau de tout son poids sur le genou de O’Kane. Le bruit de la double porte qui s’ouvrait derrière lui le fit brusquement pivoter. Avant même qu’il eût conscience de son geste, le Walther était pointé et son doigt se raidissait sur la détente. Il entrevit à peine la peau brûlée et les cheveux roussis du Voyageur qui n’eut pas le temps de lever son arme et se jeta de côté. Le Walther manqua sa cible.

Fegan battit en retraite vers la porte située au fond de la pièce. Le Voyageur se ressaisit, le visa et tira. Au même instant, une poigne solide se referma autour de la cheville de Fegan. Il vacilla et se laissa tomber. La balle passa au-dessus de lui. Il atterrit sur le dos et se libéra de O’Kane toujours agrippé à sa cheville avec un coup de pied qui atteignit le vieil homme au front.

Le fauteuil roulant, retourné, séparait Fegan de la double porte devant laquelle le Voyageur s’était accroupi. Toujours sur le dos, Fegan recula vers le coin de la pièce, une main levée pour pointer le Walther. Le Voyageur voulut se redresser, Fegan fit feu. La balle manqua encore une fois sa cible. Fegan était un piètre tireur mais le Voyageur se recroquevilla sur lui-même.

Fegan se traîna jusqu’à ce que son dos heurte le mur. Il roula sur le flanc et abaissa la poignée de la porte. Le battant s’ouvrit vers l’extérieur. À nouveau, il tira en direction de la double porte pour maintenir le Voyageur à terre. La culasse vide du Walther se bloqua. À court de munitions, il jeta l’arme, se releva, passa d’un bond dans l’autre pièce et ferma la porte. Il se trouvait dans une petite cuisine équipée d’un évier, avec d’énormes bouilloires posées près d’une cuisinière et un réfrigérateur dont on entendait ronronner le moteur. Il sortit le revolver chromé de Ronan glissé dans sa ceinture et aligna le viseur sur la porte.

L’homme viendrait-il par ici, ou attaquerait-il par-derrière ? Apercevant une autre porte sur sa droite, Fegan se représenta mentalement le plan de la maison. La porte conduisait sans doute à une autre pièce, laquelle donnait aussi dans le couloir. Il s’approcha, tourna la poignée et pénétra dans un espace plus petit, avec des fauteuils confortables disposés en cercle autour de tables basses, le tout plongé dans l’obscurité à cause des volets en bois qui ne laissaient passer qu’un mince rai de lumière. Là encore, deux portes : l’une ouvrant sur le couloir, l’autre sur une pièce en enfilade. Il ne pouvait qu’aller de l’avant en évitant le couloir.

Alors qu’il se dirigeait vers la porte, quelque chose le retint. Il se figea. Une odeur de fumée lui parvenait, pas éloignée, une chaleur dans l’air, et une sorte de soupir mêlé de crépitements. De minces langues noires s’infiltraient par-dessus la porte qui menait au couloir.

« Ellen », dit-il.

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