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Tout devint rouge l’espace d’un instant, le temps que l’infirmière appuie un coton humide sur l’œil du Voyageur. La douleur flamba encore quelques secondes, et bientôt il ne resta plus qu’une pointe à vif sous le coton.

« On dirait un éclat de bois », dit l’infirmière. Il entendit le cliquetis des pinces qu’elle déposait sur un plateau métallique. « La cornée a été éraflée et la paupière est très infectée. Quand le saignement s’arrêtera, il faudra rincer votre œil et appliquer un peu de pommade antibiotique. »

Il ne les voyait pas, mais il sentait la présence des flics qui le surveillaient. Deux malabars, avec des visages taillés dans la pierre. Le genre de connards qui décidaient d’être flics juste pour pouvoir jouer les durs.

Son poignet droit était menotté au bord du lit, étroit et garni d’un mince matelas. Le bruit et l’agitation du couloir des urgences lui parvenaient par la porte ouverte. Sa main gauche reposait sur un oreiller. Son poignet le faisait souffrir, mais la douleur ne ressemblait pas aux élancements violents d’une fracture. Une entorse, probablement, et ce Lennon n’avait pas arrangé les choses. Avec en plus les battements lancinants derrière ses yeux, il se sentait l’envie de vomir. On lui avait fait une radio de la tête, du poignet, et quatre points de suture à la tempe. En le frappant juste au-dessous de l’endroit touché par le morceau de Kevlar, cette saleté de flic avait rouvert la blessure, ça pissait le sang. Un médecin allait arriver pour lire les clichés.

Quand l’infirmière changea le pansement de son épaule et demanda comment c’était arrivé, il répondit qu’il était tombé sur une aiguille à tricoter. Elle évita son regard. C’était un joli bout de fille. Plus agréable à regarder que les deux flics, en tout cas.

Elle lui nettoya l’œil avec un coton propre. Il y voyait plus clair maintenant. Le rideau en plastique s’ouvrit et le médecin entra, un dossier rouge sous le bras.

Lennon observait la scène, debout à la porte. Le Voyageur leva la tête et lui fit un sourire grimaçant. Agacé, Lennon se balança d’un pied sur l’autre.

« Recouchez-vous, dit le médecin.

— Du large. » Le Voyageur se redressa sur un coude en s’adressant à Lennon. Tant pis si son poignet lui faisait mal à hurler. « Vous et moi, on réglera ça plus tard. »

Lennon se détourna.

« Elle est pas vilaine, c’te Marie, lança le Voyageur dans son dos. Avant d’en finir, je vous laisserai regarder quand je la baiserai. »

L’infirmière fronça les sourcils d’un air réprobateur.

Les pas de Lennon s’éloignèrent dans le couloir. Le Voyageur cria encore : « Qu’est-ce que vous en dites ? Hein ?

— Recouchez-vous, ordonna le médecin. S’il vous plaît.

— Allez vous faire foutre. »

L’un des policiers s’avança, posa une main sur la poitrine du Voyageur et donna une forte poussée. Le Voyageur retomba sur le matelas, le souffle coupé. Il prit une grande inspiration puis cracha au visage du flic. Celui-ci leva le poing.

« Allez-y, dit le Voyageur. Essayez un peu, connard. »

Le policier secoua la tête et baissa lentement le poing. « Je te conseille de rester tranquille, sinon tu auras affaire à moi. Et je te ferai pas de cadeau. »

Le Voyageur rit. Il garda le sourire et se détendit, sans prêter attention ni à la douleur ni aux paroles du médecin qui lui manipulait la main. Détendu, les yeux au plafond, il n’émit pas un son.

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