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Le portable de Lennon sonnait à intervalles réguliers. Chaque fois, un numéro masqué. Il s’accrochait au volant et ne répondait pas. Les talus se succédaient, les ponts se brouillaient. Hewitt allait-il le dénoncer ? Demander à ses chefs de le rattraper, ainsi que ce fou de Gerry Fegan ? Raconterait-il que le trou dans sa jambe avait été fait par l’arme personnelle de Lennon ? Ou bien se tairait-il, par crainte de ce que Lennon savait sur lui ? Lennon n’aurait su se prononcer. Si Hewitt parlait, des barrages routiers étaient peut-être installés en ce moment même. Ici, de l’autre côté de la frontière, la Garda les chercherait. Alors, tout serait perdu. Il fallait avancer, arriver là-bas avant qu’il ne soit trop tard.

Assis à côté de Lennon, Fegan ne disait rien. Il se tenait raide, les mains sur les genoux, respirant calmement. Son visage ne trahissait aucun signe d’inquiétude ni de peur.

« Comment vous faites pour vivre avec ça ? demanda Lennon. Les gens comme toi. Comme cette brute que j’ai arrêtée à l’hôpital. Vous arrivez à vous regarder dans la glace ? Vous vous arrangez avec vous-même, quand vous êtes seul ? »

Fegan tourna les yeux vers la fenêtre et le paysage qui défilait. Si les paroles de Lennon trouvaient quelque écho en lui, il n’en laissa rien paraître.

« Moi, quand je pense aux choses que j’ai faites, les choses dont j’ai honte… J’en suis malade. Comment peux-tu supporter de…

— Tais-toi, dit Fegan.

— Comment peux-tu…

— Stop. » La voix de Fegan jaillit comme un poing serré. Il détacha les yeux de la fenêtre et considéra Lennon.

Lennon ravala sa question, fixant la route devant lui. Ils roulèrent en silence. Au loin, l’autoroute s’étirait vers l’aube grise.

Le GPS de l’Audi donnait des indications d’une voix douce. Une voix de femme, raffinée, tranquille, la terre continuait de tourner. Lennon s’était arrêté deux fois pour vomir sur le bas-côté. La peur était trop lourde pour son estomac. Il avait les narines à vif, la gorge brûlante. Fegan l’avait regardé de ses yeux froids, rendant l’expérience d’autant plus pénible.

Cent quarante au compteur. Ils approchaient de la dernière sortie au nord de la rivière Boyne. La voix désincarnée du GPS conseilla à Lennon de bifurquer en direction de Torrans House. Une maison de retraite. Un endroit où les gens âgés se remettaient d’une fracture de la hanche, où Bull O’Kane soignait ses tripes bousillées et son genou explosé par le passager de Lennon. L’autre y serait aussi, le type du Sud qui parlait comme un Voyageur mais que Lennon soupçonnait de mentir. Deux monstres dans une même maison, autour de la seule bonne chose qu’il eût produite sur cette terre.

Et voilà qu’à présent il y amenait un troisième monstre. À cette pensée, la bile remonta encore une fois de son estomac, mais il se contrôla et prit la bretelle de sortie.

Son pied effleura à peine le frein à l’approche du rond-point. Des lumières jaillirent, un concert de pneus et de klaxons tandis qu’il se glissait dans la circulation matinale. Rien de tout cela ne le toucha, pas plus que des papillons de nuit derrière une fenêtre.

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