30.

L’esprit de Gabriel Wells plane sur la ville. Il réalise que ses relations avec les autres âmes errantes sont restées les mêmes que celles qu’il entretenait avec les gens quand il était vivant : méfiance, distance, évitement du regard. Après tout, il ne sait pas qui sont ces ectoplasmes au loin. Ce peut être des fous, des pervers, des meurtriers, ou tout simplement des casse-pieds.

Il retrouve son grand-père au cimetière du Père-Lachaise, dans l’est parisien, et repère l’emplacement où on va l’enterrer le lendemain matin.

Voilà, fiston, demain matin c’est là, dans cette fosse, que s’achèvera le cycle de la multiplication de tes cellules depuis la fécondation de l’ovule de ta mère par le spermatozoïde de ton père.

J’aime cet endroit, c’est un cimetière romantique.

Tu vas être enterré juste à côté de moi. Nous serons voisins.

Un corbeau se pose sur la pierre tombale indiquant « IGNACE WELLS », plongeant Gabriel dans la mélancolie.

Allez, une petite blague pour détendre l’atmosphère, lance alors son grand-père. Un type pleure devant une tombe et se lamente : « Tu n’aurais jamais dû mourir, jamais ! » Le gardien du cimetière passe par là et lui demande, ému par sa douleur : « C’était un ami à vous ? » L’autre répond : « Non, c’était le premier mari de ma femme. »

Gabriel, qui n’a pas le cœur à plaisanter, fixe intensément son grand-père.

C’était quoi ton existence passée, papi ?

Ignace hésite à raconter une nouvelle blague, puis renonce, retrouvant son sérieux et sa prestance.

Tu sais que c’est la première fois qu’on me pose cette question ? J’ai l’impression d’avoir attendu tellement longtemps cet instant où je pourrais enfin faire un bilan complet. D’une certaine façon, on peut voir ma vie comme une gigantesque blague à la chute… discutable.

La lune se dévoile alors lentement, faisant jaillir une volée de chauves-souris.

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