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Lorsqu’elle descendit vers 6 heures pour prendre son petit déjeuner Marceline, les yeux mi-fermés, venait d’ouvrir sa porte vitrée et constatant que la lanterne était éteinte elle s’en prit à ces pilharts, qui ne faisaient que des sottises au lieu de faire leurs devoirs d’école. Elle s’était couchée tard à cause des invités du Parquet et déclara que ce n’était pas une vie qu’elle menait.

Zélie remonta pour réveiller Sonia Derek qui ronflait en travers de son lit, dut la secouer, l’aider à s’habiller malgré une certaine répugnance. Elle alla lui chercher du café.

— Surtout pas autre chose, précisa Sonia.

Après quoi elle lui fit endosser sa pelisse doublée d’une fourrure bien défraîchie, lui fit mettre son grand voile et la conduisit jusqu’au fourgon dans une obscurité parfaite. À tâtons elle la guida vers le divan, lui dit qu’elle pouvait s’y allonger. C’était une concession qui lui coûtait. Cette femme vulgaire et souillon lui paraissait indigne de se coucher là où Jean adorait dormir durant leurs longues tournées. Mais que faire d’autre avec cette créature qui cuvait encore son alcool.

— Surtout évitez de bouger, de faire du bruit. J’attends le jour pour atteler mon cheval et partir pour Termès. Profitez-en pour terminer votre nuit.

Lorsque Sonia se réveilla le fourgon avait traversé la Roque de Fa et attaquait le col de Bedos mais la route continuerait de grimper vers Termès.

— Je peux vous rejoindre pour prendre l’air ? J’étouffe dans votre laboratoire avec ces odeurs de chimie. Comment pouvez-vous vivre là-dedans ?

— Désolée mais on pourrait vous apercevoir et s’étonner que je ne sois pas seule. Restez sur le pas de la porte mais dès que je vous signalerai quelqu’un cachez-vous. Lorsque je photographierai ces personnes à Termès vous tirerez le rideau qui sépare le fourgon en deux et allongée sur le divan vous ne bougerez pas, essayerez de respirer en silence.

— J’ai le nez bouché, protesta Sonia Derek, c’est pourquoi je fais du bruit.

Zélie se trouvait profondément injuste mais tout lui déplaisait chez cette femme et ce sentiment s’était renforcé lors de cette apostrophe, la veille dans le couloir des chambres. Elle rougissait encore d’avoir été traitée de mijaurée, d’enfant gâtée dont le minois rougirait d’horreur si elle découvrait les habitudes amoureuses du capitaine Savane. Sonia avait attenté à sa pudeur, à sa fidélité au souvenir de son mari, avait mis en doute ses capacités d’amoureuse, ne savait pas ou avait oublié qu’une femme follement éprise de son mari était capable d’inventer ce qu’une fille légère comme elle dispensait avec une facilité indifférente de professionnelle.

Elle essaya d’échapper à certaines évocations aussi fugaces qu’embrouillées où deux corps dénudés s’entrelaçaient, mais le claquement régulier des sabots de Roumi cadençait ces rêveries qu’elle jugeait honteuses. Il suffisait que cette fille un peu trop charnelle se vautre sur le divan pour qu’elle s’encombre malgré elle de pensées déplacées. Elle finit par sauter en marche pour prendre la bride de Roumi qui hennit doucement de satisfaction. Il appuya son chanfrein contre sa joue et elle lui parla pour dissiper son malaise.

— Mais où êtes-vous donc ? Ce cheval marche tout seul ?

Sonia se risqua au-dehors et la découvrit à côté de Roumi.

— Ah, bon ! Mais pourquoi ne restez-vous pas sur votre siège de conductrice ? Il n’a pas besoin de votre aide ce canasson.

— Je le soulage, répliqua sèchement Zélie.

Sonia eut un rire canaille, déplaisant :

— Vous ne devriez pas dire ainsi.

— Comment voulez-vous que je dise ? Aujourd’hui il a un peu plus de poids à tirer.

— Dites que je suis énorme, se fâcha Sonia.

Puis elle recommença à rire en répétant « je le soulage, je le soulage ».

— Si vous saviez ce que ça signifie vous éviteriez de le dire.

— Faut-il toujours que vous trouviez un double sens détestable aux paroles les plus usuelles ? Ici personne ne cultive ce goût douteux et nul ne se choquerait que je m’exprime ainsi.

— Bon ça va, si vous voulez être ridicule à votre aise, mais je suis sûre que les bonshommes, même les bouseux de par ici doivent bien rigoler sous cape à vous entendre.

Certainement rouge sur tout le corps Zélie ne répondit pas, continua de marcher aux côtés de Roumi, qui paraissait ne pas apprécier le ton aigu de la voix étrangère l’assaillant sans qu’il en voie la propriétaire. Il n’avait pas dû aimer également d’être traité de canasson. Ce n’était pas un animal ordinaire et avec Jean et elle-même il avait mémorisé un certain nombre de mots.

— C’est la bonniche qui m’a dit que vous aviez dîné avec le capitaine ? Il vous a fait des propositions ? Méfiez-vous car lui il sait vous enrober et vous faire de belles promesses. Excusez-moi pour hier au soir, j’étais un peu partie et furieuse que Savane vous ait invitée. Qui c’est le joli garçon qui venait aussi se coucher derrière vous ? Je ne l’ai jamais vu.

Zélie ne répondit pas.

— Bon vous faites la tête et je l’ai peut-être mérité, mais on va continuer comme ça toute la journée ? Quand allez-vous me photographier ?

— Dans un instant. Nous irons dans un endroit discret. Et j’attends que le soleil se dégage de ces brumes.

Elle se souvenait de ce que lui avait dit la jeune femme la veille en fin d’après-midi, avant qu’elle ne descende rejoindre le capitaine.

— Quelles tournées faisiez-vous autrefois ? Vous m’avez bien parlé de tournées ?

— J’ai dit ça moi ? Vous avez mal entendu.

— Pas du tout. Mon mari et moi disions ainsi, que nous faisions nos tournées de printemps et celles d’automne. Les marchands forains font aussi des tournées, les troupes de théâtre, les bateleurs, des tas de gens font des tournées y compris les ramoneurs. L’étameur de Leucate par exemple.

Ce silence dissimulait-il quelque chose de honteux, d’inavouable ? Zélie avait entendu dire que des filles légères se lançaient ainsi dans les campagnes avec des voitures aménagées pour attirer les hommes et leur argent. Mais on n’en avait jamais vu dans les Corbières.

— Je vendais des tissus, déclara la jeune femme, depuis le fourgon, avec un ami.

Zélie eut l’impression qu’elle mentait et qu’elle regrettait d’avoir parlé de tournées, ce qui la rendait encore plus soupçonneuse. Sonia Derek lui paraissait être du genre à mener une vie crapuleuse.

— Nous allons nous arrêter là-bas dans cette ancienne carrière. Préparez-vous pour la photographie.

— Pourquoi ? Vous me trouvez laide ? C’est vrai que j’ai un peu la gueule de bois comme si j’avais fait la noce toute la nuit mais c’est pas le cas.

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