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Il y avait un petit coffee-shop au rez-de-chaussée du motel. Fegan avait prévu de ne pas se montrer, mais la faim eut raison de lui. Il s’installa à une table du fond d’où il pouvait surveiller la porte.

« Qu’est-ce que je vous sers ? » demanda la serveuse.

Il examina le menu. Des sandwichs, essentiellement, tous avec du fromage. Il n’aimait pas le fromage. Pourquoi les Américains en fourraient-ils partout ?

« Celui-ci, répondit-il en désignant le menu. À la dinde. Mais sans fromage.

— Le cuisinier n’est là que jusqu’à l’heure du déjeuner, expliqua la serveuse. Les sandwichs sont déjà prêts. Il y a du fromage dedans.

— D’accord. Et un peu d’eau. »

Fegan contempla la circulation de l’après-midi sur le New Jersey Turnpike et l’aéroport de Newark, avec ses trois pistes et sa tour de contrôle qui se découpait contre le soleil pâlissant. Les couverts s’entrechoquaient quand les avions survolaient le motel à l’atterrissage ou au décollage.

En attendant son sandwich, il sortit le portable de sa poche, le posa sur la table, et regarda fixement l’écran comme si celui-ci pouvait ainsi revenir à la vie. La chute n’avait tout de même pas été violente au point de détraquer l’appareil. Il le retourna, inspecta le boîtier, essaya à nouveau de l’allumer.

Un jeune garçon l’observait, assis à la table voisine. « Il est cassé ? demanda-t-il.

— Je ne sais pas. Je crois que oui. »

La mère du garçon mangeait une salade aux feuilles défraîchies. Elle dévisagea Fegan d’un air soupçonneux. Il évita son regard.

« Vous l’avez fait tomber ? demanda encore le garçon.

— Oui, mentit Fegan.

— Montrez. Je m’y connais en réparation. »

Fegan s’adressa à la mère. « Je peux ? »

Elle hésita, puis hocha la tête. « Aaron est doué. Tout ce qui se démonte, il arrive à le remonter. »

La serveuse apporta la commande de Fegan avec un verre d’eau. Il tendit le portable à Aaron et entreprit d’enlever le fromage de son sandwich pendant que le garçon examinait l’appareil.

« Le boîtier est mal fermé », déclara le garçon.

Fegan mordit dans le sandwich. Le pain était rassis.

Le garçon ouvrit l’arrière du téléphone. Un rectangle métallique tomba sur la table. « Regardez. La batterie a dû bouger quand vous l’avez fait tomber. »

Il réinséra la batterie, referma le boîtier et rendit le portable à Fegan en souriant. « Je vous parie qu’il marche maintenant. »

Fegan appuya sur le bouton. L’écran s’alluma. « Oui. Bravo.

— Je vous l’avais dit. »

La mère fit écho à son fils avec un sourire fier. « Il vous l’avait dit. » Ses joues étaient parsemées de taches de rousseur.

« C’est vrai, dit Fegan en lui rendant son sourire.

— Je m’appelle Grace. Et vous ?

— Paddy Feeney. »

Le téléphone vibra dans la main de Fegan. Son estomac se serra comme un poing. À l’écran, il lut : « Vous avez un nouveau message dans votre boîte vocale. »

« Ça ne va pas ? » demanda la femme.

Fegan voulut répondre, mais il s’aperçut qu’il avait bloqué sa respiration. Il toussa.

« Buvez un peu d’eau, dit-elle.

— Il faut que j’y aille.

— Oh. » Le sourire de la femme s’évanouit. « Eh bien, ravie d’avoir fait votre connaissance. »

Fegan hocha la tête. Il se leva, regarda le garçon. « Merci. » Puis il se dirigea vers la porte.

« Il n’y a pas de quoi », lança le garçon derrière lui.

« Hé ! » La serveuse rattrapa Fegan à la porte. « Vous ne payez pas votre sandwich ? »

Fegan sortit un billet de sa poche et le lui fourra dans la main. Il sortit dans le parking. Un autre avion passa en vrombissant.

« Hé ! cria à nouveau la serveuse. C’est un billet de cent dollars ! »

Fegan ne se retourna pas. Il grimpa l’escalier, se précipita vers sa chambre, déverrouilla la porte et la referma derrière lui. Il appela le numéro de la messagerie.

Une voix métallique répondit : Le service que vous demandez n’est pas accessible. Pour être mis en relation avec l’étranger, contactez votre opérateur en composant le… »

Il raccrocha. « Nom de Dieu. »

Marie avait appelé. Personne d’autre ne connaissait le numéro. Il ne pouvait y avoir qu’une seule raison.

Il glissa le téléphone dans sa poche, ramassa la liasse de billets sur la table de nuit ainsi que le passeport irlandais. Et s’il se faisait prendre au contrôle de sécurité ? C’était un risque à prendre. Il attrapa son sac et passa la bandoulière à son épaule.

Dehors, l’air froid sécha la sueur qui perlait sur son front et lui glaça le dos. Il pouvait attendre un taxi, ou gagner l’aéroport à pied en vingt minutes. Un avion partait pour Belfast dans quelques heures à peine. Six heures et demie de vol. Il y serait demain matin.

Pourvu qu’il n’arrive pas trop tard.

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