39.
Cette douleur qui ne cesse pas au centre du corps le taraude.
Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, murmure-t-il.
Il s'enfonce dans la nuit puis se réveille.
Ce liquide qu'on lui verse dans la bouche, sucré, l'apaise.
- C'est bon, c'est bien bon.
Mais cela, qu'est-ce ? Il reconnaît la couleur, il veut écarter le verre. Le bras retombe. Il doit avaler le calomel.
- Coquin de Marchand, dit-il à son valet.
On le frictionne.
- Quel résultat de la science ! Belle consultation ! Laver les reins avec de l'eau de Cologne !
Il ferme les yeux. Où est-il ?
C'est la nuit du vendredi 4 au samedi 5 mai 1821.
Il gémit, le visage crispé.
- Comment s'appelle mon fils ?
Il serre la main de Marchand qui répond : « Napoléon. »
Il est deux heures du matin. Il entrouvre les yeux, il remue les lèvres.
- Qui recule, dit-il.
Il va vomir, tout son corps se cambre. Il veut parler. Un râle encombre sa gorge, et deux mots surgissent, comme des récifs recouverts par la respiration rauque :
- Tête, armée.
La mort vient plus tard, à dix-sept heures quarante-neuf, ce samedi 5 mai 1821.
« La mort n'est rien », avait-il dit, le 12 décembre 1804, dans le soleil de sa puissance.
« Mais vivre vaincu et sans gloire, avait-il ajouté, c'est mourir tous les jours. »
Il vit encore.
Athènes, le 3 janvier 1997.