L’ancien étage des domestiques sentait le renfermé et les souris. Une lumière blanche, froide, étirait ses doigts sur la vitre sale et caressait le papier peint qui s’effilochait et le mobilier vétuste. Marie McKenna était allongée sur le lit, les paupières tremblantes, respirant avec des sifflements et des bruits de gorge. Ellen s’accrochait à la main de sa mère.
Orla O’Kane s’assit sur le matelas. Elle voulut toucher la joue d’Ellen, mais la fillette recula. Orla croisa les mains sur ses genoux.
« Laisse ta maman dormir un peu, dit-elle. Je suis sûre qu’il y a quelque chose de bon à grignoter en bas. Peut-être même de la glace. Viens avec moi, on va regarder. »
Ellen fit non de la tête et passa le bras de sa mère autour d’elle.
« Pourquoi ? demanda Orla.
— Je veux pas.
— Très bien. » Orla admira le teint pâle de la petite fille et ses yeux bleus. « Tu es très jolie, tu sais ? »
Ellen enfouit son visage dans le creux du bras de sa mère.
Orla se pencha et murmura. « Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu fais ta timide avec moi ? »
Ellen risqua un coup d’œil. « Non.
— Alors ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
La petite fille déplaça son regard derrière l’épaule d’Orla. Ses yeux s’assombrirent comme un ciel d’été envahi par des nuages annonciateurs de pluie. Orla tourna la tête et ne vit que des ombres. Lorsqu’elle revint sur Ellen, le bleu s’était retiré des yeux de l’enfant pour ne laisser qu’un gris profond.
« Gerry arrive », dit la fillette.
Orla se cala sur le lit. « Ah oui ? »
Ellen hocha la tête.
« Et pourquoi il vient ?
— Pour me chercher, moi et maman. »
Orla se leva, effaça les plis de sa veste sur son ventre et sur ses hanches. « Ah, fit-elle. Alors, il faut que tu dormes un peu. »
Tandis que Orla regagnait la porte, Ellen s’assit sur le lit. « Tu devrais t’enfuir », dit-elle.
Orla s’arrêta, la main sur la poignée. « Je suis une O’Kane, chérie. Les O’Kane ne s’enfuient jamais devant personne. »
Ellen se recoucha et posa la tête sur le sein de sa mère, tournant le dos à la lumière laiteuse qui baignait la pièce.
« Personne », répéta Orla.
Elle sortit, ferma la porte à clé et descendit au premier étage où elle trouva le Voyageur, appuyé contre la rambarde du palier qui dominait le grand vestibule. Il la regarda approcher avec un sourire en coin. Orla crut voir un clin d’œil dans le tressaillement de sa paupière rouge et enflée.
« Qu’est-ce que vous regardez ? demanda-t-elle.
— Vous. Vous êtes allée voir la petite ?
— Je voulais m’assurer que tout allait bien.
— Quelle impression elle vous fait ? »
Orla haussa les épaules. « C’est une enfant. Courageuse.
— Oui, mais elle a quelque chose de bizarre. Comme si elle vous voyait à l’intérieur. Qu’elle savait des choses.
— Vous déraillez. » Orla passa près du Voyageur et se dirigea vers la chambre de son père.
« Ah oui ? Vous en faites une tête, on dirait que vous avez vu un fantôme. Qu’est-ce qu’elle vous a dit ? »
Orla s’arrêta et pivota. « Que Gerry Fegan arrivait.
— Bon. Alors, on a intérêt à se préparer. »