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Le Voyageur s’approcha du fauteuil roulant et le redressa, bloquant le frein avec le pied. Il se pencha vers O’Kane pour le prendre sous les aisselles. Bon sang. Le vieux était lourd, malgré son air frêle et épuisé. Il le tira vers le fauteuil et le fit asseoir.

« Finis ton boulot, dit le Bull en respirant avec difficulté, le visage baigné de sueur, la bave aux lèvres.

— Faut d’abord que je vous sorte d’ici. Ça brûle dans la cave. Les flammes ne vont pas tarder à monter. »

O’Kane le saisit par le bras. « Je n’irai nulle part tant que Fegan ne sera pas mort, dit-il en postillonnant sur la joue du Voyageur. Fais ce que je te dis et chope-moi ce salopard. »

Le Voyageur se dégagea et attrapa les poignées à l’arrière du fauteuil. Il relâcha le frein, poussa le fauteuil vers la porte, mais O’Kane se tourna sur son séant et balança un poing féroce dans sa direction.

« Je t’ai dit de suivre Fegan, bordel. Vas-y, sinon je te bute. » Les yeux de O’Kane étaient pleins de larmes. « Je sais me débrouiller. Il y a un ascenseur dans le couloir, je pourrai sortir s’il le faut. Toi, fais ce pour quoi je t’ai payé.

— Je rêve », soupira le Voyageur. Il lâcha le fauteuil et recula d’un pas. « D’accord, espèce de vieux malade. C’est comme vous voulez. »

Le hurlement de l’alarme incendie s’éleva.

« Le feu est en train de gagner, dit le Voyageur. Si je ne reviens pas, vous vous retrouverez tout seul. »

Le Bull prit une profonde inspiration et parut se ressaisir. Il se passa le bras sur la bouche et les yeux. « Ne t’inquiète pas pour moi. Occupe-toi juste de Fegan. Il ira sans doute chercher la femme et la gosse. Va les voir, tu le trouveras. »

Le Voyageur dégaina son Glock et laissa le Bull dans la grande pièce. Il partit vers les anciennes chambres des domestiques, de l’autre côté de la maison. En chemin, il défit avec ses dents le bandage de son poignet et plia les doigts, ce qui déclencha une décharge fulgurante dans son bras. Mais quand il fallait se battre, il préférait encore la douleur à l’immobilisation.

Il avança dans le couloir où flottaient de minuscules fragments noircis, tenant le Glock prêt à tirer. L’espace d’une ou deux secondes, l’air sembla aspiré, suffisamment pour qu’il éprouve le vide qui se creusait dans ses poumons. Le sol trembla sous ses pieds et il sentit, plutôt qu’il n’entendit, l’explosion au-dessous. Il tomba à genoux. La porte qu’il venait de refermer quelques minutes plus tôt vola en éclats et fut projetée dans le couloir. Il fit un roulé-boulé pour s’écarter de la vague de chaleur qui montait de la cave et déferlait sur lui.

Des lueurs rouges et orangées dansaient aux murs. La fumée s’insinuait entre les barreaux de la rampe. La chaleur lui piqua la gorge, le nez et les yeux.

« Putain de Dieu. » Il se releva et poursuivit sa marche en maintenant le Glock braqué sur la porte au fond du couloir. De l’autre côté partait un escalier étroit donnant accès à une série de petits passages et de pièces où étaient autrefois logés les femmes de chambre et les valets. Il prit son temps, scrutant prudemment les ombres. Parvenu à mi-chemin, il s’arrêta pour expulser sur le plancher le mélange de morve et de suie qui lui encombrait le nez. Il se remémora l’agencement des pièces derrière la porte, d’après ce qu’il en avait vu en portant la femme jusqu’à la chambre d’Orla. La gamine avait suivi, accrochée à la main de sa mère qui pendait mollement. Un escalier de secours descendait le long du mur extérieur. S’il tuait Fegan, tant mieux. S’il pouvait retourner auprès de O’Kane, d’accord, il le ferait. Si ni l’un ni l’autre n’était possible, alors au diable Bull O’Kane et son pognon, il se barrerait et les laisserait tous brûler vifs comme le flic dans la cave.

Un film sombre s’étalait au plafond. L’air se fit plus chaud. Le Voyageur accéléra le pas et atteignit la porte qui menait à l’étage des domestiques. Il toucha prudemment la poignée en cuivre pour en tester la température, comme il l’avait vu faire à la télévision. Le métal était frais. Il prit une inspiration, toussa, et ouvrit tout grand.

Un mur de chaleur et de fumée noire l’envoya mordre la poussière. Il atterrit sur le dos, aveuglé, au bord de l’étouffement. Le Glock lui avait échappé. Il roula sur le ventre pour le chercher à tâtons en espérant sentir le métal frais et rassurant sous ses doigts. Clignant des paupières pour chasser le brouillard qui lui envahissait les yeux, il recouvra un semblant de vue, mais pas assez pour distinguer le pistolet. Ses doigts frôlèrent un objet solide et il balaya le sol par crainte de l’avoir déplacé. Rien. Pourtant, il l’avait à peine effleuré.

« Putain de… »

Des mains le saisirent au collet, le hissèrent et le retournèrent sans ménagement. Dans son champ de vision rétréci apparurent des traits anguleux, un visage strié de rouge et de noir.

« Où sont-elles ? » dit Gerry Fegan.

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