Ce 21 mars, du haut du plateau situé au sud d’Arcis-sur-Aube, Napoléon contemplait l’armée de Bohême du généralissime Schwarzenberg. L’Empereur clignait des yeux, incrédule. Il avait battu les Alliés, encore et encore, avec pour tout résultat : ça ! Ces masses compactes qui tapissaient l’horizon. Cent mille hommes au bas mot, en ordre de bataille. Les rectangles monumentaux des divisions, alignés méthodiquement, composaient une toile d’araignée qui attendait l’attaque de l’armée française. Et comme cette dernière ne comptait que trente mille soldats, car une partie des troupes s’était disséminée durant les manoeuvres et les combats... Napoléon croyait que les Austro-Russes étaient en train de battre en retraite. Il fallait qu’ils battent en retraite ! Son regard s’obstinait à scruter cette multitude à la recherche d’un désordre, d’un mouvement de recul...
La réalité finit par s’imposer. C’étaient les Français qui allaient se replier. Mais dans quelle direction ?
La solution la plus évidente était de se rapprocher de Paris, afin de protéger la capitale. Mais qu’allait-il se passer ? Ayant pris conscience du danger qu’il y avait à progresser en ordre dispersé, les aimées alliées allaient se réunir. L’armée de Bohême de Schwarzenberg s’unirait à l’armée de Silésie du maréchal Blücher et toutes deux, encore renforcées par diverses troupes éparpillées, seraient rejointes par les unités les plus proches de l’armée du Nord de Bernadotte. Les Français seraient alors refoulés jusqu’à Paris... Plusieurs membres de l’état-major impérial conseillaient cette option, mais par défaut, parce qu’ils n’en imaginaient pas d’autre.
Napoléon prit alors l’une des décisions les plus critiques de son existence. Cela faisait plusieurs jours déjà qu’il songeait à cette manoeuvre. Il en avait discuté avec ses maréchaux qui, dans l’ensemble, s’y opposaient. Trop complexe et, surtout, bien trop risquée... Mais elle seule permettait d’envisager une victoire. Ce fut donc cette tactique qu’il imposa ce jour-là. L’armée française n’allait pas rétrograder vers Paris, mais contourner les Alliés afin de menacer leurs arrières. Or l’ennemi avait besoin d’un ravitaillement considérable pour nourrir et approvisionner en munitions de telles quantités de troupes. L’Empereur misait également sur son prestige. On le craignait déjà en face de soi, alors quel général oserait lui tourner le dos ? Ce mouvement sèmerait la panique chez les soldats alliés. Il voulait obliger ses adversaires à se lancer à sa poursuite. Il les éloignerait ainsi de Paris, les entraînant vers l’est, où il rallierait les troupes fraîches qui stationnaient dans les places fortes. Mais le point noir de cette tactique était évident : plus personne ne défendrait la route de Paris. C’était un pari, un coup de dés.