CHAPITRE II

Le major Quentin Margont se figea au garde-à-vous. Il arborait son uniforme d’infanterie de ligne, n’ayant toujours pas reçu celui d’officier supérieur de la garde nationale de Paris, alors qu’on l’y avait muté depuis déjà deux mois. Il se trouvait dans un magnifique bureau du palais des Tuileries, avec devant lui deux des personnages les plus célèbres de l’Empire. Malheureusement, il n’aimait pas le premier et se méfiait du second.

Joseph Bonaparte, frère aîné de Napoléon, accumulait les titres mirobolants : roi d’Espagne (ou, encore mieux : roi des Espagnes et des Indes), lieutenant général de l’Empire et commandant de l’armée et de la garde nationale de Paris. L’Empereur lui avait confié la défense de la capitale tandis que lui-même combattait dans le nord-est de la France. Dire qu’en juin 1812, l’Empire était à son apogée... À cette époque, Napoléon se lançait dans la campagne de Russie à la tête d’une armée de... quatre cent mille hommes ! Et, aujourd’hui, le 16 mars 1814, moins de deux ans plus tard, il combattait en France avec seulement soixante-dix mille soldats, tentant d’arrêter un flot de trois cent cinquante mille envahisseurs ― Autrichiens, Hongrois, Russes, Prussiens, Suédois, Wurtembergeois, Saxons, Hanovriens, Bavarois... ― répartis en trois armées : l’armée de Bohême, l’armée de Silésie et l’armée du Nord (dont une partie opérait en Belgique et en Hollande). Sans parler des soixante-cinq mille Anglo-Hispano-Portugais, dirigés d’une main de fer par Sa Grâce le duc de Wellington, qui venaient de s’emparer de Bordeaux et que le maréchal Soult essayait de contenir. Et encore fallait-il ajouter l’armée autrichienne d’Italie, qu’affrontait le prince Eugène de Beauharnais. Quelle chute ! Margont en avait le vertige.

Pouvait-on encore espérer sauver les idéaux de la Révolution ? Napoléon allait peut-être y parvenir envers et contre tout, au vu des stupéfiantes victoires qu’il venait de remporter : le 10 février Champaubert sur les Russes d’Olsuviev, le 11 Montmirail sur les Russes de Sacken, le 12 Château-Thierry sur les Prussiens de York, le 14 Vauchamps sur les Prussiens et les Russes de l’infatigable Blücher, le 17 Mormant sur les Russes de Wittgenstein et Nangis sur les Austro-Bavarois de De Wrède et le 18 Montereau sur les Autrichiens, Hongrois et Wurtembergeois du pourtant rusé généralissime Schwarzenberg. Tous les pays qui s’étaient coalisés contre lui en étaient encore abasourdis.

Détail étonnant, Joseph – que Margont, avec peut-être un peu trop de sévérité, jugeait incompétent – ressemblait physiquement à l’Empereur : visage rond et empâté, yeux bruns, front dégagé, cheveux noirs clairsemés... Il se croyait remarquablement intelligent, telle la médiocre copie d’un tableau célèbre qui se prend pour l’original.

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent, surnommé le « diable boiteux », en était en tout point l’opposé, tant par ses qualités que par ses défauts. Brillant, perspicace, spirituel, manipulateur, séducteur, affable, obséquieux, faux, hypocrite, imprévisible, il possédait le sens de la formule. À propos du résultat cataclysmique de la campagne de Russie, la rumeur murmurait qu’il avait osé dire : « C’est le début de la fin. » L’Empereur le soupçonnait de l’avoir trahi à plusieurs reprises et de tramer maintenant le retour des Bourbons. Leurs rapports étaient si conflictuels que Napoléon l’avait un jour traité de « merde dans un bas de soie ».

Mais Talleyrand savait se rendre indispensable. Haut dignitaire, il participait aux manoeuvres diplomatiques, officiellement ou non. Margont le considérait comme une girouette astucieuse qui anticipait les changements de vent. Cependant, il n’était pas exclu que cet homme retors aimât son pays, à sa manière. Peut-être essayait-il sincèrement d’aider la France et non pas seulement sa propre personne, mais avec l’arrogance de celui qui croit être le seul à savoir ce qu’il convient de faire.

La soixantaine, en perruque poudrée, il observait Margont avec une pénétration qui contredisait sa posture avachie et ses airs de Mathusalem à l’agonie.

— Repos ! s’exclama Joseph. Major Margont, nous vous avons convoqué, car nous avons besoin de vous pour une mission délicate.

Il parlait sans regarder son interlocuteur, étudiant des documents étalés sur son bureau. Margont se doutait que ces papiers en disaient long sur lui et il refrénait l’envie de s’en saisir promptement pour les jeter dans le feu qui tentait de chauffer cette pièce trop grande.

— Son Altesse le prince Eugène vous avait chargé d’une enquête confidentielle durant la campagne de Russie. Cela, vous le savez. En revanche, vous ignorez peut-être ses commentaires à votre sujet. Éloges et louanges !

Il brandit une feuille devant ses yeux et la parcourut.

— Vous êtes, je cite, « un homme admirable »...

Il dut s’interrompre, car Talleyrand venait d’émettre un petit rire. Le prince de Bénévent ne croyait plus depuis longtemps à l’admirable, ni même en l’homme, d’ailleurs...

— Vous vous êtes acquitté de votre tâche avec brio, et cetera, et cetera, et cetera. Au vu de ces appréciations et de votre biographie, M. de Talleyrand et moi-même estimons que vous êtes l’homme qu’il nous faut.

Margont était un républicain convaincu. À l’heure où Paris risquait d’être menacé, il désirait aider à protéger la capitale et non pas du tout être « l’homme qu’il fallait », quelle que fût l’affaire qu’allait exposer Joseph. Ce dernier se cala dans son fauteuil et le fixa.

— Hier soir, le colonel Berle a été assassiné chez lui, ici, à Paris. Nous avons des raisons de croire que ce crime a été commis par un ou des royalistes...

— Mais il s’agit peut-être d’une fausse piste, intervint aussitôt Talleyrand.

— Ce colonel du génie avait plus de soixante ans, mais, au vu de la situation, il avait accepté de reprendre du service. Il faisait partie des officiers que j’avais chargés de réfléchir aux moyens d’améliorer les défenses de Paris. Nous nous préparons au pire par principe, mais, bien évidemment, l’ennemi n’arrivera jamais jusqu’ici !

— Il y est déjà, Votre Excellence... objecta Margont.

— Insolent ! Encore un révolutionnaire qui croit à la liberté d’expression ! Et il ose m’appeler « Votre Excellence » et non « Votre Majesté » ! Je suis roi d’Espagne !

Il ne restait plus de l’« Espagne impériale » que Barcelone et une partie de la Catalogne. La couronne de Joseph, il n’y avait plus que ce dernier à la voir. Margont se força à se modérer. Sa franchise et son amour des reparties cinglantes lui avaient déjà valu des ennuis par le passé. Mais les termes de « Votre Altesse » ou de « Votre Majesté » se coinçaient dans sa gorge. Il offrait un visage impassible. En revanche, son esprit tempêtait. Cela faisait des mois que l’on aurait dû commencer à renforcer la capitale ! Or on n’avait pas construit un seul retranchement, pas creusé un fossé ! Personne n’avait défini de consignes en cas d’attaque ! Une inaction pareille était criminelle. Joseph craignait-il d’inquiéter la population ? Trouvait-il plus judicieuse la tactique de l’autruche ? Le lieutenant général marqua une pause, trahissant une dernière hésitation à confier cette enquête à Margont. Puis il se lança :

— Le dossier que nous avons sur vous en dit long à ce sujet, major, reprit Joseph. Mais tant mieux. Rien de tel qu’un républicain pour chasser du royaliste ! La victime a été torturée. On a certainement voulu l’obliger à révéler des secrets. J’ignore si ce pauvre Berle a parlé... Il devait me formuler des propositions pour transformer la butte Montmartre en une redoute inexpugnable garnie de canons de gros calibre, pour protéger les accès de Paris... Il travaillait également sur les plans de retranchements qui protégeraient les débouchés des faubourgs, sur la question des ponts : comment les fortifier, les doter d’estacades...

Margont sentait quelque chose remuer en lui. Montmartre, les ponts... Bien sûr, il fallait faire tout cela pour protéger les Parisiens. Mais imaginer ces lieux qu’il appréciait se couvrant de retranchements et d’artillerie le troublait.

— L’assassin a laissé un emblème royaliste. Une cocarde blanche avec en son centre une médaille ornée d’un symbole héraldique : une fleur de lys en fer de lance côtoyant une épée. Elle était épinglée à la chemise du colonel. Il a également subtilisé des documents. Heureusement, la plupart de ceux-ci étaient codés, conformément à mes instructions. Notre hypothèse est qu’un petit groupe de royalistes a décidé de mener des actions pour déstabiliser la défense de Paris.

Les comploteurs royalistes ! Tout le monde parlait d’eux. On en imaginait des dizaines de milliers là où il ne devait y en avoir que quelques milliers disséminés dans des myriades d’organisations. Depuis les défaites impériales catastrophiques de 1812 et de fin 1813, ils avaient recouvré leur crédibilité et leur énergie. Ils s’agitaient d’autant plus qu’ils n’avaient qu’une peur : que Napoléon parvienne à un compromis avec les Alliés et conserve son trône. Partisans de la guerre à outrance contre l’Empereur, certains d’entre eux étaient favorables à l’utilisation de moyens extrêmes : meurtres et rébellions.

— Nous pensons que l’assassin a laissé ce symbole pour créer un climat de peur. Nos ennemis de l’intérieur ne sont qu’une poignée. Ils veulent paraître plus nombreux et plus dangereux qu’ils ne le sont en réalité. Ne jouons pas leur jeu ! J’exige que ce détail demeure secret. Ni le domestique qui a découvert le corps du colonel ni vous ne devez ébruiter cet aspect de l’affaire. Quant à la Police générale, elle ne sera même pas au courant. Il se trouve que nous possédons un avantage et c’est vous qui allez l’exploiter.

Joseph laissa Margont méditer un instant ces dernières paroles.

— Le meurtrier croit être dissimulé dans l’anonymat des multiples organisations monarchistes : les Chevaliers de la Foi, la Congrégation, l’Aa, les Sociétés du coeur de Jésus... Or il sous-estime l’efficacité de nos services de police, car nous avons un informateur dans un groupe, les Épées du Roi. Cet homme, Charles de Varencourt, est issu de la noblesse normande. Il s’est mêlé à ces conspirateurs par conviction politique, mais il a un point faible, un vice : le jeu. C’est un joueur invétéré, donc un perdant perpétuel. Voici quelques semaines, il s’est mis à nous monnayer ses renseignements.

Ce genre de personnage irritait l’idéaliste qu’était Margont.

— Je vois... intervint-il. Quand il n’a plus eu de pièces, il a misé ses compagnons.

— Très juste. Nous n’avons pas encore procédé à leur arrestation pour trois raisons. La première : dans ce genre d’affaires, nous évitons la précipitation. Plus on attend, plus on accumule les renseignements, plus on identifie de membres du groupe. À ce jour, nous n’avons pas encore réussi à localiser les lieux de résidence de tous les meneurs. La deuxième : ces conspirateurs ont du mal à se mettre d’accord sur les actions qu’ils veulent mener, si bien qu’ils ne représentent pas un danger immédiat. La troisième : grâce à eux, nous pourrions bien réussir à capturer un gibier de tout premier ordre, le comte Boris Kevlokine. Mais je vous en dirai plus là-dessus tout à l’heure. Charles de Varencourt, donc, nous a fourni des informations. Certains des comploteurs envisagent de mener une campagne d’assassinats visant des membres clés de la défense de Paris.

Quoique Joseph tentât de le dissimuler, sa voix s’était mise à vibrer. Il avait peur. Croyait-il que l’on tenterait de s’en prendre à lui ? Margont s’abstint de le rassurer en lui précisant qu’il n’était pas dans l’intérêt de leurs ennemis d’éliminer un incapable pareil. De toute façon, la sécurité des hauts personnages était remarquablement bien assurée. Joseph se racla la gorge et tenta une nouvelle fois de maîtriser son trouble, ce qui ne fit que laisser transparaître plus encore son inquiétude.

— Le colonel Berle était sur la liste des personnes qu’ils projettent d’assassiner. J’avais fait renforcer les mesures de protection. Discrètement, afin de ne pas révéler à nos adversaires que nous en savions long sur eux ! Mais j’avoue que nous n’avions pas prévu ce qui s’est passé. Les royalistes en faveur de l’utilisation du meurtre sont minoritaires chez les Épées du Roi. Leur projet est toujours débattu, mais il a pour l’instant été écarté. D’autres membres projettent de fomenter un soulèvement populaire. Il y a ceux qui souhaitent imprimer des affiches et ceux qui veulent des fusils, ceux qui comptent attendre que tout se fasse sans eux tout en ayant l’air d’avoir participé aux événements... Le groupe s’est renseigné sur les victimes potentielles. Domicile, lieu de travail, trajets, manies, entourage, nombre de soldats en faction... L’assassin du colonel Berle était au courant de tout cela. Lorsqu’il a agi, quinze personnes se trouvaient sur les lieux ! Des sentinelles, le secrétaire particulier, deux valets, trois servantes, la cuisinière, la fille de cuisine, le cocher... Or cet homme s’est introduit par une fenêtre, il s’est déplacé dans la maison en dépit des va-et-vient et il a réussi à gagner le bureau au deuxième étage. C’est la preuve qu’il connaissait bien les habitudes de sa victime. Quant au symbole qu’il a laissé, il s’agit de l’emblème secret des Épées du Roi.

Margont pensait à Paris. Quelques crimes pouvaient-ils réussir à déstabiliser la défense de la capitale ? Hélas oui. Et Talleyrand ? Le prince de Bénévent demeurait silencieux tout en ne perdant pas une miette de ce qui se disait ni des réactions des interlocuteurs. Margont était curieux d’entendre ce qu’il avait à dire.

— Alors, major, que concluez-vous de ces premiers éléments ? demanda Joseph.

— Rien, Votre Excellence.

Le lieutenant général leva les yeux au ciel, puis sa tête bascula en arrière. Il fixa le plafond, les stucs qui composaient une ellipse élégante et le lustre monumental dont les bougies luttaient contre la grisaille hivernale. Ce geste sonnait faux. Joseph semblait l’avoir mis au point, tel un acteur, pour intimider les interlocuteurs qui ne lui disaient pas ce qu’il voulait entendre. Parce qu’il était le frère de l’Empereur, ce figurant avait été nommé roi. Mais, au lieu de devenir un Henri V, il n’était qu’un piètre roi Lear lui-même à l’origine d’une partie des maux qui l’accablaient aujourd’hui. Il se leva.

— J’exige une réponse, major.

— Peut-être que l’un des membres de ce groupe a décidé de mettre tout seul à exécution le plan consistant à employer le meurtre contre l’Empire. En laissant l’emblème, outre le fait qu’il nous fait savoir que nous avons des ennemis au coeur même de Paris, il espère également entraîner bon gré mal gré les autres conspirateurs dans cette voie. Il déclenche un processus : à cause de ce crime, vous allez accroître vos efforts contre les Épées du Roi, ce qui va les inquiéter et les pousser à commettre des actes toujours plus violents.

Joseph se réjouit et le sourire de ce haut personnage était supposé tenir lieu de récompense.

— C’est aussi notre opinion.

— Ou alors...

Le lieutenant général leva les sourcils. Ses pensées n’envisageaient pas de « ou alors ».

— On peut aussi craindre que votre informateur soit le coupable, poursuivit Margont. Car ce crime fait monter la valeur de ce qu’il a à vendre. Je suis persuadé que vous avez augmenté la rémunération de ses services.

Talleyrand tapota le sol de sa canne. Sa façon d’applaudir. Il prit la parole et sa voix charmait, vous faisant croire que vous étiez quelqu’un de remarquable.

— Monsieur le major Margont, faites de votre mieux pour arrêter cet assassin. Aidez Paris et défendez vos idéaux !

Ce renard méritait sa réputation. Tandis que Joseph s’obstinait à penser que Margont allait lui obéir parce qu’il était Joseph Ier, Talleyrand, lui, faisait immédiatement mouche. Ces quelques mots étaient pareils à un index qui se posait sur l’hématome de l’âme de Margont. Les jours à venir allaient être critiques. En cas de défaite de Napoléon, la France subirait l’occupation militaire des puissances coalisées contre elle. Or, toutes étaient des monarchies ou des empires. Les acquis de la Révolution, de la République et de l’Empire seraient écrasés tels des cafards sous les bottes de ces monarques.

— Troisième cas de figure : le coupable est un proche du colonel, ajouta Margont, et il tente de lancer les enquêteurs sur une fausse piste.

Joseph secoua la tête.

— Notre informateur est formel : les Épées du Roi ont la hantise des espions. Ils se méfient de tout et de tout le monde. Ils protègent leurs secrets. Or il s’agit de leur emblème, il n’y a pas d’erreur possible, et seuls ceux qui font partie de leur comité directeur le connaissent, ainsi que Savary, le ministre de la Police générale, et moi-même. Non, il est clair que l’un des leurs – ou plusieurs ? ― est l’auteur de ce crime.

Margont observait comment Joseph disposait les pièces sur l’échiquier. Napoléon, la Grande Armée devenue si petite, mais pourtant encore redoutable, Louis XVIII, les royalistes, les multitudes de pions des armées alliées, un colonel assassiné, un ou des coupables, un espion peu fiable, Paris... Mais lui, où espérait-on le placer ?

— La Police générale me paraît tout à fait capable de mener cette enquête, commenta-t-il prudemment.

— Et c’est ce qu’elle va faire, major. Vous, vous allez devenir membre des Épées du Roi.

— Comment ? hurla Margont. Mais vous voulez ma mort ? Je refuse de...

— On ne me refuse rien ! La décision est déjà prise.

— Je suis incapable de réussir ! Je ne parviendrais jamais à me faire passer pour un aristocrate et, au premier faux pas, je serais...

— Au contraire ! Vous êtes l’homme rêvé pour cette mission. Vous avez passé plusieurs années de votre enfance dans l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, parce que votre oncle voulait faire de vous un moine, même si c’était contre votre gré. Reprenez cela tel quel ! La même histoire est arrivée à bien des fils cadets de la noblesse dont le père était soucieux de léguer tous ses biens à l’aîné. Vous savez lire et écrire, vous connaissez le latin... Vous allez vous faire passer pour le chevalier Quentin de Langés. La famille de Langés existait bel et bien, nous n’avons pas choisi ce nom au hasard. Elle appartenait à la noblesse languedocienne et elle a été massacrée durant la Révolution, vous lirez son histoire dans les documents que nous vous fournirons. Donc si les Épées du Roi envoient l’un des leurs enquêter sur votre passé, il trouvera effectivement des traces : un nom par-ci par-là, un château incendié dont il ne reste rien... Et avant qu’il ait fait les trois cents lieues aller-retour... Vous êtes officier ? Des dizaines de milliers d’aristocrates qui avaient émigré sont revenus en France pour bénéficier des amnisties généreusement accordées par l’Empereur. Un bon nombre d’entre eux ont choisi la carrière militaire. Il n’y aura que peu de mensonges à ajouter à votre propre histoire pour faire de vous un bon royaliste et, moins vous mentirez, plus vous serez crédible.

— Je serai démasqué et on me retrouvera dans la Seine ! Vous possédez déjà un informateur...

— Nous n’avons aucune confiance en ce Varencourt. Il nous faut un homme loyal. L’affaire est devenue de première importance, on ne peut pas s’en remettre à un mercenaire.

— Quand il aura perdu votre argent sur les tables de jeu, c’est ma vie qu’il misera ! Il a monnayé ses amis, il se rachètera à leurs yeux en me dénonçant, puis il vous vendra les noms de ceux qui m’auront poignardé !

Joseph haussa le ton, gesticula, rougit... Il ressemblait à un verre qui, agité par une main en colère, déborde de vin rouge.

— Taisez-vous ! Ce sont mes ordres ! Croyez-vous que quiconque ici se soucie de votre avis ? Continuez et je vous envoie galoper dans les pattes des cosaques ! Silence !

Sur le bureau était amassé un fatras de papiers, de livres et d’objets. Il poussa le tout des deux mains en direction de Margont.

— Voilà tout ce qu’il vous faut : la biographie du chevalier Quentin de Langés, un passeport en règle stipulant que vous êtes revenu en France en 1802 pour bénéficier de l’amnistie du 6 floréal an X, une chevalière aux armoiries des Langés – que vous ne porterez pas, mais garderez chez vous –, la clé de votre logement, un peu d’argent, des fausses lettres de votre ancienne maîtresse qui est restée en Écosse, des ouvrages décrivant Édimbourg où vous avez vécu dans la misère, ce qui a fini par vous contraindre à rentrer, quelques précisions sur les régiments dans lesquels vous avez servi – le 18e et le 84e, que vous connaissez bien –, une liste d’expressions chéries par les royalistes, un résumé des renseignements que nous a fournis Charles de Varencourt... Apprenez tout par coeur, puis détruisez ce qui doit disparaître.

— Votre Excellence, pourquoi n’employez-vous pas vos propres agents ? Eux ont l’habitude de ce genre de prouesses.

— C’est trop risqué. Paris est devenu le rendez-vous des comploteurs et des traîtres. Je ne me fais aucune illusion : du fait de nos difficultés, des fonctionnaires impériaux, des militaires et des dignitaires nous trahissent. Je suis persuadé que les noms d’un grand nombre de nos agents ont été divulgués à nos adversaires. Il nous faut du sang neuf !

— Quitte à le faire couler, ce sang neuf...

— Cela suffit !

Mais Talleyrand, au contraire, acquiesça avec jovialité.

— Bien ! De la repartie ! Un conseil : comportez-vous de la sorte avec les Épées du Roi. Soyez fier, arrogant ! De la morgue aristocratique et vous sonnerez vrai !

— Oui, c’est très juste... approuva aussitôt Joseph.

Margont tentait de voir où Talleyrand glissait sa main pour manipuler cette marionnette. Joseph continua comme si de rien n’était, si habitué à ses contradictions qu’il ne les voyait plus.

— La Police générale va mener une enquête. Elle ignorera votre existence, car il y a des fuites de leur côté. Elle me transmettra ses rapports, dont je ferai parvenir les copies à un homme de confiance que vous choisirez vous-même pour vous seconder. Celui-ci les lira avant de les brûler.

— Qu’il pense à manger les cendres... plaisanta Talleyrand.

— Puis il vous informera oralement de la teneur de ces documents. Je vous déconseille vivement de manipuler vous-mêmes ces écrits ! Procédez comme je viens de vous le dire. Votre homme se fera connaître de ma police en se présentant au 9, rue de la Fraternité, sous le nom de « M. Gage ». Il demandera à parler à M. Natai. Ce dernier sera l’intermédiaire entre vous et moi. Il lui remettra des copies de divers documents, dont tous les dossiers de police concernant cette affaire et les informations précises que nous a fournies Charles de Varencourt. Ne rencontrez jamais vous-même ce M. Natai ! Pour le reste, je vous laisse agir à votre guise. Seuls m’importent les résultats. Tenez-moi informé en faisant des comptes rendus oraux à votre homme de confiance, qui les retranscrira et les remettra à M. Natai.

Talleyrand posa les mains sur le pommeau de sa canne. Il s’y appuyait, mais ne se levait toujours pas. Ses gestes étaient pareils à ses phrases : il était difficile d’en percer l’intention exacte.

— À chacun sa tâche dans cette enquête : à vous les royalistes, à la Police générale les autres pistes, le tout supervisé par la Police personnelle de Sa Majesté Joseph Ier. Voilà qui résume votre première mission.

— Ah ! parce qu’il y en a une deuxième ? s’irrita Margont.

La tension augmenta chez ses interlocuteurs. Aux rides apparues sur le front de Joseph répondait la crispation des doigts du prince de Bénévent. Chacun des deux attendait que l’autre prît la parole et, bien entendu, Joseph céda le premier.

— Tout à l’heure, j’ai fait allusion à un gibier de tout premier ordre, le comte Boris Kevlokine. Il s’agit de l’agent principal du Tsar. Depuis plusieurs mois, il se cache ici, à Paris, et nous devons absolument nous emparer de lui.

— Sans violence ! Sans violence ! intervint Talleyrand en martelant chaque mot d’un coup de canne sur le parquet.

— Cet homme nous espionne, évalue nos forces, essaie de savoir si la population française est prête à se battre jusqu’au dernier homme pour l’Empereur ou si, au contraire, elle accepterait un autre gouvernement... Il supervise les agents russes, noue des relations avec les organisations royalistes, tente de prédire si le retour éventuel d’un roi de France déclencherait une deuxième révolution, cherche à deviner ce que manigancent les espions anglais, prussiens et autrichiens qui pullulent dans la capitale... Il est compétent, dispose de crédits illimités et a vécu à Paris. C’est l’un des hommes clés de la politique du Tsar à notre égard. Or le comte Kevlokine pense qu’une guerre à outrance contre nous risquerait de déclencher un soulèvement national. Il est donc en faveur d’un compromis. C’est un modéré !

Joseph joignit les mains, comme s’il allait implorer Dieu de lui venir en aide.

— Comprenez-vous bien les enjeux, major ? Notre espoir de victoire réside dans la dissolution de la coalition ! Les Saxons, les Bavarois et les Wurtembergeois craignent les velléités hégémoniques des Prussiens. Les Prussiens haïssent les Autrichiens parce qu’eux aussi veulent dominer les peuples allemands, en ressuscitant le Saint-Empire romain germanique, mais sous leur tutelle. Les Autrichiens détestent les Russes, car leur puissance rivalise avec la leur. Les Russes disputent le contrôle de la Finlande aux Suédois. Les Espagnols sont les rivaux des Portugais, en particulier en Amérique du Sud. La plupart de ces pays se méfient des Anglais. Ils se sont pratiquement tous battus les uns contre les autres et ils ne s’entendent sur rien tant leurs intérêts s’opposent. La haine de l’Empereur et des idées républicaines est le seul ciment qui maintient debout cet édifice abracadabrant. Chaque camp suit sa propre idée quant à l’avenir de la France. Les Russes veulent abattre Sa Majesté Napoléon Ier, mais ne savent pas par quel régime le remplacer ; les royalistes émigrés ne jurent que par Louis XVIII ; les Anglais sont eux aussi favorables aux Bourbons ; le prince héritier de Suède, Bernadotte, soutient qu’il faut rétablir la monarchie, mais que c’est lui-même qui devrait être couronné roi des Français ; l’Autriche aimerait une régence jusqu’à ce que l’Aiglon soit en âge de devenir Napoléon II, seulement elle souhaite bien sûr que cette régence soit assurée par l’impératrice Marie-Louise, puisque l’épouse de notre empereur est aussi la fille du leur ; d’autres penchent également pour une régence, mais à la condition absolue qu’elle ne soit pas confiée à Marie-Louise...

Joseph marqua une pause. Il cherchait le moyen de résumer ses pensées, ce que Talleyrand fit pour lui.

— Actuellement, le Tsar est notre adversaire le plus virulent et nous ne parvenons pas à nous faire entendre de lui. Il ne pense qu’à se venger d’Austerlitz, de la bataille de la Moskova, de la perte de Moscou... Malheureusement, lors de chaque négociation – et il y en a presque continuellement ! –, nos émissaires, dont le général Caulaincourt, le ministre des Affaires étrangères, sont reçus par tous les Alliés en même temps, car ces derniers veulent justement nous empêcher de tirer profit de leurs désaccords. Impossible de voir les Autrichiens, puis les Russes, ensuite les Autrichiens... Or, ce dont nous avons besoin, c’est de l’oreille du Tsar, en privé ! Lorsque nous aurons celle-ci, nous y déverserons les mots qu’il faut : si l’Empereur conserve son trône, la France demeurera un pays fort, ce qui diminuera la marge de manoeuvre de l’Autriche, de la Prusse et de l’Angleterre. Au grand bénéfice de la Russie ! Cette oreille, ce pourrait bien être ce comte Kevlokine. Si nous l’arrêtons, nous le convaincrons de la justesse de nos arguments, nous le libérerons et il plaidera notre cause auprès du Tsar. Celui-ci l’écoutera avec attention, car ce sont des amis d’enfance et il tient le comte en haute estime ! Et si Alexandre cesse de s’obstiner à ne considérer que le court terme et comprend enfin où est l’intérêt de la Russie, tout deviendra possible ! Car, depuis les récentes victoires de l’Empereur, les négociations bénéficient d’un second souffle. L’Angleterre, l’Autriche et la Prusse n’excluent plus la possibilité que l’Empereur conserve son trône, mais avec une France ramenée à ses frontières de 1789. Il faut saisir cette chance ! Le Tsar demeure le seul adversaire majeur qui s’acharne à refuser cette solution. Si nous parvenons à le faire changer d’avis, nous obtiendrons la paix par la diplomatie !

Russie, Autriche, Suède, Angleterre, Prusse... Margont n’avait pas l’habitude de raisonner à une telle échelle. Lui considérait le monde au niveau des individus, de chaque homme en particulier. Mais il connaissait la réputation de Talleyrand. Ce négociateur de génie pouvait réellement réussir à convaincre le Tsar. Il faisait partie des rares personnes encore à même d’aider Napoléon à éviter le désastre et à empêcher que la France ne soit envahie.

Joseph reprit la parole, vexé de voir Talleyrand se montrer clair et convaincant tandis que lui-même s’égarait ou hésitait. Ils marchaient côte à côte dans le labyrinthe de la situation politico-militaire. Le prince de Bénévent laissait Joseph se précipiter dans un cul-de-sac ou s’énerver sur une porte fermée. Puis il lui disait, mielleux : « Par ici, peut-être... » Et de reprendre leur route. Néanmoins, si son chemin menait effectivement quelque part, seul lui savait où exactement.

— Nos meilleurs limiers sont sur la piste de ce Kevlokine : policiers, espions, traîtres en tout genre, diplomates qui l’ont côtoyé... Tous les groupes royalistes de la capitale tentent d’entrer en contact avec lui, pour obtenir de l’argent, des informations et que sais-je encore. Ils veulent également l’amener à soutenir la cause d’une restauration auprès du Tsar. Et Kevlokine, de son côté, cherche lui aussi à rencontrer les meneurs de ces groupes, pour les aider à semer le trouble et pour évaluer si Louis XVIII disposerait d’un réel soutien s’il montait sur le trône. Si jamais les Épées du Roi parviennent à se mettre en rapport avec lui, vous devez immédiatement nous en informer ! Votre priorité sera alors d’en apprendre le plus possible à ce sujet afin de nous permettre d’arrêter cet homme.

— Comment cela, ma priorité ? Et l’enquête sur l’assassinat du colonel Berle ? s’emporta Margont.

Joseph cligna des yeux. Vraiment, cet homme l’irritait à refuser de s’aplatir comme une carpette devant lui. Il aurait voulu choisir quelqu’un d’autre, un « monsieur Ouivotremajesté ». Mais il n’avait que Margont sous la main.

— Major, arrangez-vous pour courir deux lièvres à la fois ! Tous nos lévriers cherchent le comte Kevlokine tandis que vous, vous vous occupez de votre enquête. Cependant, si l’agent du Tsar vient à passer à votre portée, ne le manquez pas ! Monsieur le prince de Bénévent...

Talleyrand hocha la tête.

— J’ai déjà rencontré le comte Kevlokine, à l’époque où j’étais ministre des Relations extérieures et où nos rapports avec la Russie étaient meilleurs... Il a quarante-cinq ans, une forte corpulence, un visage charnu aux lèvres rosées, des cheveux d’un gris vif-argent, des yeux bleu clair éternellement cernés, un teint blafard qui contraste avec ses joues sanguines – car il a un vieux penchant pour la boisson –, des gestes maniérés... Il sait se montrer chaleureux. Il parle avec un léger accent, qui se décèle surtout quand il roule les r. C’est un esprit brillant. Voilà qui devrait vous permettre de l’identifier si vous êtes amené à croiser sa route. M. de Varencourt n’a jamais mentionné le nom de Kevlokine. Ne l’interrogez surtout pas à ce sujet. Ne courons pas le risque d’attirer son attention sur le comte Kevlokine. En ce qui concerne M. de Varencourt, nous préférons le laisser venir plutôt que de lui révéler nos intentions exactes avec des questions maladroites.

L’entretien touchait à sa fin. Joseph se dit que cet officier avait eu son compte de coups de bâton et qu’il était temps de lui jeter une carotte.

— Quelle récompense demanderez-vous, lorsque vous aurez accompli votre mission avec succès ?

Margont, quoique surpris par la question, bondit sur l’occasion.

— Je souhaite obtenir l’autorisation de lancer un journal, Votre Excellence.

Une rébellion ! Joseph ressemblait à un prêtre qui voit son interlocuteur invoquer le diable dans sa propre église. Talleyrand lui-même ne pouvait cacher son étonnement, mais il se ressaisit :

— Vous êtes sûr que vous ne préférez pas de l’argent, comme tout le monde ? Et puis, c’est tellement moins dangereux...

— Je me permets d’insister. Je souhaite devenir journaliste. J’ai toujours aimé les mots, les idées, les débats, l’art, la culture... Le...

— C’est impossible ! trancha Joseph.

Le prince de Bénévent ajouta :

— Les meilleures gazettes sont celles dont les pages sont blanches. Ainsi, elles ne blessent personne. Dois-je vous exposer le principe du journalisme dans l’Empire ? L’Empereur déclare quelque chose, cela devient la vérité et les journalistes retranscrivent la vérité. Or vous ne possédez manifestement pas cette qualité de savoir répéter tout en ayant l’air de parler par vous-même, un peu comme un écho...

Joseph revint en terrain connu.

— Vous toucherez cinq mille francs ! Et le double si vous nous permettez de nous emparer du comte Kevlokine.

— Vous pourrez ainsi financer votre journal, major. En Louisiane, ou au Siam... La liberté d’expression est une belle chose à condition d’exprimer ce que l’on vous dit d’exprimer, ou d’exprimer autre chose, mais alors en le faisant très loin d’ici.

Cela ressemblait à un marchandage. Décidément, Margont ne parlait pas la même langue que ces gens-là. Joseph sortit une feuille d’un tiroir et la signa. Il y apposa son sceau et la tendit à Margont.

— Lorsque l’on joue un rôle, il est important de pouvoir prouver qui l’on est en réalité...

Cette lettre précisait la véritable identité de Margont, son grade et le fait que Joseph l’avait chargé d’une mission confidentielle.

— Major, ce document peut vous sauver la vie comme il peut vous faire tuer. À vous de savoir le cacher et d’en faire bon usage. Maintenant, dépêchez-vous ! J’ai fait en sorte que la Police générale ne soit avertie qu’à midi. Avant son arrivée, vous avez juste le temps de repasser à votre caserne pour revêtir un habit civil et de vous rendre au 10, rue de Provence – non loin de l’église de la Madeleine –, pour examiner de vos propres yeux la demeure de la victime.

— Le colonel Berle vous y attend... précisa Talleyrand.

Il pouvait parler avec un cynisme stupéfiant tout en ayant l’air d’être sérieux.

— Vous passerez par la porte de derrière, celle des domestiques, reprit Joseph. Un dénommé Mejun vous ouvrira. Il vous attend. Vous le reconnaîtrez au fait qu’il boite. Ne vous adressez qu’à lui ! Ne révélez rien aux autres !

— Je m’en doute, Votre Excellence. Si l’assassin était si bien renseigné, c’est que des serviteurs ont dû parler...

— Mais pas Mejun, qui servait le colonel depuis vingt ans, d’abord comme soldat, puis comme valet. Je vous donne l’ordre de prendre l’emblème des Épées du Roi pour le remettre à Mejun. Dans un deuxième temps, des agents de ma police personnelle viendront le récupérer. Ce sont eux qui se chargeront de se renseigner sur cet indice.

— Avec tout mon respect, Votre Excellence, je préférerais garder cet...

— La seule chose que vous devez préférer, c’est m’obéir ! Ma police s’occupera de ce symbole ! Elle a l’habitude de ce genre de tâche. Si elle découvre quoi que ce soit à son sujet, vous en serez informé par l’intermédiaire de celui que vous aurez choisi pour vous seconder dans cette enquête. Moins vous aurez entre les mains d’objets compromettants, moins vous courrez de risques.

Il se tut, pour savourer le plaisir de voir Margont s’abstenir de formuler une nouvelle objection, puis reprit :

— Cet indice doit demeurer secret. Parce que si l’un des buts que poursuit l’assassin est effectivement que la Police générale le découvre, eh bien nous ne lui donnerons pas ce qu’il veut ! Ensuite, vous rencontrerez Charles de Varencourt, au café Chez Camille, au Palais-Royal, arcade 54, ce soir, à neuf heures. C’est lui qui vous repérera, parce que nous lui avons fait savoir que vous avez une cicatrice à la joue gauche, comme l’indique votre dossier, et parce que vous serez en train de lire en même temps Le Moniteur et le Journal de Paris. Il vous livrera diverses informations et vous déterminerez avec lui la façon dont il vous fera admettre chez les Épées du Roi.

— Bonne chance, major Margont... conclut Talleyrand.

Dans sa bouche, ces mots sonnaient comme une épitaphe.

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