CHAPITRE XVIII

Les aiguilles étaient alignées sur la table, de même que les pots en terre cuite. Cette organisation géométrique le rassurait. La première avait été enduite de curare quarante-huit heures plus tôt, la suivante trente-six heures, puis trente, vingt-quatre, dix-huit, douze, neuf, six, cinq, quatre, trois, deux et une. Il saisit la plus ancienne et s’approcha du lapin qu’il avait acheté aux Halles. L’animal tremblait dans sa cage, tentait de se faufiler entre les barreaux... L’homme le piqua, la bête grogna et se mit à bondir dans sa prison. Cette agitation accélérait la circulation du sang et précipitait l’action du poison. Le lapin continua à se démener et à heurter les parois. Échec. Au bout de quarante-huit heures, le curare s’évaporait ou s’altérait à l’air libre et n’agissait plus. Il s’était attendu à ce genre de problème... Ce produit était mal connu, d’une part parce qu’il était fort difficile de se le procurer et, d’autre part, parce qu’il en existait des multitudes de variantes.

Il prit l’aiguille suivante et piqua à nouveau son cobaye. Nouvel échec. Les mouvements de l’animal, plus désordonnés que jamais, contrastaient avec l’ordonnance irréprochable des aiguilles. Troisième essai, troisième échec. Le produit s’était-il détérioré à l’intérieur même du pot ? Quatrième piqûre, même absence de résultat. Il sentait la colère l’envahir. Il eut envie de tordre le cou à ce stupide lapin, de faire craquer ses vertèbres pour le rendre aussi immobile que les autres objets de la pièce. Mais il contint cette montée de rage. Il avait l’habitude.

L’aiguille des quatre heures fut efficace : mort instantanée. Une fois l’aiguille enduite de curare, il tenterait donc d’agir en moins de quatre heures. C’était peu... Par conséquent, il lui faudrait dissimuler le pot sur lui, au cas où trop de temps s’écoulerait et où il lui faudrait réimprégner son aiguille... Peu importait ! Il avait le poison, tout le reste n’était plus qu’une question d’organisation, de méthode.

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