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« L’aspect principal de ma tentative a été la rupture avec le monde extérieur, par conséquent la suppression de la cadence normale du temps, la succession des nuits et des jours, et plus l’absence de contacts sociaux. Ainsi vivant selon le rythme interne et ancestral de l’homme, j’ai voulu voir s’il se brisait ou non… »

Michel Siffre, Hors du temps (1963)

Deux oranges, deux bouteilles de vodka, deux paquets de gauloises, un briquet, une casserole, deux assiettes, deux fourchettes en plastique, deux gobelets transparents, cinq petites bouteilles de propane, et un réchaud Coleman avec un raccord.

Triste bilan des trois allers et retours de Michel vers la galerie. Farid s’est jeté sur les clopes, il a peiné à ouvrir le paquet, tant ses doigts tremblaient. Il tire à présent sur sa cigarette avec gourmandise. Je fixe Michel :

— C’est ça que vous appelez plein de trucs de survie ? Vous êtes sûr qu’il n’y a rien d’autre ?

— Pas au bord, en tout cas. Mais il y a un virage, je n’ai pas regardé derrière. Je vais aller y jeter un œil. Mais je voulais vous faire profiter de ce… de ces choses-là.

Je hoche le menton vers Farid.

— Curieux, pour les gauloises… C’est pas la marque que tu as demandée dans la tente ?

Après l’euphorie des premières bouffées, Farid se remet à grogner :

— Et alors ?

— Comment notre tortionnaire pouvait être au courant ?

— Qu’est-ce que j’en sais ? Moi, ce que j’ai remarqué, c’est que tout est par deux. Qui est de trop, ici, à ton avis ? Toi, le montagnard, lui, le deux de tension, ou moi, l’Arabe ? On le forme, le trio de choc.

Pokhara renifle furtivement chacun des objets, tandis que Michel secoue l’une des bouteilles de propane.

— Il y en a cinq, bien pleines. Ça veut dire qu’on va rester ici longtemps. C’est bien ça que ça veut dire ?

Je prends l’objet entre mes mains et l’étudie attentivement.

— C’est une belle réserve en effet. Une bouteille de ce type, c’est deux heures à plein régime, et huit à neuf heures à bas débit. Il y a de quoi tenir plusieurs jours, voire des semaines si on s’y prend bien.

— Tant de gaz, et il n’y a rien à cuire. Alors, à quoi ça sert ?

Sa question est stupide, mais elle reste sans réponse. Il repart vers la galerie, les épaules voûtées. Deux minutes s’écoulent. Et soudain, il revient en courant, à bout de souffle. On dirait qu’il a le diable aux trousses, il tombe, se relève, court à nouveau. Il s’arrête devant nous, lâche le casque à ses pieds et s’escrime sur sa face de boulons. Il en hurle de rage.

— Pourquoi ? Pourquoi !

En se redressant tout à coup, il tend le tuyau de la réserve d’acétylène, qui tire sur le casque et le propulse sur le côté sans que la flamme s’éteigne. Je force sur ma chaîne, en colère.

— Oh ! Faites gaffe avec notre lumière ! Bon sang !

Il ne m’écoute pas. Il va, vient, nerveux.

— Racontez-nous. Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?

— Quelqu’un… Il y a quelqu’un, derrière le virage.

Farid et moi, on se regarde. Je sens l’ombre d’un espoir me prendre aux tripes.

— Me dites pas qu’il est enchaîné, lui aussi.

Il secoue la tête.

— Non, non… Pas enchaîné… Il… Il est mort.

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