Le CHR, de nouveau, identique à lui-même.
Un peu plus tôt dans l’après-midi, Lucie avait prévenu le docteur Vandenbusche qu’elle souhaitait assister à la séance de travail à Swynghedauw. En attendant un début de piste et les retours des différents experts, l’occasion peut-être de comprendre l’univers dans lequel évoluait Manon, celui de l’oubli, et surtout de faire le tour des personnes que la mathématicienne côtoyait depuis le début de son suivi en ces lieux d’études.
Cintré dans une blouse blanche, un porte-nom sur la poitrine, le neurologue attendait Lucie dans le hall rouge vif de l’hôpital. Soigneusement coiffé, rasé de près, parfumé, il s’était glissé cette fois dans la peau d’un professionnel. Difficile de reconnaître en lui l’homme arraché de son lit au milieu de la nuit.
— J’ai fait au plus vite, dit-il après lui avoir serré chaleureusement la main. Voici la liste du personnel et des membres du groupe en contact régulier avec Manon. J’ai aussi indiqué les différents horaires pendant lesquels Manon travaille avec nous et avec les commerciaux de N-Tech. Le lundi, le mercredi et le samedi.
— Avez-vous précisé l’identité de ces commerciaux ?
— Évidemment, vous me l’aviez demandé. Et je respecte toujours mes engagements.
— Merci docteur.
Vandenbusche lui tendit un porte-nom. Toujours pas maquillée, certes, mais infiniment plus craquante que la veille, la petite.
— Appelez-moi Charles, si vous le voulez bien… Les porte-noms sont très importants ici, vous verrez… Votre…
Il désigna son front.
— Oh ! Ça va ! Juste une mauvaise porte…
— Ah bon… Suivez-moi, en attendant que Manon se réveille, j’aimerais vous présenter quelques cas très… intrigants. Ils vous aideront à comprendre le fonctionnement de notre mémoire et à aborder un tant soit peu l’incroyable machinerie du cerveau.
Lucie regarda sa montre. 16 h 51.
— Parce que Manon dort ici, à l’hôpital ?
— Les siestes l’aident à consolider son vécu de la journée. Le sommeil lent, après l’endormissement, favorise la mémorisation des faits et des épisodes. Ces conversations qu’elle enregistre, par exemple, ou ces notes qu’elle prend sans cesse.
— Ah, je vois ! Vous les lui diffusez en boucle pendant qu’elle dort.
— Non, pas pendant qu’elle dort. Ça, c’est une idée reçue. On n’apprend certainement pas une langue étrangère en se posant des écouteurs sur les oreilles et en dormant ! Le travail d’apprentissage se fait avant, le sommeil est juste là pour consolider. D’ailleurs, petit conseil, si vous avez des enfants…
Lucie revit ses filles…
— J’ai des jumelles de quatre ans. Clara et Juliette.
— Quand elles grandiront, faites-leur toujours réciter leurs leçons le soir, juste avant de les coucher, plutôt que le matin ou le midi. La magie du sommeil fera le reste.
Ils avançaient dans un décor étonnamment coloré. Chaises d’un bleu violent, rambardes jaunes, carrelage d’un rouge éclatant. Une construction de Lego géante, assez loin de l’idée qu’on se fait généralement des hôpitaux.
— Je vous parlais du sommeil lent, mais le sommeil paradoxal aussi joue un rôle primordial dans l’acquisition des connaissances. Il permet, entre autres, le stockage des automatismes dans la mémoire procédurale, comme apprendre à utiliser le N-Tech. Contrairement à ce que l’on croit, le sommeil est une période d’activité cérébrale très intense. On n’apprend pas à faire du vélo uniquement sur un vélo, mais aussi en dormant ! Surprenant, non ?
Il enfonça ses mains dans ses poches, fier de ses explications.
— Donc… Après son réveil, Manon saura enfin ce qui lui est arrivé hier ?
— N’allez pas trop vite. Tout sera très flou, et assez désorganisé. Il lui faut un peu plus de temps, de répétitions, de sommeil. Et elle n’aura en tête que les points essentiels.
— Mais c’est tout de même un bon pas en avant… Dites, doc… euh, Charles, j’aimerais savoir si, malgré son amnésie, Manon pourrait se souvenir un jour du sens des scarifications sur son ventre. Pensez-vous qu’il soit possible d’obtenir quelque chose… je ne sais pas… avec l’hypnose par exemple ?
Vandenbusche esquissa un léger sourire avant d’expliquer :
— L’hypnose a pour but de faire resurgir tout ce que le cerveau enregistre, même de manière inconsciente. Manon, elle, n’enregistre plus sans un effort soutenu, et les deux petites taches blanches révélées par IRM au niveau de ses hippocampes sont là pour nous rappeler qu’elle n’a ni passé post-traumatique, ni aucun élément lui permettant d’appréhender le futur. Les données ne sont pas en elle, tout simplement. Il est donc strictement impossible de les faire resurgir !
Ils s’engagèrent dans un couloir. Au sol, une moquette verte imprimée de grosses flèches grises indiquait la direction de la salle de travail. Le docteur poursuivit :
— Manon n’est pas la première de mes patientes à se scarifier, c’est même malheureusement assez fréquent. Pour ces personnes, la chair devient souvent l’unique moyen d’exprimer leur détresse intérieure, c’est un appel au secours. Ce qui est plus rare, c’est qu’elles se fassent aider dans leur geste, comme Manon avec son frère… Il s’agit d’un acte hautement personnel.
— Savez-vous pourquoi il l’a mutilée ?
— Pas plus qu’hier. Frédéric ne m’a rien avoué, je l’ai découvert moi-même parce que la cicatrice a été faite par un gaucher, et que Frédéric est gaucher. Sinon, je crois qu’il ne m’aurait rien dit. Il paraissait assez… secret et embarrassé à ce sujet, d’ailleurs.
Lucie songea aux chiffres et à l’énigme peinte sur le sol, dans la maison hantée de Hem. Tracés par un gaucher.
— Pour en revenir à notre sujet, continua Vandenbusche, ces mutilations ont dû être extrêmement douloureuses pour Manon. Et si son esprit ne se souvient pas de ces scarifications, son corps, lui, s’en souvient nécessairement.
— Je ne saisis pas bien.
— On n’a pas de réelle explication scientifique, mais le soma possède aussi une mémoire, mademoiselle Henebelle. Songez au membre fantôme par exemple, cette jambe amputée qui provoque encore des lancinements alors qu’elle n’existe plus. Et cela va encore plus loin. Que dire des réflexes néonatals ? Il ne s’agit de rien d’autre que de la mémoire des gènes. Savoir téter, respirer ou même crier.
Lucie eut un léger mouvement de recul. La mémoire du corps… Sa cicatrice derrière le crâne… Tellement présente…
— Mais si vous êtes sceptique, vous allez vite comprendre après cette expérience, ajouta le spécialiste en constatant le trouble de son interlocutrice.
Il s’arrêta devant une chambre fermée à clé. Numéro 209.
— Michaël Derveau est arrivé voilà une semaine. Il souffre du syndrome de Korsakoff, une pathologie engendrée par l’accoutumance à l’alcool, provoquant des lésions au niveau des corps mamillaires, des hippocampes et du thalamus.
— Jamais entendu parler.
— Et pourtant… L’une des principales causes d’amnésie antérograde. Michaël est incapable de se souvenir de quoi que ce soit après trente secondes et il ignore même qu’il est amnésique. Pour lui, tout est normal, il est complètement inconscient de sa maladie. Conséquence directe, il est aussi atteint de confabuladon, c’est-à-dire que de faux souvenirs meublent le grand vide du temps qui s’écoule. J’aimerais que vous entriez, que vous vous présentiez en tant que médecin, que vous lui serriez la main avec… cette épingle, en le piquant assez fort.
— Que je le pique ?
— Oui, pas trop fort tout de même… Ensuite, ressortez.
Lucie s’empara de l’épingle et vint se placer devant la porte, d’un pas hésitant.
— Vous ne risquez rien ! La rassura le neurologue. Nous n’avons pas affaire à un fou dangereux ! Et puis je reste là, derrière vous, vous n’avez qu’à laisser la porte ouverte.
Intriguée, Lucie tourna la clé dans la serrure et pénétra dans la pièce, la gorge serrée. Michaël lorgnait par la fenêtre, les mains dans le dos. C’était un jeune homme « normal », comme on en croise chaque jour dans la rue, ni tremblant, ni shooté, pas même de cernes sous les yeux, plutôt bien habillé.
Il se retourna.
— Ah ! Docteur…
Il plissa les yeux en direction du porte-nom.
— … Henebelle ! Pour les chemises que je vous ai demandées tout à l’heure…
Lucie lui tendit la main et l’interrompit :
— Euh… je ne les ai pas encore. Je revenais vous demander quelle couleur vous préfériez.
Il serra la main tendue et retira la sienne aussitôt.
— Aïe ! Bon sang de bonsoir ! Qu’est-ce que vous foutez ?
Lucie partit à reculons.
— Je vous rapporte vos chemises…
— Quelles chemises ? Eh ! Mais répondez !
Et elle claqua la porte.
— Parfait, fit Vandenbusche. Vous vous débrouillez très bien. Patientons quelques secondes…
Lucie faisait plus que se prêter au jeu, elle vivait l’expérience avec une passion malsaine. Comprendre les dysfonctionnements de cette chose bizarre, sous le crâne… Quelle fraction du cerveau générait les schizophrènes, les fous, les pervers, les Dubreuil ? Comment les neurones, des messages chimiques, des connexions purement électriques, créaient-ils la conscience, la mémoire, la ronde humanisante des sentiments ? Combien de millimètres défectueux, dans ces centaines de kilomètres de plis et de replis, engendraient les monstres ? Et elle, que lui était-il arrivé pour que…
Le spécialiste l’arracha à ses pensées.
— Allez-y…
Elle s’exécuta, pleine de curiosité. Cette fois, Michaël fouillait dans la poubelle. Il observa Lucie lors de son entrée. La jeune femme resta quelques secondes complètement déconcertée. Il ne la reconnaissait absolument pas, alors qu’elle venait de sortir ! Un Manon puissance dix.
— Vous ne savez pas ce que j’ai pu faire de mes clés de voiture ? l’interrogea-t-il en remuant à présent les draps de son lit. Ça fait des plombes que je les cherche ! Elles ont disparu, et tout le reste aussi !
— Vous… ignorez qui je suis ?
— Qui vous êtes ? Mais j’en sais rien, moi ! Un docteur, une infirmière, je m’en tape ! Je n’arrête pas d’appeler, mais pas un crétin ne vient m’aider ! Je veux juste récupérer mes clés ! Putain, c’est si compliqué ?
Lucie s’approcha de lui et lui tendit de nouveau la main.
Il s’avança vers elle et fit exactement le même geste que la première fois, mais comme par réflexe il s’interrompit avant que leurs paumes n’entrent en contact. Puis il enfonça sa main dans sa poche, troublé.
— Pourquoi vous ne me saluez pas ? s’étonna Lucie.
— Je… J’en sais rien. Je… On se connaît ?
Lorsque Lucie rejoignit Vandenbusche, celui-ci expliqua :
— La mémoire du corps… Celle associée avec notre mémoire implicite… Celle qui provoque les suées, qui accroît les pulsations cardiaques face à une situation déjà vécue mais dont on n’a pas forcément le souvenir. Son corps se rappelle que vous l’avez agressé, mais pas sa mémoire.
— C’est… stupéfiant.
— Même les patients les plus gravement atteints conservent cette mémoire, et nous pouvons ainsi les conditionner à exécuter certaines actions, comme apprendre à utiliser des organiseurs électroniques ou des ordinateurs. Le seul problème est que cette mémoire est inconsciente, et qu’on ne peut pas l’appeler quand on veut.
Il claqua des doigts.
— Je suis persuadé que Manon « sait » ce que ces cicatrices signifient, même s’il lui est impossible de faire revenir leur sens au-devant de sa conscience. Seul un événement déclencheur, ce que l’on nomme une « amorce » ou un rappel indicé, permettrait de tout faire resurgir. Il peut s’agir d’un geste, d’un mot, d’une situation qu’elle aurait à revivre. Songez à la madeleine de Proust, évoquant chez l’auteur son enfance et un tas de détails très précis, qu’il n’aurait pas pu se remémorer autrement qu’au travers de cette madeleine. Grâce à cette amorce, tout remonterait à la surface, Manon pourrait peut-être se souvenir pourquoi elle s’est sentie obligée de se mutiler ainsi. Tout le problème est d’être capable de retrouver ce déclencheur, et de l’invoquer. Et cela…
Ils avancèrent de nouveau dans le couloir. Lucie restait pensive, la détresse de Michaël l’avait profondément émue.
— Que va devenir Michaël, votre patient ?
Vandenbusche eut un haussement d’épaules désabusé.
— Hormis notre hôpital, il n’existe quasiment aucune structure en France pour accueillir les Korsakoff. Si vous ne souffrez pas d’Alzheimer ou d’une maladie « à la mode », vous n’êtes plus rien pour l’État ni pour la sécurité sociale. Avec un peu de chance, il restera avec nous pour un long séjour, et participera à MemoryNode. Mais je suis plutôt pessimiste. Il y a par exemple vingt-trois étapes à suivre pour savoir prendre et honorer un rendez-vous à l’aide du N-Tech. Vingt-trois, c’est beaucoup trop pour Michaël… Si rien n’évolue, alors… il partira pour l’hôpital psychiatrique. Ou des centres spécialisés, en Belgique par exemple.
— C’est choquant.
— Comme vous dites. Nous sommes les sous-sols de la société, cher lieutenant, les zones de stockage des laissés-pour-compte. Et la psychiatrie est malheureusement encore trop souvent le moyen de s’en débarrasser en toute discrétion. Une mise à mort de l’âme, tout simplement, à coups de camisole chimique.
Lucie tendit l’oreille. Au-dessus d’elle, des enceintes.
— Des chants de canaris, expliqua Vandenbusche en notant l’intérêt grandissant de la jeune femme pour ses anecdotes. Ils ont un effet apaisant. J’ai insisté personnellement pour qu’on les diffuse. Savez-vous que les canaris en changent à chaque printemps, et ce jusqu’à la fin de leur vie ?
— Je l’ignorais.
— Ce simple constat est d’ailleurs à la base d’un nouveau courant de réflexion, inimaginable il y a à peine dix ans. Il porte à penser que le cerveau adulte continue à produire des neurones, alors qu’on croyait que ce stock était maximal à la naissance et diminuait après un certain nombre d’années. Vous savez, l’histoire des vingt ans, où tout commence à se détruire dans l’organisme… Ce sont des pistes nouvelles et encourageantes pour les recherches sur Alzheimer, et la mémoire en général.
Ils croisèrent un patient, qui tout en marchant remplissait à une vitesse folle une grille de Sudoku.
— Docteur Vandenbusche, fit-il, c’est exactement la soixante-septième fois que je vous croise dans ce couloir ce mois-ci, et la vingtième sur cette dalle, la numéro douze en partant de l’entrée. Ça se fête, non ?
— Champagne, alors, plaisanta Vandenbusche en prenant élégamment Lucie par le bras pour le laisser passer.
Après qu’il se fut éloigné, Lucie demanda :
— Encore une bizarrerie de l’hôpital ?
— Damien est hypermnésique, tout l’inverse de Michaël. Sa mémoire n’a pas de limites, il retient tout. Il est capable de restituer des listes de mots, même dénués de sens, des mois, des années plus tard. Il vous a à peine regardée, mais si je lui demande dans trois semaines quelle tenue vous portiez le mercredi 25 avril 2007, il saura me répondre.
Il jeta un œil derrière lui avant d’ajouter :
— Je l’ai vu au bout du couloir, attendre puis se précipiter vers nous, afin de nous croiser à cet endroit précis… Pour que la somme des quantités qu’il nous a énoncées soit égale à quatre-vingt-dix-neuf… Damien est obsédé par ce nombre, et nul ne sait pourquoi. Même pas lui.
— Impressionnant. C’est un peu comme ce qu’on raconte de Mozart, qui avait une mémoire démente ?
— Ah Mozart… Malheureusement pour Damien, ce n’est pas exactement la même chose. Mais vous avez entièrement raison, Mozart était doué d’une mémoire prodigieuse. Ce qui lui a d’ailleurs permis de pirater de la musique avant tout le monde. Connaissez-vous cette anecdote ? Le 11 avril 1770, il a quatorze ans et écoute, à la chapelle Sixtine, l’œuvre musicale la plus secrète du Vatican, le Miserere d’Allegri. Un morceau joué deux fois par an, dont la partition est mieux gardée qu’un trésor. Quelques heures plus tard, tranquillement installé à sa table de travail, Mozart en retranscrit l’intégralité, sans aucune fausse note. Il ne l’a écouté qu’une seule fois.
— Non, je ne connaissais pas… Excusez-moi, Charles, mais je ne comprends pas bien ce que Damien fait ici. À priori il n’a pas vraiment de problème de mémoire, c’est plutôt l’inverse !
— Le problème, c’est que tous ces détails inutiles qu’il stocke monopolisent cent pour cent de son attention. Il n’arrive donc plus à saisir le sens général des dialogues ou de ce qu’il se passe autour de lui. N’avez-vous pas, vous-même, le cerveau encombré de vieux codes de carte bleue, ou de broutilles sans importance ?
— Pour ça, vous avez raison ! Quand j’étais gamine, mes parents avaient un chien, Opale. Un petit bâtard, avec un tatouage qui avait coûté plus cher que le chien lui-même. J’avais appris par cœur ce numéro de tatouage, RFT745. Eh bien, je m’en souviens encore, alors que je n’arrive pas à retenir le nouveau numéro de téléphone de la brigade.
— Voilà un exemple concret de mauvais filtrage, de dysfonctionnement… Nous n’avons pas encore compris comment le cerveau sélectionnait ce qu’il fallait retenir seulement quelques heures, quelques jours, ou toute une vie… Toujours est-il que Damien, lui, se perd dans tous ces souvenirs inutiles… Le cortex cérébral est fait pour apprendre, mais surtout pour oublier ! Cela fait partie de l’équilibre. Or, Damien n’oublie jamais.
Ils se remirent à suivre les grosses flèches grises.
— Notre cerveau est une machinerie prodigieuse inimitable. Les gens s’extasient, par exemple, devant les joueurs d’échecs, leur capacité à retenir des centaines d’ouvertures, mais savez-vous que les mécanismes mis en œuvre pour voir ou se déplacer sont encore beaucoup plus impressionnants ? La preuve, les robots ne savent pas le faire, ou très mal, alors qu’ils excellent aux échecs !
— C’est peut-être parce qu’on est tous capables de se déplacer, alors personne ne s’en rend compte. C’est presque… inné…
— Ce n’est pas inné, croyez-moi ! Il suffit qu’une infime quantité de matière grise ne fonctionne plus normalement, et on tombe immédiatement dans des cas extrêmes. Je traite par exemple un autre patient qui ne « voit » pas la partie gauche de son corps. Défaut de prioperception, ce que l’on appelle plus communément le sixième sens.
— Je pensais qu’on attribuait le sixième sens uniquement à la gent féminine… fit Lucie en souriant.
— Non, non. Le sixième sens, c’est fermer les yeux, et pouvoir, d’un geste, placer son index au bout de son nez sans taper à côté. C’est avoir la conscience de son corps. Essayez, vous verrez.
Lucie ferma les yeux. Le doigt pile sur le bout du nez. Ça marchait. Excellent sixième sens.
— Eh bien, pour en revenir à mon patient, les conséquences de ce défaut sont pour lui dramatiques. Son propre bras gauche l’effraie, il le considère comme étranger, et il se frappe sans cesse la jambe gauche en hurlant : « Va-t’en ! Va-t’en ! » Quand il mange, il ne mange que la moitié droite de son assiette… Idem lorsqu’il se coiffe, le côté droit, uniquement… Il faut vraiment le voir pour le croire, pourtant l’héminégligence existe… Puis il y a Carole, aussi, dont le corps calleux, cette substance blanche connectant les deux hémisphères cérébraux, est endommagé. Si le cerveau lui donne l’ordre de visser un boulon, la main gauche vissera correctement, mais la droite, elle, dévissera, persuadée qu’elle visse. Et Georges ! Oui, Georges ! Il…
Et, tandis que Vandenbusche continuait de parler — maladie de Whipple, virus de l’herpès, aires de Broca et Wernicke —, Lucie se mit à repenser à son séjour à l’hôpital, en pleine adolescence. Tous ces médecins, autour d’elle, penchés sur son cerveau… L’opération, à l’origine d’une longue cicatrice à l’arrière de son crâne, qui avait tout changé. Soudain, du bout des lèvres, elle murmura :
— La Chimère…
Il s’interrompit :
— Pardon ?
— La… La Chimère, ça… vous dit quelque chose ?
— Hormis le monstre mythologique ?
— Hormis le monstre mythologique…
Il répondit par la négative, continuant à avancer. Au moment où elle allait enfin oser lui faire part de ses découvertes, qui lui avaient causé tant de soucis, avaient généré tant d’incompréhension autour d’elle, Vandenbusche s’exclama :
— Manon !… Réveillée, et déjà installée ! Quelle ponctualité !
Il s’arrêta et se retourna vers Lucie.
— Cette Chimère. De quoi s’agit-il ?
— Rien d’important…
— Bon…
Il leva l’index.
— Ah ! Une dernière chose. Répondez rapidement s’il vous plaît. Quelles étaient les couleurs du hall d’entrée ?
Lucie fut surprise par la question.
— Bleu, jaune, rouge, vachement fashion. Pourquoi ?
— Remarquable mémoire visuelle. Je pense que cela doit vous servir dans votre métier, sur les scènes de crime notamment. Bref, passons… Si dans un an, je vous demande ce que vous faisiez le 25 avril 2007, vous ne vous souviendrez probablement plus. Mais si je vous donne l’amorce, l’épingle au creux de la main, par exemple… Michaël Derveau, MemoryNode, Manon, cet hôpital, le chant des canaris… vous vous souviendrez même de moi ! Mémoire autobiographique. Toujours dans un an, et même dans dix, vous saurez revenir ici sans aucun problème, vous saurez qu’il faut suivre cette moquette verte avec ses flèches grises pour atteindre la salle de MemoryNode. Mémoire procédurale. Vous saurez aussi ce qu’est un hippocampe. Mémoire sémantique. Enfin, pouvez-vous me citer les trois nombres qu’a énoncés Damien ?
— Euh… Il a parlé du nombre de fois qu’il vous avait rencontré… Et la somme faisait quatre-vingt-dix-neuf…
— Soixante-septième rencontre dans le couloir, vingtième sur la dalle, numéro douze en partant de l’entrée. Ces détails ne revêtaient aucune importance pour vous, ils ont disparu de votre mémoire de travail… Le filtre naturel de l’oubli, qui maintient l’équilibre… Voilà… J’espère que vous avez compris le rôle de chacune de nos mémoires.
Lucie acquiesça avant de lancer un regard en direction de la salle de réunion. Rien d’extraordinaire. Des chaises, une table, un tableau blanc, et les organiseurs N-Tech. Guère plus. Elle qui s’attendait à une débauche de technologie, à de l’imagerie, de gros scanners…
— Je sais, cette simplicité surprend, murmura Vandenbusche. Mais rappelez-vous qu’il n’y a, aujourd’hui, pas mieux qu’une feuille et un crayon pour faire progresser la mémoire. Mes plus anciens patients sont incapables d’allumer un ordinateur. Ils ne savent même pas que ces machines existent.
Manon était assise avec d’autres personnes dans la salle où Lucie et le spécialiste venaient d’entrer. Le lieutenant de police considéra attentivement la quinzaine de visages qui convergeaient vers elle. Hommes, femmes, de tous âges. Certains regards étaient absents, d’autres intrigués. Vandenbusche fit signe à Manon qui s’approcha, l’œil rivé sur les porte-noms. Vandenbusche… Sa physionomie ne lui disait évidemment rien, mais elle avait appris, elle le « savait » responsable de MemoryNode. Quant à cette Lucie Henebelle… Une sonorité, des syllabes familières.
— On s’est déjà rencontrées, n’est-ce pas ? lui demanda-t-elle avec un scintillement dans les yeux.
Lucie posa instinctivement la main sur son arcade sourcilière suturée.
— En effet, nous avons passé un peu de temps ensemble. Je suis…
— Lieutenant de police… anticipa Manon. Oui ! Oui ! Attendez ! J’ai quelque chose pour vous ! Je… Je ne vous ai pas encore appelée au téléphone ? Dites-moi ?
Lucie sortit son portable. Un message.
— Si ! Je n’ai pas dû entendre en conduisant.
Manon fouilla dans son N-Tech et entraîna Lucie loin du groupe, vers le fond de la salle. La flic retrouva immédiatement cette complicité, cette chaleur même, qui les avait liées dans l’enfer de l’orage. Proches et lointaines à la fois.
— Avec toutes mes notes, mes enregistrements et ce que j’ai entendu aux infos, j’ai essayé de reconstituer le chemin du Professeur. J’en ai déduit qu’il était au courant avant même de m’enlever, pour notre expression, quand nous étions jeunes et que nous nous rendions dans la maison hantée de Hem ! Pour « fâcher les Autres » !
Apparemment, les multiples répétitions et la sieste n’avaient pas été vaines.
— Je sais, répliqua Lucie, admirative. J’ai songé à la même chose, au cours d’une réunion de travail que nous venons d’avoir. Si le Professeur a obtenu cette information, c’est qu’il vous connaît, d’une manière ou d’une autre.
— Cela semble logique, mais j’ai réfléchi, et je ne vois pas comment c’est possible. Non, vraiment pas.
— Vous habitez une impasse du Vieux-Lille, très peu fréquentée. Nous n’avons pas de témoins, il nous est difficile de savoir ce qui est arrivé. Mes collègues ont réalisé une enquête de voisinage ce matin, à l’heure où vous partez normalement pour votre footing. Personne n’a rien remarqué. Et d’après votre frère, rien n’a été renversé ni volé dans votre appartement. Peut-être… avez-vous volontairement suivi ce ravisseur, parce que vous le connaissez… Parce que sa photo se trouve à l’intérieur de votre N-Tech.
Manon désapprouva de la tête et se palpa discrètement le flanc : gauche. Elle devina un bloc métallique, froid, qui ressemblait à… une arme ?
— Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta Lucie.
Manon croisa les bras, dissimulant maladroitement son trouble.
— Non, non, rien… C’est juste… Avec tout ce qu’il se passe. Mon… Mon enlèvement…
Elle se frotta légèrement le poignet droit.
— De quoi discutions-nous ?
— Du fait que votre ravisseur évoluait sans doute dans votre environnement. Pendant ces quatre années, il s’est peut-être servi de votre amnésie pour s’approcher de vous. Il a très bien pu attendre que vous fabriquiez des souvenirs de lui comme étant une personne de confiance pour ensuite vous tromper. Il est peut-être là, tout proche. Manon, il me faudrait votre N-Tech.
La jeune femme crispa ses doigts sur l’engin et se retourna vers le reste du groupe, inquiète.
— Non, non. Je ne peux pas vous le laisser. Il s’agit de mon intimité.
Lucie remarqua un homme avec une fine barbe qui les fixait avec insistance. Elle se mit à chuchoter :
— Je ne vous demande pas de tout me livrer, juste ce qui m’intéresse. Vous devez absolument me donner l’identité de toutes les personnes que vous connaissez. Vous les photographiez toujours, n’est-ce pas ?
La mathématicienne hocha la tête.
— Et vous pouvez me les montrer ?
— Si vous voulez. Mais… attendez…
Manon déclencha l’enregistreur, ferma les yeux et résuma ce que les deux femmes venaient d’échanger. L’absence de témoins, la probabilité d’avoir déjà croisé le Professeur. Elle observa les participants dans la salle, coupa le micro et demanda, après un nouveau coup d’œil sur le porte-nom :
— Qu’est-ce que vous vouliez, déjà ?
— Les photos de vos connaissances, dans votre N-Tech.
— Pour quoi faire ?
— Manon… Je viens de vous l’expliquer !
La jeune amnésique hésita, avant de dire :
— Il y en a énormément, vous savez ? Dès qu’une personne entre en contact avec moi, je la photographie.
Puis elle ouvrit le dossier « Photo » et fit défiler les portraits, accompagnés d’un maigre descriptif. Médecins, amis, famille, livreur de pizza, facteur, plombier, patients de MemoryNode. L’homme à la fine barbe, Alain Schryve, y figurait. Des dizaines et des dizaines de visages.
— Minute ! Revenez en arrière ! s’exclama Lucie.
Manon obtempéra.
— Hervé Turin ?… « Ne plus jamais travailler avec ce pervers. » Mais pourquoi ?
Manon haussa les épaules et plaqua son N-Tech contre sa poitrine, la bouche serrée.
— Vie privée, cela ne vous concerne pas… Je… Je ne montre ces photos à personne. Vous le connaissez ?
Lucie prit un ton apaisant.
— Il est revenu aujourd’hui sur l’affaire, ici, à Lille.
— Revenu ? À Lille ? Pourquoi ?
— C’est lui qui a la plus grande connaissance du dossier Professeur, et il a l’air très compétent. Je me trompe ?
Manon baissa le menton. Après un temps de réflexion, elle répondit :
— Non, non… Il est brillant… Et acharné…
— Vous vous connaissez bien ?
Manon soupira.
— Avant le… cambriolage, nous avons… collaboré… Je lui faisais part de mes idées, de mes déductions concernant les problèmes mathématiques et, en retour, il me communiquait les éléments sensibles du dossier. Nous avons… beaucoup voyagé ensemble, dans les villes où ont eu lieu les meurtres…
Sa voix était empreinte de rancœur. Que signifiait : « Nous avons beaucoup voyagé ensemble » ? Lucie insista :
— Dans votre N-Tech, vous avez noté : « pervers ». Pourquoi ?
Manon referma le dossier « Photo » et revint au menu principal.
— La séance va commencer, madame… fit-elle en relevant la tête. Je vais devoir y retourner.
Lucie lui caressa doucement le dessus de la main pour attirer son attention.
— J’ai vu comment Turin regardait les femmes. Il a été incorrect avec vous ?
Manon voulut se diriger vers son groupe mais Lucie, cette fois, y alla plus fermement en lui agrippant le bras.
— Répondez Manon ! Il vous a harcelée ?
Manon éleva la voix.
— En quoi cela vous regarde-t-il ? Est-ce parce que je n’ai plus de mémoire que je ne peux plus avoir de vie privée ? Mon passé est intact ! Vous pouvez admettre cela ? Dites-moi !
Lucie relâcha son étreinte. Toutes les têtes étaient tournées vers elles.
— Vous avez raison, excusez-moi… Mais… il me faut cette liste de contacts… Vous avez ma carte avec mon émail…
— Je vous l’enverrai tout de suite après la séance ! Vous voyez, je le note ! Et maintenant, laissez-moi tranquille !
En validant sa tâche, Manon constata qu’il en existait une autre qu’elle n’avait pas cochée. Elle consulta la page concernée et dit, se rapprochant de Lucie :
— Ah ! Je devais vous appeler au téléphone…
Son ton était complètement différent, bien plus doux. On aurait dit qu’elle avait déjà oublié son coup de colère.
— Vous l’avez fait. Vous avez laissé un message que je n’ai pas encore écouté.
— Quand je vous…
L’air incrédule, elle considéra l’arcade sourcilière de Lucie, les sutures.
— … ai frappée, cette nuit, il était à peu près 5 h 30 d’après ce qu’on m’a dit et que j’ai enregistré, n’est-ce pas ?
— Ça, je m’en souviens parfaitement, oui ! Vous m’avez prise pour je ne sais quoi, et vous avez cogné ! Vous n’y êtes pas allée de main morte !
Manon entraîna Lucie plus à l’écart. Elle chuchotait presque, à présent.
— Désolée pour cela, je…
— Laissez tomber. Ce n’était pas votre faute. Enfin… pas vraiment.
— Dites-moi, à ce moment-là, Dubreuil était décédée depuis combien de temps ?
— Plus d’une bonne quinzaine d’heures. D’après le légiste, elle a été tuée aux alentours de midi, hier.
Manon ne put réprimer un mouvement de surprise. Elle nota scrupuleusement l’information dans son N-Tech puis se remit à parcourir les pages électroniques.
— Ces endroits qui concernent notre affaire… Raismes, Hem, Rœux, eh bien, ils forment un triangle équilatéral, les trois côtés sont strictement égaux. Prenez une carte routière, et vérifiez ! Vérifiez ! Exactement cinquante kilomètres entre l’abri dans la forêt, proche de Raismes, et Hem, entre Hem et Rœux, et entre Rœux et la forêt !
— Oui, et alors ?
— Et alors, il s’agit d’une figure mathématique fondamentale ! Trois lieux qui, a priori, n’ont rien à voir, mais liés par la rigueur scientifique !
Elle déplaça son stylet sur l’écran tactile et afficha d’autres informations.
— Puis il y a ces décimales de π dont je voulais vérifier l’exactitude. J’ai dégoté un logiciel sur Internet capable de trouver n’importe quelle séquence dans le premier milliard de décimales. J’ai bien retrouvé le numéro de sécurité sociale de Dubreuil, le Professeur ne nous a pas trompées. Position 112 042 004 dans π. Vous pourrez, là aussi, vérifier. Tout est exact, croyez-moi !
Lucie était impressionnée par la persévérance de Manon.
— Évidemment, je vous crois.
La jeune amnésique parut soudain absente, comme repartie dans ses pensées.
— Manon ? fit Lucie en agitant la main dans son champ de vision.
— Oui, oui… C’est juste cette énigme. « Si tu aimes l’air, tu redouteras ma rage ». Je ne comprends pas…
— Certes. Mais je ne vois toujours pas où vous voulez en venir avec ces histoires de triangle et de π.
Manon jeta un rapide coup d’œil sur son N-Tech avant de reprendre :
— C’est pourtant simple ! Il ne nous bluffe pas sur π. Cerise sur le gâteau, il pousse le vice jusqu’à bâtir un triangle équilatéral. Et, d’un autre côté, pour la première fois de sa « carrière », il ne respecte pas son ultimatum ? Il annonce qu’il agira à 4 heures du matin, alors qu’il tue la veille vers midi ?
— Continuez, vous m’intéressez.
Manon était excitée, elle se sentait utile à l’enquête. Elle considéra Lucie d’un air complice.
— J’ai tout écrit là-dedans. Regardez. Hier, je devais courir de 9 h 30 à 10 h 15, je ne l’ai pas fait. J’avais rendez-vous à la banque à 11 heures, je n’y suis pas allée. Ni aux autres rendez-vous de la journée. Donc, il me retenait déjà.
— Votre frère vous a vue vous préparer pour aller courir, m’a-t-il dit. Il était 9 h 10, heure à laquelle il partait travailler. Vous avez donc vraisemblablement été enlevée entre 9 h 10 et 9 h 30, chez vous puisque vous n’aviez pas embarqué votre N-Tech alors que vous le prenez même pour votre footing. Vous étiez déjà en survêtement, tenue dans laquelle nous vous avons retrouvée. Tout se tient.
— Qu’a-t-il pu se passer durant toute la journée d’hier ? Je l’ignore. Toujours est-il que chronologiquement, il m’enferme dans la cabane, part tuer Dubreuil, revient à la cabane, et me libère. Et je ne comprends pas pourquoi il a agi ainsi, pourquoi, tant d’années plus tard, pour la première fois, il n’a pas honoré son « contrat »… Il pouvait très bien tuer Dubreuil à 4 heures, conformément à ce qu’il avait annoncé. En me libérant le soir, comme il l’a fait, il savait parfaitement que nous n’arriverions pas à temps à Rœux. J’avoue que cela… me tracasse, à chaque fois que je relis ces notes…
Manon carburait aussi vite qu’un ordinateur. Mais il lui manquait le flair du flic, la connaissance du criminel. Lucie sentit la tension monter en elle. Tout compte fait, elles formaient une équipe de choc.
— Vous savez quoi Manon ? Je pense qu’il a posé cet ultimatum pour monopoliser notre attention, mais qu’en réalité, il avait besoin de se montrer quelque part hier soir après vous avoir libérée.
— Pour se constituer un alibi ?
— Pas exactement… Son profil prouve qu’il connaît nos techniques, il devait se douter que nous daterions assez précisément l’heure du décès. Mais il voulait quand même que son absence, cette nuit-là, ne se remarque pas. Et tout particulièrement entre 21 heures et 4 heures. Famille, amis, collègues de travail… Cette nuit, le Professeur devait se montrer ailleurs. Dans un endroit où il aurait paru suspect qu’il ne soit pas.
Manon secoua la tête, intriguée. Comment cette conversation avait-elle commencé ? Abandonnant Lucie à ses réflexions, elle dit, avant de s’éloigner :
— En tout cas, malgré l’horreur du crime, cette Renée Dubreuil… Je suis bien contente qu’elle soit morte… Elle ne méritait pas de vivre… Pas après ce qu’elle avait fait à ses propres enfants…
Du fin fond de son âme de flic, Lucie dut admettre qu’elle était du même avis.
Si elle avait dû tuer Dubreuil de ses propres mains au cours d’une opération, alors assurément, elle l’aurait fait.
Pas elle mais plutôt… la Chimère l’aurait fait. Sans aucune pitié…