43.

La vieille Ford était lancée sur la nationale, sous la pluie, au maximum de sa vitesse, un petit cent trente kilomètre-heure. Direction l’Institut des Hautes Études Scientifiques de Brest, l’IHESB. Là où, selon le dernier coup de fil de la brigade, Frédéric Moinet avait étudié après le baccalauréat, voilà plus de quinze ans. La seule piste concrète, pour le moment, en attendant les remontées des analyses de la police scientifique dans la grotte, ainsi que l’autopsie du corps de Frédéric.

Tout vibrait dans l’habitacle, le volant, les sièges, le rétroviseur, mais la voiture tenait bon. Lucie crispa sa main droite sur le caoutchouc du levier de vitesse. Si elle retrouvait Manon vivante, comment parviendrait-elle à lui annoncer que son frère, celui qui malgré tout l’avait soutenue, aidée à se reconstruire, venait de mourir, brûlé par des produits chimiques et transpercé de coups de bec ? Comment Manon réagirait-elle ? Est-ce qu’elle allait tout enregistrer dans son N-Tech ? Tout apprendre par cœur ? Ou choisirait-elle de rejeter ce décès, comme elle l’avait fait avec celui de sa mère ?

Trop de suppositions. Pour l’heure, Manon était aux mains d’un psychopathe et il fallait la retrouver. Absolument.

Les gouttes continuaient à s’abattre sur la carrosserie. Lucie regarda sa montre. À cette heure, dans sa puissante berline, Turin devait déjà être loin devant. La flic se remit à penser à ces photos d’elle, retrouvées dans l’ordinateur de Manon. Un véritable choc. Et toujours les mêmes questions : qui les avait prises ? Et pourquoi ? Comment avait-elle pu se trouver mêlée à une histoire qui n’avait alors même pas commencé ?

Comment tout ceci allait-il se terminer ? L’enquête, cette traque macabre et surtout, surtout, ce qui venait de se produire, dans son appartement, cette mise à nu de son inconscient… La Chimère, entre des mains étrangères. La Chimère, forcée de se réveiller…

Le coup venait assurément de l’un des étudiants. Un locataire voisin, mis au courant du contenu de son armoire par Anthony. Ces salauds se couvriraient les uns les autres. Difficile de retrouver le coupable. Et puis, à quoi bon ? Le mal était fait…

Dans un soudain accès de rage, elle se mit à hurler, à tambouriner contre son volant. La Ford fit alors un léger écart qui s’amplifia par un effet d’aquaplaning. Une violente montée d’adrénaline lui fit reprendre ses esprits. Elle parvint à contrôler son véhicule. Il s’en était fallu de peu pour que…

Quelques minutes et quelques kilomètres plus loin, elle ne put s’empêcher de revenir à ses pensées. La Chimère… Ces étudiants lui avaient sans doute volé son secret pour le photographier et l’offrir aux yeux de tous sur Internet. Oui, à coup sûr ! Et tout se propagerait comme un feu de paille. Chacun saurait et plus jamais on ne la regarderait comme avant. Qu’allait-on imaginer ? Qu’elle était cinglée ? Obsédée ? Sadique ? Voire… une meurtrière ? Qu’elle était semblable à ceux qu’elle traquait ?

Et Clara ? Et Juliette ? Que penseraient-elles de leur mère quand arriverait le moment des pourquoi ?

Ses yeux s’embuèrent.

De retour dans le Nord, il allait falloir prendre les devants. Tout déballer aux étudiants.

Avant qu’ils ne détruisent sa vie.

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