— Pâté ou jambon ?
— Pâté.
— Ras-le-bol de glander ici. Ils arrivent quand les autres ?
— Pas avant 2 heures.
— Il est même pas 22 heures… Putain…
Olivier croqua dans son sandwich au jambon et tourna le bouton de l’autoradio sur France Bleue Nord. On y parlait des orages de la veille, de ceux à venir par la Bretagne, plus violents encore, des élections présidentielles, et d’un tas d’autres informations qu’il n’écoutait pas. Rien à foutre de ce baratin. Il aurait dû se trouver chez lui avec sa femme et sa fille au lieu de faire le piquet dans cette fichue 306, devant la bâtisse des Moinet.
Il sursauta quand un poing percuta la vitre.
Un type surgi de nulle part frappait au carreau.
— Ex… Excusez-moi !
L’homme haletait et se retournait sans cesse, le front trempé. À cette heure avancée, personne ne traînait plus dans cette rue sombre et peu engageante du Vieux-Lille. Sans vraiment réfléchir, Olivier baissa la vitre et haussa les sourcils. Charlie, son collègue, se pencha par-dessus son épaule, la main sur la ceinture. Mais pas sur le pistolet. Grave erreur.
Un projectile à bout rouge traversa l’habitacle dans un sifflement discret. Charlie fut le premier à le recevoir droit dans la carotide. Olivier n’eut pas le temps de réagir. Aucun cri, nul mouvement de défense. Une aiguille vint se planter dans sa gorge et le plongea immédiatement dans un profond sommeil.
Romain Ardère, reprenant sa respiration, s’épongea le front avec un large mouchoir. Riche idée d’avoir couru quatre ou cinq cents mètres pour paraître à bout de souffle, détourner l’attention des flics et ainsi amoindrir leur vigilance. Il aurait pu les tuer, mais à quoi bon ? Ils ne l’intéressaient pas. La puissance de l’anesthésique entraînerait un léger phénomène d’amnésie. Ils ne se rappelleraient de rien. Tout juste d’avoir été endormis.
Après avoir récupéré précautionneusement les fléchettes, remonté la vitre et fermé les portières, Ardère enfonça son bonnet, retendit ses gants en cuir, réajusta son sac à dos et rangea son pistolet hypodermique dans sa ceinture. Un lampadaire, au loin, arracha furtivement son profil de l’ombre. Il regarda autour de lui. Pas un chien, les volets métalliques étaient tous baissés sur les façades des magasins.
Il s’engagea dans l’impasse du Vacher. Les hauts murs se dressaient en monstres immobiles, le relief des toitures découpait des figures de contes maléfiques. L’obscurité engloutit rapidement son imperméable noir, qui bruissait dans son sillage comme une aile de corbeau. Au fond du boyau, il poussa la porte menant dans le couloir entre les appartements et disparut à l’intérieur, un cran d’arrêt à la main.
Il s’arrêta devant la porte de droite et lut, sous la lueur de sa torche minuscule : « M. M. »
Lentement, il fit pivoter son arme devant lui, l’éclair sur l’acier effilé se refléta dans ses pupilles de rapace.
Un courant d’air s’invita dans le couloir. La caresse froide et osseuse de la Mort.
Il se serait bien chargé de cette garce autrement, mais… il fallait agir dans l’urgence, à l’instinct, sans préparation. Et puis, elle n’entrait pas réellement dans la catégorie de ce qu’il recherchait…
Après un petit détour par l’appartement de Frédéric Moinet, il irait droit au but, ce coup-ci.
Adieu, M. M. Good bye Manon Moinet.