Frédéric Moinet quitta le véhicule immatriculé dans le Maine-et-Loire et courut en direction d’une poissonnerie, son imperméable au-dessus de la tête. À l’intérieur du magasin, le propriétaire était occupé à baisser les grilles. Frédéric tambourina sur la vitrine.
— Attendez !
Le commerçant haussa les sourcils et désigna une pancarte.
— 20 h 20 ! On est fermés depuis une heure !
— Juste une minute, je vous en prie ! fit Frédéric d’un ton nerveux avant de se retourner.
Le poissonnier aperçut une ombre immobile qui se tenait plus loin, appuyée contre une voiture. Un autre gars qui attendait sous un parapluie et qui faisait jaillir la flamme de son briquet de façon compulsive. Ça sentait le coup fourré. Le commerçant ne lâcha pas le bouton de fermeture des grilles et dit, la gorge serrée :
— Fi… Fichez le camp !
Frédéric regarda rapidement autour de lui et sortit un revolver de la poche de sa veste. Il plaqua le canon contre la vitrine, tandis que sa cravate volait dans le vent.
— Ouvre ou je tire ! C’est pas une vitre qui m’empêchera de te trouer la cervelle !
Le poissonnier leva les mains. Le mouvement de la grille s’interrompit à mi-descente.
— Je t’ai pas dit de lever les mains, je t’ai demandé d’ouvrir ! Tu le fais exprès ou quoi ? C’est la dernière fois !
Tétanisé, le commerçant inversa le mécanisme puis déverrouilla la porte. Frédéric s’avança dans la boutique. Ses doigts tremblaient autour de la crosse.
— Je… Je n’ai pas d’argent… fit le propriétaire. Je vous en prie… Il n’y a rien à voler ici.
Les traits de Frédéric trahissaient une grande fatigue et, en même temps, une tension extrême. Les cheveux en bataille, sa chemise pendant hors de son pantalon, il n’était plus que l’ombre de lui-même.
— Si ! affirma-t-il. Il y a exactement ce qu’il me faut dans votre poissonnerie.
Il pointa les étals du doigt. Le commerçant se retourna, surpris.
— Des poissons ? Ne me dites pas que vous… me braquez pour me voler des poissons ?
— Je ne vais pas vous les voler, mais les acheter. Et ce ne sont pas des poissons que je veux…
— Quoi alors ?
— Des calamars.
— Des calamars ?
Frédéric soupira en baissant son arme.
— Oui, des calamars ! Des putain de calamars ! Alors tu vas me les servir avant que je m’énerve sérieusement, d’accord ?
L’homme se dirigea vers les étals, abasourdi. Ce type l’avait contraint à ouvrir, avait pointé un flingue sur lui pour acheter des calamars.
— Combien vous en voulez ?
— Tout ! Mettez-moi tout ce que vous pouvez.
Le poissonnier écarquilla les yeux.
— Mais il y en a au moins quinze kilos !
— Eh bien dans ce cas, mettez-moi les quinze kilos ! J’ai été suffisamment clair, non ?
— Très clair…
L’homme fourra les mollusques dans plusieurs sacs plastique. Une odeur de sel, d’algues, de tout ce que la mer pouvait charrier, envahit l’espace.
Frédéric s’empara des sacs et fit demi-tour.
— J’ai laissé cent euros sur votre comptoir, je pense que cela suffira. Merci pour le service, Perros-Guirec est une chouette ville.
Et il disparut sous le déluge, aussi vite qu’il était arrivé.