Ce jour-là était un vendredi. Il y avait huit jours environ que Jehan le Brave vivait soigneusement caché chez Perrette la Jolie. Nous verrons bientôt ce qu’il y faisait.
Ils étaient trois, hâves, défaits, maigres comme des clous. Déguenillés, dépenaillés, minables, lamentables, méconnaissables. Ces trois-là étaient Gringaille, Escargasse et Carcagne. Ceci se passait une quinzaine de jours après ce fameux repas qu’ils avaient arraché à Colline Colle.
Comment avaient-ils vécu jusque-là?… Mystère! Il serait peut-être plus juste de se demander comment ils n’étaient pas morts de faim. Ils avaient vendu leurs habits confortables de bon drap et leurs bonnes bottes presque neuves. Et ils avaient endossé bravement les vieux vêtements, les vieilles chaussures depuis longtemps hors d’usage. Carcagne avait ce vieux pourpoint déchiré dans lequel nous lui avons vu cacher l’étui dérobé à Colline Colle.
Ils n’avaient gardé que leurs bonnes rapières. Les quelques sous qu’ils avaient tirés de la vente de leur dernier habit leur avaient permis de vivre quelques jours. Maintenant c’était fini. Ils ne savaient plus à quel saint se vouer, ni s’ils verraient jamais la couleur d’un écu.
À l’heure où nous les trouvons, il y avait huit jours qu’ils avaient été chassés de leur taudis. Il y avait deux jours qu’ils n’avaient pas mangé.
Notez bien ceci: ils auraient pu reprendre leur ancien métier. Dieu merci, ils savaient comment détrousser un passant à la douce, même en plein jour. Ils n’y pensèrent même pas. Ils avaient donné leur parole. C’était sacré cela. Carcagne n’arrivait pas à se pardonner le moment d’oubli qu’il avait eu chez Brigitte.
Ils auraient pu aller chez Perrette qui eût partagé de grand cœur avec eux. Mais plutôt que d’en venir là, Gringaille se fût sans hésiter, passé son épée au travers du corps.
Enfin, ils auraient pu s’adresser à Jehan qui, d’une manière ou d’une autre, les aurait tirés d’embarras – au moins momentanément. Mais se montrer au chef accoutrés comme ils étaient?… Plutôt la mort!
Sans trop savoir où ils allaient, ils étaient sortis de la ville. Ils allaient désespérés, silencieux, harassés. Ils grimpaient péniblement le chemin qui aboutissait en haut de Montmartre. Non pas le chemin de droite, qui passait devant l’entrée de l’abbaye, mais celui de gauche, celui qui aboutissait à la fontaine du But, en passant devant la basse-cour des religieuses.
Pourquoi par là et non ailleurs? Est-ce qu’ils savaient? Simple hasard, voilà tout.
Ils arrivèrent sur la petite place que nous avons signalée et ils aperçurent le monument délabré. Ils s’arrêtèrent, hésitants et se regardèrent, inquiets, effarés.
Ce monument, c’était le gibet des dames. Nous savons quelle insurmontable horreur ils éprouvaient pour tous les monuments de ce genre.
Le gibet ne servait plus depuis longtemps. C’était un massif de maçonnerie de forme rectangulaire, en assez mauvais état, comme nous avons dit. Une porte basse s’ouvrait face au chemin par lequel ils arrivaient. Sur le côté gauche, c’est-à-dire du côté ouest, du côté de la haie, derrière laquelle était parquée la volaille des religieuses, il y avait un escalier très étroit, sans rampe, raide, qui aboutissait à la plate-forme. Sur cette plate-forme, des piliers, à moitié pourris, en forme de triangle.
C’était à ces piliers qu’on accrochait haut et court les criminels ressortissant à la justice de Mme l’abbesse, laquelle avait droit de haute, basse et moyenne justice. Mais depuis de longues années, l’abbesse n’usait plus de ce droit seigneurial.
Donc Carcagne, Escargasse et Gringaille, voyant le sinistre monument qui se dressait devant eux, s’arrêtèrent médusés.
À ce moment, une poule sortit de la haie et se dirigea en gloussant vers le gibet, où elle disparut comme par enchantement.
– Vé! s’écria Escargasse émerveillé, une poulette!
– Une autre!…
– Ça se mange, ça!…
Pas un mot de plus. Ils s’étaient compris. Évanouie, la terreur du gibet. D’un bond, ils furent tous les trois sur la porte. Fermée!… Ils la secouèrent: solide, encore, la mâtine!… Cornes de Dieu! par où passer? Ah! l’escalier!… Deux bonds… les voilà sur la plateforme.
Victoire!… En partie défoncée, la plate-forme. Une excavation… là… on peut passer… Ils passent… Ils sont en bas, sous les fourches patibulaires… Mais ils n’y pensent plus, je vous en réponds.
Trois cris… trois hurlements de triomphe. Des gloussements effarouchés, des bruits d’ailes, une débandade, une poursuite. Nouveaux hurlements de joie, la fuite éperdue de volailles hors du gibet… Mais, résultat appréciable, trois poules déjà étranglées.
Nouveaux cris d’admiration, ébahissement, attendrissement, bénédictions, actions de grâces… Qu’est-ce donc?
Ceci simplement: il y a là une quinzaine de nids disséminés de tous les côtés et chacun de ces nids contient une vingtaine d’œufs. C’est-à-dire de quoi vivre pendant une quinzaine.
Le premier mouvement des trois pauvres hères, qui mouraient de faim, fut de sauter sur ces providentielles provisions. En un clin d’œil, ils absorbèrent une bonne douzaine d’œufs chacun.
– Pas moins, ça soulage! dit Escargasse.
– Et c’est frais, fit remarquer Carcagne.
– Nous en avions besoin… il était temps, cornedieu! fit Gringaille. Et ils éclatèrent de rire… Dame, maintenant qu’ils étaient assurés de ne pas mourir de faim, au moins pendant quelque temps, ils retrouvaient leur gaieté et leur insouciance… Ils devenaient même difficiles, car Gringaille ajouta, d’un air rêveur:
– Voire!… Nous ne pouvons pourtant pas nous nourrir exclusivement d’œufs crus!…
– C’est vrai!
– Comment faire?
– Et ces trois volailles dodues? on ne peut pas les gober comme des œufs, elles!
La question était grave. Elle méritait réflexion. Ils réfléchirent.
– J’ai trouvé! s’écria Gringaille, en s’administrant un coup de poing sur le crâne. Voici: il n’y a qu’à aller à l’ancien logis de messire Jehan, y prendre tous les ustensiles de cuisine qu’il possède et les apporter ici… Je ne vois pas pourquoi nous ne nous installerions pas ici.
– D’autant qu’on y est très bien… Il y a de l’air… et maintenant que les chaleurs arrivent, c’est à considérer.
– Et nous sommes sûrs que personne ne viendra nous déranger ici.
– Très juste. J’ajoute: et pas de loyer à payer, pas de propriétaire grincheux, pas de voisins gênants. Alors c’est dit… qui va chercher les casseroles?
– Moi, si vous voulez, dit Carcagne.
Carcagne était toujours complaisant. Mais il n’était pas très malin. Il ajouta aussitôt:
– Au fait, des casseroles, c’est très bien, mais… nous n’avons pas de beurre… pas même un morceau de lard… pas de pain.
Escargasse et Gringaille se mirent à rire.
– Voilà du beurre, dit gravement Gringaille en désignant un tas d’œufs.
– Et voilà du pain, fit non moins gravement Escargasse, en désignant un autre tas d’œufs.
– Et voici le vin! reprit Gringaille en saisissant une poule par les pattes et en l’agitant sous le nez de Carcagne qui ouvrait des yeux tout ronds.
– Je… ne comprends pas… finit-il par avouer.
– Ce n’est pas nécessaire… File!… Quand tu reviendras nous aurons les éléments d’un bon repas.
Carcagne ne comprenait pas. Mais il avait confiance en celui qu’il considérait comme son futur beau-frère. Il obéit et fila, comme on le lui ordonnait élégamment.
Lorsque Carcagne fut parti, Escargasse et Gringaille prirent chacun une certaine quantité d’œufs et une des trois poules qu’ils avaient si prestement happées et étranglées. À leur tour, ils sortirent.
Une demi-heure plus tard, ils étaient de retour. Ils n’avaient plus ni les œufs, ni la poule. Mais ils rapportaient premièrement: une motte de beurre; deuxièmement: un beau morceau de lard; troisièmement: une petite cruche contenant cinq pintes de vin; quatrièmement: une demi-douzaine de chapelets de pain frais. On voit qu’ils avaient réussi à échanger avantageusement leur marchandise.
En attendant Carcagne, qui avait un bon bout de chemin à faire, ils se mirent à inspecter leur domaine.
Ce local devait servir à la fois d’atelier et de débarras. Il contenait une foule d’objets hétéroclites et divers outils. Il y avait des poutres, des planches, du bois, de la paille, des copeaux, une boîte de clous, une grande scie, une barre de fer. Et quantité d’autres objets disparates. Tout cela couvert de poussière, rongé par la rouille. Il était évident que, depuis des années, peut-être, nul n’avait pénétré là-dedans.
Cette inspection terminée, dans un angle, ils préparèrent un foyer avec des pierres. Ils y entassèrent des copeaux et du bois. Lorsque Carcagne apporterait les ustensiles, il n’y aurait qu’à allumer.
Gringaille inspecta la porte. Elle était très solide encore. Elle était munie d’une forte serrure fermée à clé et d’un énorme verrou. Il fit remarquer qu’il était désagréable de passer par le plafond quand on avait une porte. En conséquence, il prit la barre de fer et en quelques coups solidement assénés, il fit sauter la serrure. Le verrou était largement suffisant pour les mettre à l’abri de toute visite indiscrète.
D’ailleurs ceci n’était guère à redouter. Le sinistre monument inspirait à chacun une terreur superstitieuse. Les plus braves ne s’en approchaient qu’en tremblant.
Tout étant prêt, les deux compagnons s’assirent sur des poutres.
Devant Gringaille, il y avait un trou. Probablement les poules avaient dû gratter la terre à cet endroit. En causant avec Escargasse, machinalement, du bout de sa rapière, Gringaille fourrageait dans ce trou.
– Tiens! s’écria-t-il tout à coup.
Il s’accroupit devant le trou et se mit à écarter la terre avec ses mains. Il démasqua ainsi complètement un gros anneau de fer.
– S’il y a un anneau, il y a une dalle, dit-il à Escargasse, qui le regardait curieusement. S’il y a une dalle, c’est qu’il y a quelque chose là-dessous.
– Un caveau probablement, fit Escargasse.
– C’est ce qu’il nous faut voir… Est-ce qu’on sait ce qui peut arriver?
– Voyons! fit laconiquement Escargasse.
Sans désemparer, ils se mirent à creuser, écartant la terre. Effectivement, ils mirent à découvert une dalle carrée, qui pouvait avoir un pied et demi de chaque côté. Gringaille saisit l’anneau à deux mains et tira de toutes ses forces. La dalle ne vacilla même pas.
– Diable! dit-il.
Il prit la barre de fer et la passa dans l’anneau. À eux deux ils essayèrent de soulever la dalle. Elle ne bougea pas davantage. Elle paraissait solidement scellée.
Tous les deux, ils se penchèrent et étudièrent de près et très attentivement cette pierre récalcitrante. On voyait très nettement les quatre rainures de la dalle. Ils passèrent la pointe de l’épée dans les interstices et essayèrent encore une fois de la soulever. Nouvel échec.
Alors, au lieu de la tirer, ils appuyèrent dessus. Rien. Ils frappèrent à tour de bras sur l’anneau, toujours sans résultat.
– Pourtant, cornedieu! vociféra. Gringaille exaspéré, cela doit s’ouvrir!
En disant ces mots, il avait saisi l’anneau à deux mains et le secouait frénétiquement, dans un mouvement de va-et-vient, comme s’il avait voulu le dévisser.
– Tiens! tiens! fit-il.
Il avait senti l’anneau céder. Il recommença lentement, méthodiquement, cette fois. Il y eut le bruit sec d’un ressort qui se détend et la dalle s’abaissa lentement, d’elle-même, mettant à jour les hautes marches d’un escalier.
À ce moment, ils entendirent sur la route un pas rapide qu’ils reconnurent à l’instant. Ils entrebâillèrent la porte et regardèrent. C’était bien Carcagne. Ils lui firent signe et poussèrent soigneusement le verrou dès qu’il fut entré.
– J’ai trouvé trois flacons de vin! s’écria triomphalement Carcagne. Avec des grognements satisfaits, ils débarrassèrent le compagnon, et triomphants à leur tour, ils lui montrèrent les provisions qu’ils s’étaient procurées. Carcagne baya d’admiration.
– Comment avez-vous fait, dit-il.
Gringaille et Escargasse le regardèrent, puis ils se regardèrent et éclatèrent de rire.
– Nous avons vendu des œufs et une poule, consentit enfin à expliquer Gringaille.
– Tiens! s’écria Carcagne émerveillé, je n’y aurais pas songé, moi!
– Le pôvre, fit Escargasse d’un air faussement apitoyé.
– Il ne reste plus qu’à faire cuire le dîner sur l’heure.
– Minute, fit Gringaille qui pensait à tout. Si nous allumons du feu ici, il faudra bien que la fumée s’échappe. Elle passera donc par un de ces trous que nous voyons là-haut.
– Naturellement!
– Bien. Alors on s’étonnera de voir de la fumée jaillir du gibet… et on viendra voir… et nous serons délogés.
– Cependant, il faut bien…
– C’est un risque à courir, je le sais bien. Mais on peut l’éviter peut-être… Visitons d’abord cette cave. Nous aviserons ensuite.
– Visitons! dirent docilement les deux autres. Et ils voulurent descendre sans plus tarder.
– Minute encore! dit Gringaille. Avant de descendre tous les trois là-dedans, il faut savoir si cette plaque ne se fermera pas d’elle-même, nous murant là comme renardeaux pris au gîte.
– Diable! firent les deux autres en reculant précipitamment.
– Je descends seul, continua Gringaille. Attention, toi Escargasse, tu as vu la manœuvre pour actionner la dalle. Si je frappe, tu ouvriras. C’est compris?
– As pas peur, mon pigeon! C’est compris.
Gringaille en un tour de main, fabriqua un bouchon de paille: c’était une torche. Sa torche à la main, il s’engagea dans l’ouverture béante. Il disparut dans le sous-sol. La pierre demeurait baissée.
Il la saisit, et péniblement, car elle était très lourde, il essaya de la fermer. La pierre retomba obstinément. Il ne s’entêta pas.
– Il doit y avoir un ressort qui la ferme, se dit-il.
Il descendit en comptant les marches. En mettant le pied sur la sixième marche, il vit la pierre remonter et se refermer d’elle-même.
– Parfait! se dit-il, voici qui est on ne peut plus simple. Il s’agit de l’ouvrir maintenant.
Il était dans l’obscurité. Il alluma son bouchon de paille et se mit à chercher. Il descendit l’escalier. Il avait douze marches. N’ayant rien trouvé, il le remonta. Il remarqua que la sixième marche – la même qui fermait la trappe – était cassée à une de ses extrémités. Il y avait là une soudure grossièrement faite. Il appuya le pied sur ce morceau. La trappe s’ouvrit. La même marche servait à l’ouvrir et à la fermer. À diverses reprises, il la ferma et l’ouvrit, très facilement.
– Admirable! dit-il entre ses dents.
Dix minutes plus tard, ils avaient traîné dans cette cave tous les outils, la barre de fer, du bois, les copeaux, la paille et, bien entendu, tous les œufs, leurs provisions et leurs ustensiles. La trappe soigneusement fermée, ils étaient chez eux.
– Ici, expliqua Gringaille, nous sommes à l’abri. Nul ne viendra nous y dénicher, c’est probable. Nous pouvons faire du feu sans crainte d’être trahis par la fumée. Maintenant, visitons cette cave; après quoi nous pourrons nous occuper de notre dîner.
Ils se trouvaient dans un petit caveau qui n’avait guère plus d’une dizaine de pas de long sur sept à huit en largeur. En face l’escalier, il y avait un couloir assez large pour permettre à deux hommes de passer aisément de front. Ce couloir descendait en une pente assez accentuée.
Ils s’engagèrent dedans. Au bout d’une vingtaine de pas, ils aboutirent à une autre cave, une grotte plutôt, spacieuse, haute de voûte. Il n’y avait pas d’issue apparente. C’était un cul-de-sac. Ici, des surprises extraordinaires les attendaient.
D’abord, dans un coin, une douzaine de bottes de paille. À côté, un tas de torches. Ils se dépêchèrent d’en allumer une. C’était tout de même plus agréable que leurs bouchons de paille.
Deux tonneaux. Ils les sondèrent: pleins. Ils en percèrent un. C’était du vin… excellent. Ils se regardèrent avec des bouches fendues jusqu’aux oreilles. Vite, ils se hâtèrent de percer l’autre. Du vin encore… meilleur. Ils esquissèrent un pas… Cette grotte était merveilleuse, admirable. C’était un rêve, un enchantement.
Ce n’est pas tout.
Quatre coffres énormes. Ils les ouvrirent. Deux étaient pleins d’armes. Tout un arsenal se trouvait là: épées, dagues, poignards, armures complètes, hallebardes, pistolets, arquebuses… Il y avait là de quoi armer toute une compagnie.
– On ne peut pas savoir! murmura Gringaille d’un air rêveur en refermant les deux coffres.
Le troisième coffre était plein de cendre. Ils fouillèrent dans le tas… Des saucissons, des jambons, encore et encore!… Ils exultèrent… ils riaient comme des fous, ils s’envoyaient d’énormes bourrades. Jamais ils ne s’étaient vus à pareille fête. Pensez-donc: le gîte et la pitance pour des mois, et cela sans avoir à débourser une maille!
Ils se ruèrent sur le quatrième coffre avec l’idée qu’ils allaient le trouver plein d’or et de bijoux. Hélas, non!… Il y avait là huit petits tonnelets… Eh! eh! du vin encore!… Peste! ce n’était pas à dédaigner!… Celui-là devait être du chenu, à en juger par les récipients.
Ils soulevèrent un des petits tonneaux. Pas bien lourd… une vingtaine de livres à peu près… Enfin, il y en avait huit en tout, c’était assez respectable. Ils le percèrent. Rien ne vint…
– Pourtant, tripes du pape! il est plein.
Ils le retournèrent et le défoncèrent. Ils firent un bond prodigieux en arrière. Ils étaient livides, ne tenant plus sur leurs jambes.
C’était de la poudre qu’il y avait dans ce tonnelet. Et eux qui, depuis dix minutes, s’agitaient là-dessus la torche enflammée à la main!
Rendus plus circonspects, ils déposèrent leur torche à distance respectueuse et revinrent achever leur inspection. Six de ces tonnelets contenaient de la poudre. Les deux autres des balles.
– Eh bien, mais… nous avons là de quoi soutenir un siège, dit Gringaille.
Et de nouveau rêveur, il répéta:
– On ne peut pas savoir!
S’ils fermèrent méticuleusement le dangereux coffre, point n’est besoin de le dire. Heureusement, celui-là était le dernier de la rangée. Il se trouvait placé dans un angle de la grotte. Ils eurent soin d’aller se placer, avec leurs torches allumées, à l’extrémité opposée.
La visite étant terminée, ils allumèrent le feu et firent rôtir les deux poules, sauter l’omelette. Naturellement, ils entamèrent un jambon, et un saucisson. Ils firent là un des meilleurs repas de leur existence d’aventuriers.
– Remarquez, messieurs, dit doctoralement Gringaille, que, tandis que nous vivrons discrètement retirés dans cette grotte, là-haut, nos poules, que notre présence n’effarouche pas, continueront à nous pondre des œufs frais. Ces œufs, nous les ramasserons… parce que nous sommes des gens soigneux. En échange de ces œufs, nous obtiendrons de ces petites médailles à l’effigie de notre Sire Henri quatrième, de ces médailles qu’on appelle des sous, des livres, des écus, suivant qu’elles sont plus ou moins grosses, en argent ou en cuivre. Avec ces médailles, nous obtiendrons tout ce que nous voudrons partout… En sorte que je ne suis pas éloigné de croire que nous voilà enfin sur le chemin de la fortune.
– Ce qui prouve que messire Jehan ne savait ce qu’il disait lorsqu’il prétendait qu’en embrassant le métier d’honnête homme, nous crèverions de faim.
Là-dessus, ayant la panse bien garnie, ils étalèrent des bottes de paille sur le sol, s’étendirent voluptueusement dessus et, quelques minutes plus tard, trois ronflements sonores retentissaient sous la voûte de plâtre de la grotte enchantée.