Dans le carrosse, le roi prit la main de Bertille et la mit dans celle de Jehan, éperdu de bonheur, en disant:
– Je crois réparer en partie le mal que je vous ai fait en vous donnant l’homme que vous avez élu et qui est le plus digne de posséder un tel trésor.
Et comme il ne savait pas se contraindre quand il se trouvait dans l’intimité avec des amis sûrs, son naturel bon garçon et familier reprenant le dessus, il ajouta avec une grosse gaieté:
– Où et quand la noce?
Ce fut Pardaillan qui répondit:
– À Saugis, Sire, dans un mois. Sans faste et sans apparat.
– Comme il convient à des gens heureux qui recherchent la solitude parce qu’ils se suffisent à eux-mêmes, ajouta le roi en riant de bon cœur. Soit! Je ne dis pas que je ne viendrai pas m’inviter sans façon.
– Inestimable bonheur dont nous garderons un inoubliable souvenir! déclara Pardaillan, sans qu’il fût possible de savoir s’il raillait ou parlait sérieusement.
À la condition expresse que ma présence ne changera rien au caractère d’intimité que vous entendez donner à cette fête. Que diable, je suis un peu de la famille!
Et, s’adressant directement à Jehan, uniquement occupé à contempler, extasié, Bertille souriante et heureuse, Henri ajouta:
– Ne vous étonnez pas si je ne fais aucune dotation à cette enfant. Votre père vous dira qu’auprès de vous je ne suis qu’un pauvre gueux.
Du Louvre, Bertille fut conduite chez le duc et la duchesse d’Andilly, qui apprirent alors qui était Jehan le Brave et qui accueillirent les deux amoureux comme s’ils avaient été leurs propres enfants.
Pardaillan laissa les deux jeunes gens chez ses amis et s’en alla rue Saint-Honoré, chez Concini. Il fut reçu par Léonora Galigaï. Cette visite dura un quart d’heure à peine. Quand il sortit, Pardaillan paraissait satisfait et, en s’éloignant, il se disait:
– Voilà les Concini domptés. J’ai tout lieu de croire qu’ils se le tiendront pour dit et que mes enfants n’auront plus rien à redouter de ces deux intrigants d’Italie. Reste la question du trésor.
Le lendemain, Pardaillan conduisit son fils sous le gibet de Montmartre. Jehan pâlit un peu en se voyant là avec son père. Bravement, cependant, il entreprit la confession de l’horrible tentation à laquelle il avait failli succomber. Pardaillan, l’interrompit dès les premiers mots, en disant:
– Je sais. J’étais là. J’ai tout vu et tout entendu.
Le trésor fut déterré, mais, cette fois, sans aucune des terribles émotions qui avaient accompagné les fouilles solitaires de Jehan. Quand le coffre contenant la fabuleuse fortune fut à découvert, Pardaillan dit en fixant son fils:
– Ce trésor que tu as failli dérober t’appartient… Que vas-tu faire de tout ce tas d’or?
Il sembla à Jehan que la voix de son père avait d’étranges vibrations. Il contempla, sans y toucher, le tas d’or, comme disait Pardaillan. Enfin, redressant sa tête fine, il dit:
– On m’a dit, monsieur, que, créé comte de Margency, vous avez abandonné les revenus de ce superbe domaine aux pauvres de la contrée, qui en disposent comme de leur bien, sans que vous vous y soyez jamais opposé?
– C’est exact, répondit froidement Pardaillan.
– On m’a dit que, ayant hérité de votre épouse la somme de deux cents et quelques mille livres, vous avez abandonné le tout aux pauvres du quartier Saint-Denis?
– Encore exact.
– On m’a dit, enfin, que le roi, qui vous doit sa couronne, n’a jamais pu vous faire accepter ni titres, ni emplois, ni fortune?
– Toujours exact.
– Je pense, monsieur, qu’il y a dans ce coffre de quoi faire le bonheur de milliers de malheureux… Et qu’une fortune pareille, pour un seul homme, c’est vraiment trop… Beaucoup trop!…
– Ah! ah! fit Pardaillan, dont les yeux se mirent à pétiller, où veux-tu en venir, voyons?
– À ceci, monsieur: moi, qui ai toujours tiré le diable par la queue, il me semble que cent mille écus représentent une fortune respectable!
– Malepeste! Cent mille écus!… Je crois bien!
– Saugis et Vaubrun appartiennent à Bertille, et il me répugnerait de toucher aux revenus de ma femme. Je prélèverai donc cent mille écus pour ma part. Cela ne vous semble-t-il pas raisonnable?
– Très raisonnable, en effet.
– Je prends, en outre, quatre cent mille livres… pour les amis que vous connaissez.
– Cent mille livres chacun. Ce n’est pas trop!
– J’abandonne le reste aux pauvres.
– Bonne aubaine pour eux, mon fils.
– Maintenant, il y a vous, monsieur.
– Oh! diable!… c’est vrai, il y a moi! Que me donnes-tu à moi, voyons?
Jehan secoua doucement la tête et, prenant les deux mains de son père, avec une émotion qui alla au cœur:
– Vous, mon père, vous êtes au-dessus d’une fortune, fût-elle mille fois plus considérable que celle-ci. Vous, mon père, je ne vous réserve rien… puisque ce que j’ai vous appartient. Est-ce bien jugé ainsi, monsieur?
Pardaillan ouvrit ses bras tout grands. Et à Jehan qui se pressait sur sa noble poitrine:
– Allons! morbleu! tu es bien mon fils, va!…
Le mariage du fils de Pardaillan avec Bertille de Saugis fut célébré un mois plus tard, à Saugis, dans la plus stricte intimité. Le roi n’y assista pas. Ce dont les épousés et Pardaillan se montrèrent enchantés. Comme il l’avait dit, il ne fit aucune dotation à la mariée. Seulement, il lui envoya une couronne de marquise enrichie de pierreries.
Le même jour eut lieu le mariage de Carcagne avec Perrette la Jolie dotés chacun de cent mille livres par Jehan Pardaillan.
Gringaille et Escargasse reçurent chacun la même somme. Il va sans dire que tous quatre refusèrent énergiquement de quitter celui qu’ils continuaient à appeler le chef. Ils achetèrent de petits domaines et s’établirent aux environs de Saugis.
Il nous reste à dire ce que devinrent nos différents personnages:
Acquaviva retourna à Rome. Frère Parfait Goulard, se voyant brûlé disparut sans qu’on pût savoir ce qu’il était devenu. Sans doute, il suivit son chef à Rome.
Saêtta, après le départ de Jehan, dans un accès de sombre désespoir en voyant lui échapper cette vengeance poursuivie pendant vingt ans, Saêtta se passa son épée au travers du corps, dans le manoir de Ruilly même.
On sait quelle fut la fin de Ravaillac, qui revint d’Angoulême comme l’avait appréhendé Pardaillan.
Dame Colline Colle reçut un jour la visite d’un officier du roi. Elle crut qu’on allait lui compter la forte somme qu’elle attendait toujours pour la récompenser d’avoir fait connaître au roi la retraite de Bertille. Hélas! dame Colline Colle fut enfermée dans un bon cachot d’où elle ne devait sortir que les pieds devant.
Il va sans dire que Concini et le père Coton ne trouvèrent pas les fameux millions où ils les cherchaient. L’abbesse de Montmartre seule tira profit de ces recherches, car la crypte du Martyr devint un lieu de pèlerinage fort suivi, source de profits pour les dignes religieuses. À telles enseignes que, quelques années plus tard, elles durent s’agrandir et établirent un prieuré autour de la chapelle.
Quant à Pardaillan, il demeura tout un grand mois auprès de ses enfants. Puis, un beau jour, l’aventurier, le chevalier errant qu’il n’avait cessé d’être, se réveilla, et ni larmes, ni prières, ni supplications ne le purent retenir. Il partit en disant:
– Je reviendrai dans dix mois!… Pour le baptême de mon petit-fils!