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Isolée au sein de l’immensité silencieuse de cet entrepôt morbide, médusée par ces amoncellements de boîtes anonymes destinées à accueillir des cadavres en quantité industrielle, Grace ne put que redouter l’imminence d’une hécatombe cachée au grand public. Que se préparait-il de si terrible pour que soit amassée une légion de cercueils produits à la chaîne comme on fabriquerait des Tupperware funèbres ? Une pandémie dévastatrice ? Une guerre ravageuse ? Une épouvantable catastrophe naturelle ?

Chaque hypothèse charriait son lot d’abominations et Grace sentit plus que jamais l’ampleur démesurée que prenait son enquête.

Mais elle n’avait pas le temps de pousser plus loin son exploration pour chercher des réponses, l’urgence était pour le moment de sauver Yan.

Elle se dirigea vers la porte qu’elle avait repérée au fond de l’entrepôt, en prenant appui sur les échafaudages pour soulager sa cheville. Les frottements de ses pas résonnaient comme ceux d’un sportif solitaire s’entraînant dans un gymnase olympique abandonné. Où étaient les autres gardes dont avait parlé le milicien ? Sans renforts, incapable de courir, la moindre confrontation pourrait lui être fatale.

L’épaule appuyée contre le mur jouxtant la porte, sa main sur la crosse de son arme, les muscles bandés, elle écouta : seul le souffle de sa respiration tremblait dans le silence. Elle appliqua délicatement le badge sous la poignée, un déclic retentit et le battant pivota.

Grace bascula dans l’embrasure d’un mouvement rapide. Dans le prolongement du canon de son revolver, le faisceau de sa lampe torche perça les ténèbres d’un long couloir de béton, désert. Elle s’y aventura d’un pas prudent, épiant le moindre bruit suspect et apercevant bientôt des marches au bout du corridor.

Elle posa un pied sur l’escalier qui s’élevait en tournant autour d’un pilier métallique. Sa douleur à la cheville était de plus en plus difficile à supporter, mais il fallait faire vite. Après quinze minutes d’une éprouvante ascension, elle reprenait sa respiration, quand un bruit sourd résonna au-dessus d’elle. Grace s’immobilisa, la peur vrillant son ventre. Qu’était-ce ? Ça ne ressemblait pas à un coup de feu, plutôt à un choc brutal contre un mur ou une porte.

Le sang pulsait dans ses oreilles, sa poitrine se soulevait comme un soufflet actionné par un forgeron dément.

Et soudain, l’enfer éclata dans une rafale de détonations. Grace se recroquevilla, alors que les balles mitraillaient les murs au-dessus de sa tête dans des explosions de poussière, saturant ses tympans d’un assourdissant sifflement aigu. Les projectiles la frôlèrent. Le tireur était trop haut, mais il allait la rejoindre et finir son travail.

Grace redescendit l’escalier aussi vite que sa cheville le lui permettait. Au même moment, elle entendit une cascade de pas martelant les marches juste en dessous. Elle était coincée.

Retrouvant des réflexes endormis, la jeune femme fit demi-tour et, sans s’arrêter, elle tira à trois reprises à l’aveugle, surgit à découvert et visa son adversaire en position de repli. Elle avait conservé toute son habileté et une seule balle lui suffit pour toucher la gorge de l’ennemi.

Les pas qui montaient derrière elle se rapprochèrent. On lui tomberait dessus d’une seconde à l’autre. D’un coup de pied, elle fit dévaler le cadavre du milicien dans l’escalier et, stimulée par l’adrénaline qui étouffait brièvement la douleur, elle grimpa une dernière volée de marches pour déboucher sur une porte ouverte.

Son pistolet braqué à hauteur du regard, Grace n’avait pas fait un pas dans le couloir qui se profilait devant elle qu’une silhouette surgit d’un embranchement et la percuta de plein fouet. Sous le choc, elle lâcha son arme, et elle se retrouva nez à nez avec une femme qui lui visait la tête. Grace allait se jeter sur elle, mais son adversaire fit feu la première.

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