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Les doigts endoloris par le froid et les écorchures, Grace saisit le gros anneau métallique qui pendait à droite de la porte et tira à trois reprises. Un éclair embrasa la pénombre et un craquement de tonnerre déchira l’air juste au-dessus d’elle, couvrant le son de la cloche qui annonçait son arrivée. La jeune femme sursauta et l’actionna à nouveau, avant d’appuyer sa tête sur son avant-bras, tandis que l’eau glissait de sa capuche par grosses gouttes.

Elle crut un moment que le tonnerre s’était déjà remis à gronder, mais elle comprit que quelqu’un déverrouillait lourdement la porte de l’autre côté. Le pesant pan de chêne clouté s’ouvrit.

— Vite, entrez, la pressa une voix d’homme étouffée.

Grace franchit le seuil et l’on referma immédiatement derrière elle, dans un claquement de serrure qui tentait d’être discret.

Elle distinguait mal les traits de son interlocuteur au visage obscurci par une capuche à pointe. Pour seul éclairage, il brandissait une torche crépitante faisant danser leurs ombres sur les pierres d’un couloir voûté. Un peu plus loin, on distinguait une série d’arches en ogive qui révélait le jardin du cloître à ciel ouvert. Devant chaque arcade, la pluie dégoulinait dans un vacarme de cascades, et des courants d’air glacés faisaient frémir la flamme de la torche.

Un nouveau roulement de tonnerre vibra dans l’air, alors que le moine relevait la capuche de sa robe de bure et appliquait son index sur ses lèvres en signe de silence. Il devait avoir une cinquantaine d’années, sa barbe blanche taillée court remontait en collier jusqu’à la naissance de ses cheveux tout aussi immaculés et coupés ras. Grace nota ses cernes et son front saillant qu’on imaginait aisément posé dans la paume de sa main au cours de longues séances de lecture. Le regard chargé d’inquiétude, il semblait surveiller les alentours.

— Grace Campbell, inspectrice de police de l’unité de Glasgow.

Elle avait parlé à voix basse en tendant une main à la fois calme et franche.

Le moine sembla soulagé qu’elle accepte de suivre sa consigne de discrétion et lui répondit d’un simple salut de tête.

— Je suis l’abbé Cameron, c’est moi qui ai appelé Elliot Baxter.

Comprenant que le moine déclinait le contact physique, Grace fit mine de se frotter les mains pour se réchauffer et dirigea un regard interrogateur vers la torche.

— Oui, je suis désolé…, chuchota-t-il, la tempête a provoqué une coupure de courant. Mais dans des pièces aussi vastes que celles du monastère, les torches de nos ancêtres éclairent mieux qu’une lampe de poche électrique.

Transie de froid, Grace accueillit la chaleur de la flamme qui lui rappelait la lueur réconfortante de sa lanterne. Puis elle retira sa capuche à son tour pour mettre en confiance son interlocuteur.

— Vous chuchotez par respect pour le silence du lieu ou…

L’abbé ferma les yeux, comme s’il essayait de reprendre ses esprits.

— Non, ce n’est pas par respect… Enfin… si, aussi… mais…

Il s’approcha de Grace, qui sentit la chaleur des flammes sur sa peau, l’odeur de l’huile brûlée et l’âpreté de la robe de bure frotter contre sa main. Le souffle du moine glissa jusqu’à son oreille.

— Si vous saviez ce qu’il lui a fait… à ce si gentil garçon.

Elle perçut la profonde détresse de la voix.

— Vous voulez bien me conduire au corps ? osa-t-elle.

— Attendez !

L’abbé saisit soudainement Grace par le bras. Nerveuse, l’empoigne lui fit l’effet de serres d’aigle écrasant ses os.

— À part frère Logan, qui a découvert le corps, et moi-même, les autres moines ne savent pas encore ce qu’il s’est passé.

L’abbé se retourna vivement, comme s’il avait entendu un bruit. Grace scruta le fond du couloir, mais elle ne vit personne.

— Ils savent encore moins que j’ai appelé la police, susurra-t-il.

— Pourquoi ? murmura Grace, que la poigne de plus en plus crispée du moine fit grimacer.

L’abbé Cameron mordilla les poils de sa barbe dressés près de ses lèvres, sans se rendre compte qu’il faisait mal à la jeune femme.

— Frère Logan a trouvé le corps vers deux heures du matin, et à minuit environ, notre pensionnaire était encore en vie, puisque j’ai moi-même parlé avec lui. Le meurtre a donc eu lieu en pleine nuit. À ces heures, toutes les issues du monastère sont verrouillées. Or, il n’y a eu aucune effraction. Nulle part, j’ai vérifié. Ni sur les portes, ni sur les volets…

Le moine relâcha le bras de Grace, qui fit lentement descendre la fermeture Éclair de sa parka pour glisser la main sur la crosse de son arme.

— Je n’arrive pas à y croire, reprit l’abbé d’un timbre tremblant, mais le coupable est forcément l’un des membres de la communauté… et il est encore là.

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