LA PAIX EST UN INTERLUDE

Nous allons bientôt quitter la plaine de Troie... La folie destructrice retombe. L’apocalypse s’apaise. Homère nous convie aux funérailles de Patrocle. Le cadavre d’Hector n’a toujours pas été rendu aux siens. Les jeux funéraires commencent et c’est pour Achille l’occasion de se montrer enfin dans son rôle de roi. Il mène intelligemment les jeux, règle les litiges, prouve son art du pouvoir.

Le démon se fait régalien. C’est là une trace du génie grec de ne jamais trancher en l’homme la frontière du bien et du mal.

Achille aurait pu incarner à jamais l’image du psychopathe. Mais le poète antique ne balafre pas l’homme d’une ligne de partage morale aussi marquée. Cela, c’est la dialectique chrétienne ou, pis ! musulmane : juridique, convenue.

Plus tard, les révélations monothéistes institueront une lecture binaire du monde, injectant les toxines de la morale dans le chatoiement des rapports humains et présidant au malheur de nos sociétés binoculaires où la ligne de crête désespérément étroite sépare le versant lumineux du versant obscur.

Le dernier tableau de l’Iliade est d’un classicisme limpide, pourrions-nous dire un peu sottement puisque, le classicisme consiste à s’appuyer sur les canons antiques. C’est une scène d’action où les sentiments atteignent le plus haut degré d’élégance dans une atmosphère de danger. Le vieux roi Priam, père d’Hector, écrasé de chagrin par la mort de son fils et le traitement réservé à sa dépouille, s’aventure chez l’ennemi, à travers les lignes. C’est une expédition suicidaire. Quelle audace ! L’amour du père triomphe de tous les dangers. Certes, Hermès l’aide dans l’entreprise mais l’épisode verse Priam au rang du héros éternel.

Les deux princes ennemis se parlent, se saluent, s’admirent, négocient en sourdine. Homère donne là une définition de la noblesse : la vertu terrasse les pulsions.

Le père vient implorer Achille de lui rendre le corps de son enfant. Il rend ses devoirs au bourreau de son fils ! Il approche de l’assassin « ses mains suppliantes » ! Et Achille cède. Un guerrier dans une époque solaire peut admirer la grandeur humaine de son adversaire. Priam a osé. Achille accepte. Ils conviennent d’une trêve pour procéder aux funérailles d’Hector.

Ainsi les cérémonies pourront-elles s’organiser et l’Iliade s’achever. Quant à la bataille, elle reprendra après la trêve et s’achèvera par la destruction de Troie. Mais cela, nous ne l’apprendrons pas dans le texte. Nous en retrouverons l’écho, plus tard, dans l’Odyssée, en d’autres lieux, dans d’autres pages.

L’Iliade nous a appris une chose. L’homme est une créature frappée de malédiction. Ce n’est ni l’amour ni la bonté qui mènent le monde mais la colère.

Parfois, elle s’apaise mais gronde toujours, sourde bête, tapie dans les replis de la terre comme une ombre au mufle soufflant qui ne supporte pas de souffrir, mais qui ne connaît pas les raisons de sa blessure.

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