LA CONCLUSION DES DIEUX
Au début de l’Odyssée, Zeus prend la parole devant l’assemblée des dieux. Il condamne Égisthe, le meurtrier d’Agamemnon, qu’Oreste supprima par vengeance filiale. Zeus, en quelques phrases, brosse l’équation de la part de destin et de liberté octroyée aux hommes.
Hélas ! voyez comment les mortels vont juger les dieux !
C’est de nous que viendraient tous leurs malheurs, alors qu’eux-mêmes
par leur propre fureur outrant le sort se les attirent,
ainsi qu’on vit Égisthe outrant le sort prendre à l’Atride
sa femme légitime, et le tuer à son retour,
sachant la mort qui l’attendait, puisque nous l’avions prévenu
par l’entremise du Veilleur éblouissant, Hermès,
de ne pas le tuer, de ne pas rechercher sa femme !
Car Oreste viendrait lui en faire payer le prix
dès qu’il aura grandi et désirerait sa patrie...
Ainsi, parla Hermès, bienveillant, sans persuader
les entrailles d’Égisthe : et maintenant, quel prix il a payé !
Athéna dont l’œil étincelle répondit :
quand je pense à Ulysse, mon cœur se fend :
l’infortuné ! Depuis longtemps il souffre loin des siens
N’est-ce donc plus le même Ulysse
qui t’agréait jadis, sacrifiant près des vaisseaux grecs
dans la plaine de Troie ?
(Odyssée, I, 32-62.)
En somme, si nous paraphrasons Zeus (soyons modeste !) en une langue moins olympienne, il apparaît que l’homme a le choix.
L’homme accuse toujours les dieux – c’est commode pour lui. Il pourrait choisir sa propre voie, il préfère se défausser.
L’homme reçoit parfois l’aide d’un dieu qui lui inspire la voie à suivre – comme Hermès le fait.
Mais son outrance le perd. Il serait libre pourtant de se contenir. Il n’est que la victime de lui-même et non le jouet d’un dieu intraitable. Et à présent il doit payer le prix de ses débordements.
Mais il existe une issue dans ce malheur : le discernement, la recherche de la bonne vie, l’équilibre et la mesure (ne pas tuer, ne pas convoiter d’autres femmes, rappelle Zeus, avec des mots pareils aux commandements d’un décalogue ultérieur !).
Athéna intervient : c’est à Ulysse que reviendra la charge de répondre à cette grande question de la vie réparée. Transportons-nous par la pensée sur les remparts d’Elseneur au Danemark. Hamlet y promène sa carcasse. « The time is out of joint, I was born to set it right ! » (« Le temps est sorti de ses gonds, je suis né pour le réinstituer ! ») C’est la mission d’Ulysse.
Ulysse s’accorde à la description donnée par Zeus de l’homme. Il s’est attiré la rage d’un dieu – Poséidon, en l’occurrence. Il devra payer sa faute sur un chemin d’embûches. L’Odyssée sera sa rémission. Au bout de la route, la récompense adviendra peut-être.
Pour l’instant le but visé est son palais pillé par les prétendants.
Seul Ulysse parviendra à réparer ce qu’il a défait.
Seul Ulysse effacera ses outrances.
Seul Ulysse rejointoiera le monde.
Seul « Ulysse l’endurant » sera digne de la liberté qu’il avait d’abord déshonorée en l’usant.
À présent, libre à lui d’essayer de se montrer libre.