L’HUBRIS PAR AUGMENTATION
Comme Homère rirait s’il apprenait que nous parlons d’« augmenter la réalité », de repousser les limites, d’explorer des planètes, d’atteindre des espérances de vie de mille ans. Comme ils grinceraient, les dieux grecs, en s’apercevant que des chercheurs de la Silicon Valley se félicitent de recomposer un monde technologique au lieu de se contenter de celui dont ils disposent et d’en protéger la fragilité. Quel étrange phénomène ! On assiste à un enflammement du désir de créer une autre réalité au fur et à mesure que la réalité immédiate se dégrade autour de nous. Plus l’homme salope ses alentours, plus les démiurges du monde virtuel promettent des lendemains technologiques et plus les prophètes annoncent les paradis d’outre-vie. Quelles sont la cause et la conséquence de l’usure du monde ? Ceux qui veulent augmenter la réalité cherchent-ils une solution à la dégradation du monde ou en sont-ils les accélérateurs ? C’est une question homérique, car elle renvoie à la vénération simple des richesses réelles du monde, au danger de se prendre pour un dieu, à la nécessité de mesurer ses forces, de restreindre ses appétits, à l’impératif de se contenter de sa part d’homme.
Les guerres se succèdent sur la Terre depuis l’aube paléolithique. La guerre peut certes être considérée comme l’état ordinaire du contact entre les hommes. Mais autre chose se passe depuis les révolutions industrielles du XIXe siècle : une modification du réel inédite dans l’histoire de l’humanité. Il semblerait que l’homme ait réuni toutes ses forces pour remporter la lutte contre le monde. La nature n’est plus à la manœuvre, dictant ses lois, imposant ses tempos, indiquant ses limites. Là, se situe l’hubris de notre temps et non pas dans telle manœuvre des fanatiques musulmans.
Relisons l’Iliade, écoutons Apollon et sachons qu’il en cuit toujours de souiller le Scamandre.