SE CONTENTER DU MONDE
L’homme grec se contente du réel. Homère développera cet axiome. Il fécondera la philosophie grecque. Pensée forte et simple : la vie est courte, des choses sont là, offertes dans le soleil, il faut les goûter, en jouir et les vénérer sans rien attendre de demain, fable de charlatan. Cet imperium de se satisfaire du monde a été sublimement chanté dans Noces de Camus. L’écrivain, sur le sol algérien, apprend, sous « un ciel mêlé de larmes et de soleil », à « consentir à la terre ». Oui, la vie pour le Grec antique est un contrat de mariage avec le monde. On prononce l’alliance, aussitôt né sur la Terre, pour le meilleur et pour le pire.
Et si c’était la lumière du Mare Nostrum – qu’elle brillât dans l’Alger de Camus ou sur les rives d’Ithaque – qui nous donnait la force d’accueillir la présence pure du monde ? S’émerveiller de la lumière des îles grecques semble un lieu commun. Les agences de voyages ont tellement vanté la bronzette sur le marbre blanc qu’elles ont éculé le sujet. Pourtant, la lumière a poussé les Antiques à accepter leur sort. Elle sert de révélateur. Les choses apparaissent sous sa pluie blanche. Elles se tiennent dans l’éclat d’Hélios, tangibles, installées, irréfutables. Un bloc, un asphodèle, une barque : des choses qu’on ne peut déplacer ni récuser. Et dont il faut se contenter, avec passion. Tout est beau dans ce qui se dévoile (Iliade, XXII, 73), clame Priam (on dirait Heidegger philosophant sur les remparts). Être grec reviendrait à comprendre que la lumière est un lieu. Nous l’habitons. Nous nous tenons droits dans sa vérité, sans requérir les brumeuses chimères d’un au-delà... Nous pouvons aimer ce que la lumière nous offre, jouir de « notre part de vie », lutter pour notre cause et attendre la nuit sans la craindre puisque chaque crépuscule nous a appris son arrivée inexorable. Sous le soleil, la vie éternelle semble une idée obscure de bedeau trop pâle pour le grand air.