LE CONSEIL DES DIEUX
Le récit des aventures maritimes commence au chant IX, devant l’assemblée des Phéaciens, insulaires pacifiques. Ils ont recueilli Ulysse, échoué sur leur rivage. Plus tard, on assistera à la reconquête du royaume spolié.
Auparavant, s’architecture la longue introduction où alternent les conversations des dieux statuant sur le sort des hommes et les aventures de Télémaque.
Quelle construction étrange ! Que de flash-backs, dirait-on, si l’on usait de langues barbares. Que d’inversions et de récits dans le récit ! Ulysse commence l’évocation de ses péripéties après avoir entendu un aède parler de lui pendant le banquet phéacien. Jusqu’alors il se tenait incognito. Mais, soudain, l’aède donne vie à l’homme, l’extrait de l’anonymat. Le verbe se fait chair. Et Homère nous confirme – avant même qu’elle n’existât – que la littérature donne corps à la vie.
Le poème s’ouvre alors sur une image.
Calypso, déesse somptueuse, retient Ulysse alors que les autres guerriers sont rentrés de la plaine de Troie. Ulysse réussira-t-il à rentrer ? Les dieux – Poséidon à part – s’accordent pour que le héros soit délivré. Poséidon ne pardonne pas à Ulysse d’avoir mutilé le Cyclope, son fils. Mais Zeus croit savoir que « Poséidon finira par s’apaiser ».
Le thème philosophique de ce chant s’entrecroise dans la trame des vers : une part de liberté restera toujours à l’homme. Il peut se racheter, même après s’être commis. Les dieux ne sont pas contre les hommes, du moins, pas toujours. Et l’homme conserve une latitude dans le destin que les immortels tracent pour lui.
Avec l’autorisation de Zeus Athéna vole à Ithaque pour trouver Télémaque et lui annoncer que son père demeure en vie. La déesse enjoint le jeune héritier de partir à la recherche du père. Il faut d’abord calmer les prétendants qui se disputent le trône. Il faut gagner du temps, puis embarquer, c’est-à-dire, pour un Grec, agir. L’homme est une navette, libre de se mouvoir dans la haute lisse d’un destin tissé... Comme le navigateur qui décide de son cap, mais dans les limites de la mer profonde et bleue.
Télémaque appareille. Il part chercher le père. Les prétendants s’opposent à son départ. Ils multiplieront les vilenies au long du récit. Ils usurpent la place du roi, ils convoitent la reine, ils s’en prennent au fils. Par prétendants, il faut entendre courtisans.
Ce sont ces tartuffes, marquis poudrés et brigueurs de cour dont l’Histoire connaîtra tant d’avatars. Ils se presseront toujours au seuil du pouvoir de la même manière qu’ils grouillaient aux pieds de Pénélope, vulgaires, insolents. Ils rampaient au pied du trône d’Ithaque. Leurs réincarnations se disputent aujourd’hui les mânes des républiques.