LE CHANT DU RETOUR
La construction de l’Odyssée n’est ni linéaire ni chronologique. Elle est moderne, dirait-on aujourd’hui (moderne, mot utilisé pour désigner toute chose immuable).
Le poème raconte trois événements. Le départ de Télémaque à la recherche de son père ; les aventures d’Ulysse revenant à Ithaque après la guerre de Troie ; l’arrivée d’Ulysse en son royaume et son combat pour chasser les usurpateurs, et restaurer l’ordre défait.
C’est donc le chant du retour au pays, de la remise en place du destin. Le cosmos avait été dérangé par les outrances de l’homme à Troie. Il faut instaurer à nouveau l’harmonie. « Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours ! Le temps va ramener l’ordre des anciens jours », écrit Gérard de Nerval dans Delfica. Ô vers à la puissance homérique ! Revenir en sa patrie, ravauder l’équilibre cosmique en rétablissant l’équilibre privé, tel est l’objectif de l’Odyssée : en d’autres termes, reciviliser le monde.
L’Odyssée est aussi le poème de la rémission écrit huit cents ans avant l’Évangile du pardon. Ulysse a fauté, il paiera pour les hommes qui se sont déchaînés. Le voyage est rachat, dit Homère. Les dieux se mettront sur la route du fautif pour lui imposer leurs épreuves. Mais certains interviendront afin de l’aider à les surmonter. Là se cache l’ambiguïté des dieux antiques : ils sont juge et partie. Ils disposent les embûches et offrent le secours pour en triompher.
L’Iliade était le thème musical de la malédiction des hommes. Les chiennes de l’âme étaient lâchées sur le champ de bataille. L’Odyssée est le livre d’heures d’un homme qui échappe à la frénésie collective et cherche à renouer avec sa condition de mortel – libre et digne.
Dernier axe de l’Odyssée : la constance d’âme. Le principal danger consiste à oublier son but, à se déprendre de soi-même, à ne plus poursuivre le sens de sa vie.
Se renier, indignité suprême.