BOEING

J’évoque le cadavre du père Rubinyol, éventré.

Le ciel semble ne plus exister, tant il est flou, d’un bleu à peine discernable. Je ne peux apercevoir la mer car je ne suis pas assis près d’un hublot. A mon côté, est une dame américaine d’une légère cinquantaine bien carrossée. Elle voyage dans les tons roux : tifs, maquillage, fringues. Des lunettes tarabiscotées et serties de diamants en plexiglas pendent sur sa poitrine, maintenues par une chaînette. Elle fume une cigarette déjà emplâtrée de rouge à lèvres. Nos genoux se rencontrent par hasard. Je retire le mien. Pas elle, si je puis dire.

Moi, tu connais mon côté « tout terrain » ? Je la considère aussitôt sous un autre angle, celui des aiguilles d’une montre indiquant 8 heures 20. Ça doit t’arracher le copeau comme rien, cette bourrique. La gonzesse qu’arrive aux lisières, tu penses comment qu’elle met les bouchées doubles ! Qu’elle fait son plein de carburant avant de s’élancer vers le point de non-retour ! Pas comme ces superbes bêcheuses de vingt piges, qu’ont toute la vie et cent kilomètres de pines devant elles, les salopes ! N’ont que l’embarras du choix, font la fine bouche. T’as déjà été sucé par quelqu’une qui fait la fine bouche, toi ? Moi, oui. C’est calamitesque. Le côté « juste-pour-dire-puisque-tu-y-tiens ! ». Pincé, quoi ! L’amour, c’est pas du pincé, au contraire. L’astringent, tu parles ! Et je t’en reviens qu’une bonne vieille gamelle solide au poste, qui n’a pas capoté dans la cellulite et défend ses carats farouche, style Jeanne Hachette, qu’une belle grand-mère pas avachie de la moulasse et dont les nichemars ne subissent pas encore les lois de l’attraction terrestre te régale cent fois plus fort que les péteuses mannequins, jean et ventre plat et loloches non avenus !

Et qu’or donc (ombilical) ma Ricaine bien pimponnée, briquée, massée, parfumée, chanellisée, je te la changerais pas contre l’une des nymphettes friponnes d’Hamilton.

Re-genoux. Elle me sourit.

Lovely day, to day, elle me déclare.

Et c’est vrai qu’il fait beau. A dix mille mètres d’altitude j’ai toujours trouvé le beau temps. C’est le charme des voyages en avion. Tu largues les emmerdes quand tu quittes le sol. Va-t’en à tire-d’ailes, mon pote. Bien haut, le plus haut possible. La terre n’est qu’un grand marécage, un cloaque bourré d’animaux obscurs, mi-poissons, mi-mammifères, qu’on appelle hommes parce que pourquoi pas ?

Ma compagnonne m’explique qu’elle est de l’os en gelée, où son mari dirige un journal. Il ne prend jamais de vacances. Elle, si. Je lui demande avec les yeux si elle ne prendrait pas de surcroît un braque commak. Elle me répond implicitement qu’oui en posant délicatement sa main bagouzée de fond en comble sur ma jambe.

Et je pense moins fort au cadavre du cher grand Arthur. Simplement, je me dis qu’il est mort éventré, et que le rabbin Moshé Inkermann également. Et la question que je me pose, c’est de savoir si « le prochain » aussi mourra éventré, malgré la surveillance dont il est l’objet.

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