FORET FINLANDAISE

Je suis assez doué pour les opérations de commando. Le Seigneur, par l’intermédiare de papa et de Félicie, m’a doté de réflexes fulgurants. Alors, pour ce qui est de mon petit raid éclair, façon Entebbé, je te vous l’exécute, meâmes et messieurs, en deux temps trois mouvements. Faut dire que Martinet-barbe-rousse coordonne parfaitement sa manœuvre… A peine ai-je bondi hors du véhicule que la Mercedes se pointe déjà à ma hauteur, avant que son conducteur ait pu piger que je n’étais pas son pote. Je file une terrible branlée dans le pare-brise, avec la crosse de la soufflante. Instantanément ce dernier devient opaque avec un trou rond dans le mitan par lequel je peux discerner l’œil effaré du chauffeur. Je retourne l’arme pour présenter le canon par l’ouverture de la portière et je déclare en anglais :

— Filez vos mains à plat contre le pavillon de la voiture, camarade !

Il est sidéré de me voir. Ce type qu’il pensait clamsé et qui surgit soudain à son côté par une belle nuit ensoleillée le déroute, si je puis dire.

— Vite ! gueulé-je, sinon je vous tue à la seconde.

Le faux Kipeët obéit. Il est froid, très attentif ; un peu pincé de partout, si tu vois ce que j’entends par là. Peur ? Pas exactement. C’est un zig surentraîné qu’on a éduqué pour qu’il ignore cette réaction foireuse. Il obéit seulement parce qu’il ne peut agir autrement. L’instant lui est défavorable. Il ne peut rien tenter ; alors son cerveau lui conseille de se soumettre provisoirement. Et ainsi donc, Grippeminaud le bon apôtre applique sa dartre et sa sinistre contre le plastique gaufré tapissant le toit de sa guinde.

Son regard n’est même pas hostile. Il reste spectateur de l’aventure.

Martinet et Béru se pointent (Bic). Le gusman sourit au Rouquin.

— O.K., lui dit-il, vous venez de me donner une grande leçon de modestie, mon vieux, je ne me croyais pas si naïf.

— Béru, murmuré-je, ouvre la porte à ce monsieur, il va descendre.

Le Volumineux obtempère, mais il apporte une variante à mon ordre, à savoir qu’il biche le copain par sa cravate, l’arrache de son siège et lui pétrifie la devanture d’un coup de boule taurin dans les croqueuses. L’homme chauve ne sourit pas, ce qui nous aurait permis un délicat jeu de mots, et s’écroule dans la boue. Béru, cent fois sur le métier tu le verras remettre son ouvrage, c’est pourquoi, non content d’avoir foudroyé le gars chauve aux-yeux-couleur-d’eau-de-vie-après-qu’on-a-bouffé-les-cerises-du-bocal (je me redemande où je vais chercher ça !), il lui assure un surcroît de félicité en sautant à pieds joints sur son estomac. Il se produit alors un « flaoufff » de voile hissée que le vent engouffre[20] brutalement.

Je m’accroupis près de l’estomaqué pour le fouiller. Très intéressante provende : un pistolet extra-plat à balles syntocarburées, un minuscule magnétophone de fouille, un stylo-seringue, une chevalière-Borgia, au chaton empli de cyanure, un appareil fouinazard à biocraduque incorporé, une writmaster filoutée, un tube de convergerie moussante, un hypoglabouille de protection à capuchon, de l’argent finnois, américain, suédois et de poche, un mouchoir, un paquet de cigarettes bulgares, trente deniers, un jeu d’échecs, une prise de position, sept ans de malheur, le carré de l’Hippopotamus, une vue imprenable, une force motrice, un toupet monstre, le petit dernier des Mohicans, une gueule de raie, une raie au milieu, un milieu biologique, une logique imparable et une pochette d’allumettes suédoises !

Drôlement équipé, le frère, t’avoueras, comme dit Béru.

Nous lui ligotons les pinceaux, puis les mains derrière le dos et, en attendant qu’il daigne reprendre ses esprits, je me mets à explorer sa voiture.

Alors là…

Alors là, mon petit garnement, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un véritable centre opérationnel. Tudieu, la belle carriole ! D’apparence, elle est anodine et cossue. Mais pour peur que tu te mettes à la trifouillarder un brin, tu découvres des choses puissamment astucieuses. Que, par exemple, la banquette arrière bascule, démasquant : un poste émetteur, un télex, un laboratoire photo, un autre d’analyse logique, un troisième d’analyse médicale, une panoplie d’armes électroniques, un vivarium portable comportant : scorpions, serpents minutes, araignées du Brésil sous plaques infrarouges à thermo-vulveur estompé. Tu passes par-derrière, t’ouvres la malle. Et tu déboules chez James Bonde : deux tubes lance-torpilles, un rayon laser, un autre d’articles de pêche, un projecteur foutrical, mitigé ultra-sons et lumière noire. Tout ça… Plus des trucs incomprenables. Jamais vus. Dangereux. Efficaces. A manipuler avec un soin extrême. Que sinon t’as les claouis dans le pin géant. Madoué ! Ce fourbi ! Achtung ! Dangerous ; si pas artificier s’abstenir. Maman, au secours ! Non content de ça, tout pareillement aux trois orfèvres, je soulève le capot. Part et d’autre du moteur, des tubes lance-fusées, tu juges ? Et puis, entre les phares, un giclamètre pétrousquin. Tu branches et ça désintègre cent yards en avant. Non, mais tu mords un peu le danger qu’on a échappé si nous avions tenté la sortie héroïque, tout à l’heure, le Gravos et moi ? Ce salaud appuyait sur un bouton et on virait purée de pois chiches !

— Tu t’y r’connais dans tout ce cheni’ ? s’inquiète le Mastar.

— Plus ou moins. M’est avis que ces gonziers sont à la solde d’une grande puissance, comme on dit dans les journaux, pour se permettre un tel équipement. Cette chignole vaut plusieurs milliards d’anciens francs.

— Elle a même pas des vitres pare-balles ! objecte le Mammouth en montrant le pare-brise éclaté.

— Parce que ce n’est pas un char d’assaut, mais un P.C.

Assis en biais, sur la banquette avant, je procède à un examen méticuleux du fourbi découvert sur le faux Kipeët. D’après ses papiers, il se nommerait Boris Orangyz et serait bulgare. Moi je veux bien, qu’est-ce que ça peut me foutre ? Des Bulgares, il en faut, non ? Sinon la Bulgarie servirait pas à grand-chose, et qui l’habiterait en dehors des Russes ? Hum ? Bon.

Une chose, parmi toutes les autres, retient mon attention. Et je vais te la dire car j’ai avec ta pomme toutes les faiblesses ; même que ça finira par me jouer des tours, je pressens, cette trop grande confiance. Ce qui m’intrigue, ce n’est pas son stimulateur de flatulence, pas plus que son décontribueur de suavité, non, ce qui me turlupine le turlupin, c’est son porte-clé. Et ce porte-clé se trouve au tableau de bord de la voiture, t’entends, l’aminche ? Puisque la clé de contact du véhicule est engagée. Il est bizarroïde, ce porte-clé. J’vais t’expliquer. Ce qui surprend, c’est sa taille. C’est pas de l’article de poche. Plutôt le genre de machin-chose auquel on fixe la clé d’une chambre d’hôtel pour dissuader le client de l’enfouiller. Il s’agit d’une plaque d’environ dix centimètres de long sur quatre de large. Cette plaque est en matière plastique d’un blanc un peu laiteux, encadré d’acier. Et de la voir pendouiller près du volant me paraît incongru. Je lui soupçonne une utilité plus importante. Elle n’est porte-clé que pour s’assurer une espèce d’incognito. C’est le coup de la lettre volée. On ne prête pas attention à ce qui est placé en évidence. Cette plaque flanquée de clés est devenue un porte-clés. Point à la ligne.

Et Messire Antonio, dit Œil-de-lynx, dit Langue-de-velours, dit Brosse-toujours, dit Super-flic, dit le Vermot-fougueux, dit Longue-commak, dit Casse-plumard, dit Diabolic’man, dit Queue-d’airain, dit Cœur-en-fête, dit Crac-zyboum, dit la Minette enchantée, dit l’Homme-à-la-main-de-partout, Messire San-A., lui, il renifle quelque chose parce qu’il n’a pas un loukoum à la place du cervelet.

Et que fait-il, le très somptueux Santonio chéri ? Il dégage cette plaque de son trousseau, la tourne, retourne, palpe, sent, regarde, goûte. Il est aux tu sais quoi ? Aguets. Il sent le mystère. Il le voit. Il veut le percer. Ah ! le génial garçon. Mais d’où lui vient donc ce quelque chose qui fait de lui autre chose ? Il est né d’un homme et d’une femme, cependant ! Il mange, dort, boit, copule, défèque, transpire comme tout mammifère. Alors ? Hein, alors ?

— Sana ! appelle Bérurier.

— Quoi donc ?

— Notre mec est canné.

Je bondis.

— Merde, tu me l’as assaisonné !

— Pas du tout, c’est pas pou’ quéques chiquenaudes… Vise-le, il est violet. J’ai r’niflé sa bouche, ça pue l’amande amère. Y d’vait z’avoir un’ capsule de poison dans la margoule et y l’a croquée. Tu parles d’un coriace !

Martinet dit que tous ces morts, il en a rien à branler. Que, très bien, on va les enterrer dans le marécage puisqu’il est doté d’un outillage complet, mais, il en est sur son camping-car esquinté. Franchement, ce coup de hache, il le digère mal.

Béru ricane :

— Si on peut plus se fendre la gueule !

Et moi, j’ajoute :

— De toute manière, tu vas devoir l’abandonner, ton carrosse, mon pauvre Rouquin.

Quouha ! ! ! ! il bastogne.

— Ben, enfin, après cette équipée (je lui désigne les morts), tu vas devoir évacuer ce pays fissa, sinon tu risques des ennuis.

Alors là, il se fâche. Ennuis son cul ! Quand on est parvenu à apprendre le finnois, on reste en Finlande, merde ! Où il ira causer cette chierie de langue, sinon ? Bon, il va filer vers le nord. La Laponie, il se perdra dans les forêts de là-haut. Au cœur des froidures, parmi les hordes de rennes, de caribous, de loups et autres bestioles qui n’ont pas peur des degrés au-dessous de zéro.

Tout en décrivant son avenir surgelé, il se met à touiller dans la merdaille pour y enfouir les deux tordus. Bien fait pour eux ! D’ici qu’on les découvre…

Pendant qu’il s’active, assisté du Valeureux, je continue de caresser la plaque-porte-clés. Les idées naviguent dans ma tronche. Je me dis : voiture. Cette chignole exceptionnelle doit pouvoir me fournir la réponse. Ce n’est pas pour rien que cette plaque se trouvait à son tableau de bord. Alors je cherche. Cherche…

Cherche, cherche, cherche.

Cherche encore.

Et trouve !


Ça se fait à l’instant du renoncement. Pile quand, exténué par mes efforts mentaux, je décide de mouler. A preuve : j’ai déjà la plaquette in my pocket.

Mes potes ont inuhumé les deux terribles. On statue sur la conduite à adopter. Je décide que Martinet va nous haler jusqu’en terrain sec, ensuite, la bibise de l’adieu. Il s’en ira vers son nordique destin. Nous, nous rentrerons à Helsinki avec la Mercedes débarrassée de son pare-brise éclaté et on l’abandonnera dans un endroit discret. Puis : nach l’aéroport, vite fait dare-dare sur le gaz. On chopera le premier coucou, n’importe sa direction, l’essentiel étant de se tirer d’ici.

La police sera très intéressée par la découverte de la chignole. Ça va faire couler de l’encre sous le pont, assure le Gros, qui a des lettres, mais ce ne sont pas les siennes.

Pendant que Béru finit de briser la grande vitre de l’auto, je m’occupe de remettre les banquettes en position normale à l’arrière. Ouf ! Tu sais quoi ? Non, je te jure !

Le machin vient de ce que le dossier coince. Je contrôle, m’aperçois que c’est rapport à un cendrier dont le rabat rabat mal. Je l’ouvre en grand afin de le mieux refermer. Et j’avise une vitre au fond de la niche. Une vraie vitre, épaisse, d’une surface d’environ dix centimètres sur quatre. Le cendrier, quand tu tires sur son couvercle, se dégage légèrement de l’épaisseur de la porte. Tu m’accompagnes bien ? Pas trop de mal ? Trébuche pas de la pensarde, on arrive. Encore une grande enjambée et ça y sera. Moi, pas fou, que fais-je ? Eh bien j’introduis la plaque dans l’interstice. Ensuite j’enfonce l’ensemble du cendrier. Après quoi, je soulève le couvercle. Bravo, Santantonio ! Ça c’est de la gamberge ! Ah, merveille ! Voilà que le fond du cendrier s’est éclairé et que des caractères se détachent sur l’écran de verre. Ça forme des mots. C’est de l’anglais. Je lis :

« Solution X pour Arthur Rubinyol de Thoiry, France ; rabbin Moshé Inkerman de Varsovie ; Aldo Petrini industriel à Rome ; Joseph Smoulard, fonctionnaire à Sarcelles France. Urgence. »

Que peut être cette fameuse solution X ?

Deux tibias croisés sous une tête de mort forment un « X », non ?

Et le premier de la liste, Arthur Rubinyol est mort, non ?

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