Bérurier et Pinuche se tiennent dans l’antichambre du Vieux. Ils font la causette à Bernardin, l’huissier en uniforme de gardien of the peace, sans kibour. Un gars maniéré, aristocratiquement chauve, et qu’on soupçonne depuis lulure de pédérastie à la Grande Taule, étant donné ses manières et la façon dont il va regarder les petits jeunes gens dans les bars près des écoles. Toujours est-il que sa vie privée (en anglais private life) est sans anicroche. Bernardin vit seul et décemment. On ne l’a jamais surpris la main dans une braguette. L’uniforme des gardiens de la paix, tu le connais ? Il est sans imprévu. Ne comporte pas de fantaisie. Eh bien, celui de Bernardin, tout en étant absolument conforme, paraît différent. Et tu sais pourquoi ? Parce que le sien, il se le fait faire sur mesure par son cousin tailleur.
D’être dispensé de képi l’ennoblit. Rien de plus ridicule que celui de nos agents ! Ce tube noir à visière bien horizontale leur confère un aspect cocasse qui ôte à leur dignité. Mon impression est qu’il serait grand temps d’adapter l’uniforme des représentants de la loi aux temps nouveaux. La prochaine fois que je serai reçu à l’Elysée, je me promets d’en toucher deux mots au président.
Tout ça à propos de cette fausse pédale de Bernardin. Bérurier lui raconte sa vie domestique, combien il fait montre d’autorité avec sa Berthe, la nouvelle avanie de sa concierge qui le hait depuis si longtemps et qui, dernière machiavélique trouvaille, a vidé un peau de miel sur leur paillasson.
Pinaud somnole.
Oui, Pinuche ! Tu te rappelles qu’il avait disparu devant les bureaux de l’Aeroflot ? Eh bien on l’a récupéré, la Vieillasse, peu de temps après, dans des circonstances que je te relaterai en leur temps, quand ça me conviendra.
En me voyant survenir, le Gravos se dresse.
— Tonio, merde, enfin toi. Est-ce que t’as arrivé à temps pour ton client ?
— Hélas, il s’en est fallu d’une vingtaine de minutes.
— Moi, moinze encore.
— Raconte !