Il habite dans la banlieue d’Helsinki. Tu vois la fontaine, sur la place Tonhaaluüil ? Juste en face, il y a une petite rue bordée de maisonnettes en bois, avec des portions de jardinets. C’est au numéro 14 que demeure l’excellent Pietr Saälkonaar, notre pilote sauteur. Son délicieux pavillon a été baptisé Pluümtokuü, et un dessin délicatement peint sur la boîte aux lettres représente un oiseau stylisé dans le ciel bleu.
Martinet, le rouquin des bois, stoppe son campinge-car devant le pavillon.
— Terminus ! il nous annonce.
Il s’est fringué civilisé, c’est-à-dire qu’il a retrouvé un jean délavé, un T-shirt que ça représente une bouteille de Coca sur fond de palmeraie, et un blouson en toile de j’sais pas quoi, tellement hardeux et cradingue qu’un garagiste en voudrait pas pour torcher les jauges à huile.
Je pose ma main à serments sur l’épaule du bûcheron.
— Martinet, lui dis-je, il nous reste à te remercier du fond du cœur.
— Bé, quoi, on se quitte ? tonne l’étronceur.
— Ce qui nous reste à faire est délicat. Les choses pourraient mal tourner et impliquer des conséquences fâcheuses…
Il pète un grand coup sans s’excuser.
— Encore un qu’les All’mands auront pas, murmure machinalement Béru.
— Dites, les mecs, bougonne le géant rouge, fâcheux ou pas, j’en suis. Pour une fois qu’on peut se marrer.
Cher garçon de France perdu dans la réside arctique ! Comme sa vaillance me touche. Ah, merci qu’il soit à ce point fraternel et coopératif.
— Bien vrai ? je soupire.
— Un salopard pareil, si vous voulez je vous le fends en deux.
— Que nenni, mon ami. Pour commencer, nous allons procéder de la manière suivante : tu vas entrer seul et tu demanderas après lui. De deux choses l’une : il y est ou non. S’il n’y est pas, nous l’attendrons. S’il y est, tu lui diras que tu viens livrer un canapé offert en hommage à son héroïsme par la revue Dypaä Cekkoneri. Et tu lui demanderas son aide pour le décharger. Une fois de retour au véhicule, tu ouvriras la porte arrière et tu lui fileras une bonne bourrade pour le précipiter à l’intérieur où nous l’attendrons.
— Banco ! annonce Martinet.
Et il s’éloigne en gazouillant, car si une hirondelle ne fait pas le printemps, il arrive à un Martinet de l’imiter. Le Mastar et Bibi passons à l’arrière de la roulotte. Une vitre latérale nous permet de mater du côté de la maisonnette. On voit le grand balaise sonner à la lourde. Une mignonne jeune dame brune s’amène, un grand tablier blanc à motifs noirs serré à la taille. Ils parlementent. Elle se tourne alors vers l’intérieur. Notre fumelard de pilote surgit, en manches de chemise. Une limace bleue, avec des pattes sur les épaules et des poches à rabats. Mon pote Martinet y va de sa légende et ponctue en montrant sa calèche. Saälkonaar paraît tout joyce et sa petite dame aussi. De contentement, elle dénoue son tablier et fonce dans son logis, pour, probably, sortir la boutanche d’akvavit des grands jours.
Martinet et le pilote s’avancent vers la chignole.
— T’es paré pour la manœuvre, Gros ?
— Y a-t-il besoin d’demander ? articule le Mastar en caressant son poing droit de sa main gauche, laquelle est déjà en pleine mutation.
Mais nos préparatifs sont vains car le grand Ferré se charge de tout. L’autre n’a pas le temps de piger. A peine la porte est-elle ouverte qu’il se prend un phénoménal coup de badaboum sur le cigare. Il est soulevé de terre, jeté à nos pieds comme un slip dans une chambre d’hôtel de passe.
— On va se promener, je suppose ? demande le grand Bubûche.
— Yes, gars. Choisis un coinceteau peinard car la gonzesse de cézigue va grimper en mayonnaise et rameuter les mandarins finnois.
Impavide, Martinet va reprendre sa place au volant.
Il reste tant tellement inerte, le dénommé Saälkonaar, qu’au bout d’un moment, à force de guetter son réveil, assis de part et d’autre de sa carcasse, sur des sièges pliants, on finit par se demander si d’hasard il ne serait pas clamsé du parpaing reçu sur la coloquinte. Ces grosses bêtes, tel Martinet, elles connaissent pas leur force, comme disait ma grand-mère.
Notre anxiété grimpant, je me penche pour lui palper le poitrail. Tout va bien : son tic tac est régul.
Les hommes, quand tu les contemples d’en dessus, ils te semblent tout inaboutis, tout frileux et pas méchants. Ainsi, ce mec, m’étonnerait qu’il appartienne à la race des grands vilains. On a dû lui glisser la forte somme pour nous jouer ce vilain tour et il a accepté, peut-être tout couennement parce qu’il avait envie de changer de bagnole ou d’acheter un sac en croco à sa pétasse. Le voilà qui commence enfin à s’agiter avant de se servir de lui-même. Il talonne le plancher du campinge-car et gnagnafe du pif.
Puis, il ouvre ses vasistas.
De nous voir, Bérurier et moi, assis à son chevet, avec des airs d’en avoir trente et des sourires goguenards, ça l’électrise comme une queue de chat. Pour le coup, il se dresse sur un coude.
— Hello ! je lui lance, biscotte j’ai pu constater, au cours du voyage aller, qu’il exprimait l’anglais.
Et lui, pauvre merluche, tu sais pas ? Il répond « hello » d’un ton catastrophé.
La bagnole circule lentement, comme un bahut en maraude, Martinet ayant pris, depuis des années, l’habitude de se déplacer dans des chemins forestiers riches en ornières.
— Surprenant, hé ? fais-je à Saälkonaar.
— Oui, dit-il.
— Vous devez vous douter que nous sommes très mécontents ?
— Naturellement, que répond Saälkonaar.
— Vous avez appris que la petite est morte ?
Il baisse la tête.
— J’ai vu une moitié d’elle accrochée au faîte d’un arbre, poursuis-je, mais je serais incapable de vous préciser s’il s’agissait de sa moitié gauche ou bien de sa moitié droite…
— Ça n’a pas d’importance, balbutie le pilote.
— On a dû vous donner beaucoup de fric, non ?
— Non.
— Quoi donc, en ce cas ?
— Ma femme et ma fille.
— « Ils » les avaient kidnappées ?
— Non.
— Alors ?
— Il y avait un énorme pain de plastique dans le canapé du salon.
— Oh, oui, je pige…
Il opine, satisfait de ma compréhension. Peut-être qu’il me berlure. Mais peut-être dit-il vrai ? Et moi, Santonio, l’as des ânes, le psychologue type, je crois qu’il ne ment pas.
— On ne sacrifie pas trois personnes et un hydravion pour conjurer une menace. « Ils » n’auraient pas osé faire sauter leur truc, assuré-je.
— Peut-être que si.
C’est à cause de ce peut-être que Chaglaate est décédée.
Bérurier, qui ne connaît en fait d’anglais que des mots épars tels que « Whisky, dearlinge ou bioutifoule » intervient.
— Hé, l’aminche, me fait-il, j’ai l’droit d’y causer, moi t’aussi !
— Mais tu ne parles pas l’anglais, Gros !
— Il aura qu’à apprendre l’franchecaille, c’est p’t-êt’ pas moi qui vas faire l’premier pas, non ?
Soucieux de commencer sans plus attendre l’éducation de notre homme, Alexandre-Benoît s’agenouille près de lui et lui annonce en lui caressant le visage :
— Tizisse your gueule ! Volume ripite aftère ma pomme, mec : gueule !
Une baffe amène l’autre à composition (française).
— Guiole ! il murmure.
— Au poil, complimente Béru.
Il brandit son fabuleux poing de chourineur.
— Tizisse maille poing. Ripite un peu qu’on voye : poing !
— Pouïïng ! dit l’autre.
— Parfait, ça ira tout seul, prophétise le Gros. Vise un peu ce que je vais faire av’c ce poing et ta gueule !
Le coup part. Le nez du pilote ressemble illico à une tomate qu’on avait mise à mûrir sur le rebord d’une fenêtre située au cinquième étage au-dessus de l’entresol et qui a chu.
— Tizisse un uppercut, fait-il. Ripite, allez, ripite bien : uppercut. Uppercut, bordel, ou j’t’massac.
— Uppercut ! dit Saälkonaar en reniflant son sang.
— Dix sur dix, bonhomme, jubile Bérurier, tu voyes bien qu’ t’es doué pour l’français !