Un qui fulmine, invective et malédictionne tous azimuts, c’est le gardien à la barbe floconneuse. Il admet pas qu’on farfouille dans une synagogue, cézigue. D’autant que les matuches se sont refusés à coiffer la calotte pour pénétrer dans les lieux saints. Les tarbouis, d’accord, ils les ont posés ; c’est dans leurs mœurs. Mais se filer ce zinzin de soie sale sur la touffe, fume !
Ils font leur boulot avec d’autant plus d’application que ça fait chier le vieil angora. Le fameux livre saint qui remonte à j’ sais plus quel siècle, ils te le manipulent comme un annuaire de téléphone dans une cabine. C’est le tout grand sacrilège, l’horreur putréfactée. En pure perte, car ils ne dégauchissent rien.
Alors, bibi qu’a toujours de la gamberge à revendre, se met à se demander quelque chose.
Tout à l’heure, un gonzier s’est proposé pour alerter les poulets. Et il les a alertés. Il est parti avec sa grosse mégère et son môme chiasseux. Faudrait peut-être voir de ce côté-là, tu ne crois pas ?
Je demande son blaze. Comme prévu, il a un nom polak, puisqu’il s’appelle Igor Burnanski. Il est arrivé d’hier avec les siens. Sa tire était immatriculée en Tunisie, preuve qu’il l’a louée sur place. Je me rappelle qu’en l’apercevant j’ai eu une espèce d’impression floue. Quelle sorte d’impression ? Pas facile à préciser. Sa vilaine cicatrice au cou, ses lunettes d’or… Attends, je crois piger. Ça venait d’un anachronisme flagrant. Ce bonhomme ne correspondait pas aux deux autres membres de sa famille. Il n’avait pas la gueule à se trimbaler une bourgeoise comme sa madame, non plus qu’un mouflet du genre crevard hébété, comme celui qui flouzait dans son bénouze. Et je songe que, pour un tueur qui souhaite passer inaperçu, rien ne vaut un déguisement de père tranquille. Qui songerait à se méfier d’un paisible pèlerin affligé d’une grosse vachasse d’épouse et d’un gamin au sphincter anal déconnecté ? P’t-être que je m’envole… Mais peut-être que pas.
Je bombe jusqu’à l’aéroport de Djerba-Melita, écrasé de chaleur, comme ils disent dans les grands reportages sur des bleds où le mahomed chiale pas les calories. La route qui y conduit traverse d’humbles bourgades blanches. Ici c’est d’un autre blanc qu’à La Ghriba. D’un blanc moins blanc, tirant sur le grisâtre comme le pelage des bourricots ; seules les taches rouges des chéchias mettent une note allègre dans cette mornité. Les gonziers, enveloppés de leurs blouses grises, flottantes, sont assis dans les pans d’ombre contre les masures. Des guirlandes d’ampoules multicolores enjoyeusent les mosquées, malgré qu’elles soient éteintes. Les palmiers immobiles semblent appartenir à un décor. Ils ne font pas vrais, tant leurs feuilles sont grises, et gris leurs troncs d’ananas.
Le flic francophone qui m’escorte fonce au service de police. Je l’ai bien affranchi en cours de route et il sait ce qu’il a à demander. Des types terrorisés par ses aboiements farfouillent dans des piles de cartes remplies par les étrangers en partance. Oui : Igor Burnanski y figure. Sa dame aussi : Maria Burnanski, née Craspek, de même que son bédoleur, l’aimable Stanislas. Donc, l’Antonio a vu juste.
Le trio a pris, voici une plombe, l’avion pour Varsovie.
— Qu’est-ce qu’on peut faire ? demande mon homologue.
— Toi, rien, lui dis-je, puisque c’est le ramadan, mais moi je vais aller boire une citronnade bien glacée avec un peu de gin dedans pour faire plus gai.
En fin d’après-midi, je biche le vol pour Marseille. Une fois dans la cité phocéenne, comme dit Alphonse Daudet, je me démerdaverai pour gagner Paris.
Mon zinc décolle dans du bleu. Je découvre un espace de sable poivre et sel avec les palmeraies figées. Des puits qui ressemblent à des grands seaux de pierre à anse de bois. Il y a la forteresse du port, d’un jaune vif sous le soleil. Quelques rafiots exténués. La mer…
Bon, je te disais donc, l’Aeroflot…