Très belle ville vraiment, et qui est absolument sans rapport avec Abidjan, quoi qu’en prétende le guide Hékar. Beaucoup de buildings en verre et métal. Moins de circulation qu’à Paris. Un ciel d’une limpidité telle que tu as l’impression de posséder une bonne vue, voilà pour l’essentiel. Et qu’est-ce que tu voudrais que je te dise d’autre, pauvre enflé ? T’as qu’à y aller !
Après avoir dégusté un excellent repas à bord : saumon cru salé, pâté carélien, alcool de Chplaätz, nous avons débarqué fraise et dix spots en terre finnoise.
Un taxi Mercedes diesel, piloté par un Finlandais moins blondasse que sur les prospectus mais beaucoup plus con, nous a conduits à la rédaction du Dypaä Cekkoneri. Ça se trouve en plein centre de la ville, juste à gauche quand tu regardes la statue qui représente un hareng de la Baltique.
Locaux ultra-modernes. Très clairs. Aux murs de la réception, des motifs de décoration aux couleurs franches. Tu te croirais jamais dans un baveux, quand tu vois nos rédactions jonchées, qui sentent la caserne, l’encre fraîche et le reliquat — de — sandwich — oublié — sous — un — meuble — dans — une — pièce — dont — on — ne — fait — pas — le — ménage. Poum !
Ici, c’est tellement net, neuf, fourbi, désodorisé, déshumanisé que tu ne renifles seulement pas l’odeur de l’encre, à croire que leur canard, ils l’impriment avec du « Prompto Citron ».
Une extraorformidasublime gonzesse est aux « Renseignements », dans une robe bleue d’officière qui lui met en transe la blondeur véry nordique. La plaque posée devant sa poitrine dit comme ça que ce joyau scandinave s’appelle Chaglaate Paävu Paâpry. Très bien, j’ai rien contre, chacun se nomme comme il peut, et merde pour çui qui le lira !
Alors que je te dise : moi je ne parle pas le finnois, pas plus que le finlandais, ni seulement le suédois, manquerait plus que ça ! La gonzesse, je lui cause en anglais, et ça boume ; heureusement. Ces pauvres mecs, tout là-haut, s’ils ne causaient que leur langue, ils en seraient encore aux cavernes, sans chauffage central, gaz, ni électricité.
J’explique à la superbissime Chaglaate que je voudrais compulser la collection de l’année 1967. Elle répond que « comment-donc-si-vous-voulez-bien-me-suivre » et nous emporte dans un ascenseur pour commencer, et je commence par lui faire à dix centimètres, un triple mff mff mff avec les lèvres, comme quand tu regardes le président Giscard dire madame, mademoiselle, monsieur et que le son de ta téloche est en panne. Elle, ça la fait sourire rose, ce qu’apercevant, j’enhardis à prendre sa main et à me la plaquer contre la bénouche pour lui prouver comme je respire régulièrement quand je ne tousse pas.
Elle est toute captivée.
Après quoi, on sort de l’ascenseur. Ça y est, on est tout en haut du buldinge. Y a des baies vitrées sur le panorama d’Helsinki et là, franchement, je comprends encore moins que le guide Hékar prétende que ça ressemble à Abidjan. Le centre du vaste local est occupé par un bloc de casiers métalliques répertoriés. C’est un bonheur que de chercher quelque chose dans un milieu aussi parfaitement organisé.
Année 1967.
Je vole du doigt vers le mois d’octobre.
Première semaine, c’est le numéro 823.
Je cramponne dardissimo la seconde. Poum !
La couvrante de l’hebdo représente la culture du coton au nord de la Laponie. Tu vois papa, maman, la Laponne et moi en train d’écotonner gaiement, tandis qu’un petit enfant leur joue de la flûte pour les faire se remuer le cul, ces abrutis !
Mon battant plipate un peu. Vais-je enfin avoir l’explication ?
Méthodiquement, je tourne les pages, avec la main gauche, ma droite se trouvant sous la jupe de Chaglaate. Mais je vais bientôt changer, ça ira mieux (en ce qui concerne le feuilletage). Tu verrais le finnois, comme c’est écrit, madoué ! Cette marotte de doubler les « a » de fourrer des trémas à tort et travers, merde ! C’est ben pour dire de se singulariser à bon marché ! Y en a, je te jure, ils sont pas simples. On vit un monde que tout est faussé. Je te prends la culture littéraire de nos mouflets, par exemple. C’est à treize ou quatorze piges qu’on leur fait suer la bite avec Ronsard, du Bellay, Marot et toutim, que ces pauvres mômes te les prennent en vilaine horreur, les gonziers à fraise, avec leurs français à la Jeanne d’Arc, si coton à se farcir. Puis, au fur et mesure qu’ils grandissent, ils passent au dix-septième siècle, puis au dix-huitième, dix-neuvième. En fin de secondaire, ayant l’esprit mûr, ils achèvent brillamment le circuit avec Proust et San-Antonio. Bordel divin, c’est par l’autre bout qu’il faudrait commencer ! Les faire attaquer la littérature qu’ils parlent, et remonter les âges pendant qu’ils grandissent et se familiarisent, non ? Note, je cause par honnêteté. Car en fin de compte qui est-ce qui bénéficie de ce système à la con ? Le Sana bien-aimé. Les petits mecs, Ronsard, tiens, smoke ! T’as qu’à explorer leurs cartiches, tu comprendras : « Tango chinetoque », « Si Queue-d’âne m’était conté », « Sucette Boulevard », v’là ce que tu y trouveras, bien placardé. Sont pas fous, les gamins !
« …
« Et Semblançay fut si ferme vieillard.
« Que l’on cuidait, pour vrai, qu’il menait pendre
« A Montfaucon le lieutenant Maillart.
Faut se l’ingurgiter, le Marot ! Marot quoi ? Maroquinier ! Enquiquigneur !
Beau, mais triste. On continue de les instruire à la truelle, nos mômes. On les crépit de savoir, sans leur tenir compte de la vie. Concluse, ils apprennent l’Histoire de France selon Bérurier, dans la bonne humeur, et au moins ils la retiennent puisque c’est de propos délibéré.
Et moi, brave pomme, qui te bonnis tout ça au moment où je feuillette le № 824 de cet hebdo nordique qui rime avec merdique ! Je tourne, tourne, sans retapisser la photo tant espérée. Le gars Péloche a dû se gourer. Va-t-il falloir que je m’exténue le tempérament à potasser toute la collection ?
La môme Chaglaate trémousse du fion autour de ma main, comme une girouette sur son axe. Elle a fermé les châsses à demi et bredouille des machins pas discernables dans son patois polaire.
— Tu devrais mettre les adjas, Gros ! suggéré-je.
Il pige et ricane.
— Môssieur le commissaire va se payer un interlude av’c la fée des glaces ?
Pourtant, en homme qui sait l’existence, ses nécessités, ses misères, il s’éloigne pieusement.
Alors la souris, ça va être sa fête. Aux chandelles ! Romaines !
D’autant que, selon mes premières investigations, il semblerait que le collant n’a pas encore investi la région du Cap Nord.
Elle attendait que ça, la gentille. Le coït latin, y a bon ! Leurs julots, là-haut, tout ce qu’ils savent faire, c’est ramer sur les soixante-cinq mille lacs et scier du bois. Naples au baiser de feu, y en a pas connaître ! Ils sont chieurs de long, point à la ligne.
Cette nouvelle manière de scier les bûches, les reins sur la collection de l’année 1967, ses gambettes phénoménales passées sous mes bras, ses mains nouées derrière mon cou, elle ignorait, miss Septentrion. Au plus fort de la rage tringlière, je l’arrache à son support pour la promener un peu dans le local. Lui montrer Helsinki Céteska par la baie bête qui monte. Cette manière de bavouiller, ça s’appelle justement le pèlerinage aux sources. Naturellement faut pas avoir les guibolles en flanelle, ni le braque en nougatine pour l’accomplir de A jusqu’à Q. Elle en perd ses moyens, Chaglaate. Elle ébroue du museau en faisant comme ça : « Ah raä. Raä. Raä ! » Les yeux en arrière toute, ses crins fouettant son visage, mon braque fouettant son écrin. Oh ! dis donc, pour une frangine élevée sur une banquise à l’esquimau glacé, tu la verrais s’enflammer ! Le vrai délire. Je la termine au tourbillon cosaque, pas trop la dépayser.
Puis vais la reposer de la pointe du scoubidoche sur le № 824 de son canard de chiasse.
Elle s’efforce de respirer. Cherche des yeux sa gentille culotte que j’ai envoyée chez Plume dans ma frénésie, ne la trouve pas, y renonce.
Le plus cocasse, c’est qu’on n’a pas même échangé un baiser. Rien. La big lonche animale. L’état d’urgence. De résurgence.
Elle saute au sol en riant. Me baragouine mes trémas de quoi refaire tous les passages cloutés de Paname.
Et puis elle s’aperçoit qu’on a chiffonné la page 89 de la revue en brossant. Du couché, fallait y aller, non ? Pas lésiner sur la frottaille.
Du plat de la main, elle lisse le désastre. Et je regarde s’activer sa jolie dextre. Délicat spectacle. Cette gonzesse, un qui aurait du temps et qui saurait vingt mots de finnois pour les périodes de transe, il en ferait un chef-d’œuvre du tagada.
Mais ma pensée la quitte. Je viens de découvrir qu’il n’existe pas de page 88 à cet exemplaire du Dypaä Cekkoneri. Par voie de conséquence (et de fait) la page 87 a disparu aussi, rien n’étant plus malaisé que d’arracher une page 88 sans toucher à la page 87.
Essaie, et si tu y parviens, je te rachète les deux séparément.
Je prie la môme de constater la mutilation dont a souffert cet exemplaire du № 824. En écartant bien la revue on s’aperçoit que la page disparue fut découpée avec une lame de rasoir. Ça la contriste, la petite Chaglaate, les Finlandais, à l’instar des Finnois, étant gens d’ordre et de rangement. Ça traîne du sang suédois plein ses veines, ces mammifères-là. Un poil de cul qui dépasse un autre et ils en font une maladie.
— Je suppose, lui dis-je, qu’il existe d’autres exemplaires de ce numéro ?
— Bien entendu, me répond-elle, malgré qu’elle n’ait plus de culotte. Allons à la réserve.
Cette fois, c’est dans les sous-sols qu’elle m’entraîne. Bérurier nous rejoint à l’ascenseur. Quelque chose me surprend dans sa mise. Il est porteur d’une grosse pochette qu’il n’avait pas lorsque nous sommes arrivés. Une pochette blanche, avec une affriolante dentelle à la taille et à l’emplacement des cuisses.