La Ricaine s’appelle j’sais pas comment : Tina, Tania, Dyana, un truc à la gomme de ce tonneau. Je lui ai fait répéter à deux reprises sans piger, vu qu’elle me répond à travers trois cents grammes de chewing-gum à la chlorophylle. Et puis les Ricains, tu remarqueras, ont horreur de répéter. Pour eux ça représente une déperdition de temps et d’énergie. Une fois à la rigueur, mais alors, ils articulent plus du tout. C’est des drôles de gus. Plus ça va, plus ils me semblent appartenir à une autre planète. Ils auront toujours un certain quelque chose de pas terminé. Une façon d’être d’ailleurs, de se comporter autrement que nous. Moi, ils me font chier. D’accord, ils viennent nous sauver la mise quand on se lance dans des guerres au-dessus de nos moyens, et je les en remercie grandement. Mais je suis pas client. C’est viscéral. Tiens, si je te disais que je leur préfère les Anglais, ces cons, malgré tout leur égoïsme et cette manière irritante de causer sur la pointe des dents en laissant les sentiments au vestiaire du club.
Mais la mère Dyana (tiens, je lui cloque d’autor ce blaze) tout ce qui m’intéresse, c’est son cul quinquagénaire, point à la ligne. J’ai la trique. Les voyages, ça porte aux sens. Je ne pense plus qu’à l’enfourner grand veneur, la belle. Lui donner un échantillonnage du Tout-Paris. Elle m’a expliqué qu’elle continue sur Copenhague. Elseneur, c’est son rêve tout beau. Hamlet au lard ! Depuis toujours… Sa correspondance est pour dans trois plombinettes. Alors je lui explique qu’autour d’Orly y a de somptueux hôtels avec l’eau chaude à tous les étages et vue sur les pistes. Qu’on ferait bien de s’y « reposer » un couple d’heures. Reposer aussi, c’est un euphémisme. Les subtilités du langage comptent parmi les humbles joies du quotidien. Poupette, on va lui enregistrer ses samsonites ; et puis on frète un sapin pour le Chibrotel, dernière-née des réalisations. Elle est partante, sans fausse confusion. Elle est en manque de bite, Mistress. En Tunisie, elle a pas trop osé se faire engouffrer par les Arbis. Ils ont la phobie des maladies, en plus du reste, les Amerloques. Alors, bon, on exécute my programme et nous voilà à la réception marbreuse (y en a qui disent marmoréenne, mais c’est moins explicite) du Chibrotel. Je leur déclare que c’est juste pour un moment de repos, qu’on vient de très loin, qu’on a dû voyager debout parce qu’il y avait trop de peuple dans le zinc, tout ça, le blabla habituel, par respect humain, pas avoir trop l’air de ce qu’on est : deux êtres surchauffés de l’entre-deux.
Le préposé s’en branloche que tu peux pas savoir l’à quel point. Et nous déboulons dans une chambre sobre mais confortable, pourvue d’un frigo. Une demie de champ met de la maïzéna dans nos relations. C’est la première fois que je la vois vraiment de face, la Dyana. Dans le Boeinge elle présentait son bon profil. Ici, c’est pas pareil. Elle accuse son pedigree, Mémère ! Ses années de nourrice ont compté double, pardon ! Un peu fanaga du cou, avec des amorces de bajoues qui la font un brin ressembler à un hamster. Ses hanches sont larges. J’espère qu’elle renifle pas trop, la vioque. Moi, tu connais ma phobie des odeurs. Je suis un hyper-nasal. Je capte les senteurs les plus ténues. Je vois des fois, en société, je m’arrête pile de jacter. Les gens me regardent, m’attendent les explications. Et je demande exa-brutal : « Qui s’est oint de baume du Tigre ? » Ou bien un pote de rencontre, je luis fais : « Tu viens de te farcir une gonzesse qui se parfume au « Foumenplein », de Craven. » L’olfactif, je le prône toujours. Tous mes polars, relis-les bien. L’importance du nez dans ma prose. Tout a une odeur : une feuille de papier blanc, une capote anglaise neuve, un ticket de métro, un panneau indicateur, le vent qui passe.
Alors la Dyana, ma terreur avant de lui croucrougner le Nestor, c’est qu’elle traînasse déjà des effluves de vieillerie. Y en a que ça biche de bonne heure. Et puis d’autres qui, à soixante-cinq piges, ont encore la fraîcheur grand large.
— Faites-moi plaisir, mettez vos lunettes, dearlinge ! je l’implore.
Elle s’étonne mais ajuste ses besicles en strass. Ça lui donne l’air plus ricain encore.
— Otez votre jupe, douce amie !
Elle glousse que je suis un vicieux. Le rêve ! La dame qui se laisse grimper, comprends-la : elle angoisse de tomber sur un peinardos, le triqueur fonctionnel : tac tac tac, m’sieur Jeannot Lapin, et good-bye ! La vie est à craquer de gonziers qui se la secouent rapide, remballent leur trousse et se cassent, tout fiérots, en se prenant pour des Casanova. Bien certains que des comme eux faut se lever matin pour en trouver ; ces connards, bouillaveurs de culs, indigestes et saumâtres Mais je vois moi, là, pour Mme Dyana, je démarre idéal ; le côté : « mettez vos lunettes et posez votre jupe » !
Elle décarpille presto. Pourvu que, dans la foulée, elle se foute pas trop vite en costar d’Eve ! Chez une daronne de ce carat, ça ne pardonne pas. Elle t’ôte le plaisir.
— Comme ça, polisson ? elle roucoule.
Bien entendu, elle porte des merderies de collants. Ma trogne déconfite l’inquiète :
— Je ne suis pas à votre goût ?
Pauvre chère âme !
— Posez-moi ça aussi, ma petite grand-mère, je lui décrète, mi en anglais, et grand-mère en français.
Et nous voilà dans le vif. C’est pas Byzance. Le bas-ventre fait des replis pas du tout stratégiques. La moulasse est dodue, la poilucherie éparse et ses cuisses ne peuvent concurrencer celles d’Alice Sapritch dans « La Vierge des Ténèbres ». Mais enfin, quoi, faut faire avec ce qu’on a ! comme dit Béru. Etant d’un tempérament lascif, elle dépiaute son corsage et parvient à faire basculer ses frères Karamazov par-dessus son soutien-loloche. Tableau parfait. Ça tourne au clandé de province.
Je me dis que bon, allez, du moment que je suis sur les lieux du tournage, c’est pas la peine de tergiverser. Seulement, pile au moment que je lui pose la main sur le joufflu, le biniou carillonne. De quoi se filer en rogne, t’admettras. Ces gueux de la réception qui veulent savoir à quelle heure je libérerai les lieux, probable.
Point du tout.
— Pardon, monsieur, êtes-vous le commissaire San-Antonio ?
— Heu… en effet.
Pour être éberlué, je suis.
— Quelqu’un demande à vous parler. Ne quittez pas.
Ça grabote un peu, puis le Vieux :
— J’espère que vous n’êtes pas encore déshabillé, mon cher, vous seriez gentil de descendre, je vous attends dans le hall.
Il raccroche.
Le Tondu, en bas ! Au Chibrotel !
— Rien de fâcheux ? questionne Poupette qui, déjà, a mis un pied sur l’accoudoir de mon fauteuil et se gnagnate le bigorneau pour se créer un climat.
Je me retiens le vertige. L’appel des profondeurs, si tu t’en gaffes pas, tu peux culbuter dans le vide. Elle ressemble plus au gouffre de Padirac qu’à une tirelire, la chatoune à Médème, mais question fraîcheur, impec ! C’est de l’arrivage de la nuit, par wagon frigorifique. Dommage qu’il y ait cette fâcheuse interruption. Elle m’a foutu un mât de misaine en duralumin, la Ricaine. Le sensoriel, t’ignores pas combien il se montre impétueux, parfois. Si je m’écoutais, malgré l’injonction du Dabe, je la ramonerais tout debout, la madone des Boeinges. Mais ce serait mutiler un instant qui peut être de quality.
— Il faut que je descende jusqu’à la réception, ma Douce. Entretenez-vous les feux de la Saint-Jean pendant que je m’y rends et après je serai pleinement à vous.
Manière de la rassurer, je lui fais palper Narcisse à travers mon bénoche, pas qu’elle croie à une mortifiante échappatoire. Elle constate que c’est du pleine main.
Je dépose un bisou entre ses loloches, en plein sur sa croix pectorale en diamants.
Pauvre Jésus, va !
Le Vieux est assis dans un fauteuil de cuir fauve. Fauve lui-même, il a les châsses qui lui sortent du présentoir et je crois bien, un début d’écume aux commissures.
Il me darde vilainement de son œil que t’arriverais même pas à faire fondre au chalumeau oxhydrique tellement il est glacé.
Va-t-il m’égorger ?
Je me présente à Sa Grandeur en m’efforçant de conserver un air dégagé.
— Quelle surprise, monsieur le directeur !
— Elle est pour moi, riposte le grand vilain chauve. Si je m’attendais à vous voir courir la gueuse en ce moment, avec tout ce qui nous a chu comme tuiles sur le coin de la figure. Alors vous débarquez et vous n’avez rien de plus pressé que de copuler avec une étrangère au lieu de vous précipiter dans mon bureau ! Et quelle partenaire, juste Dieu ! Même sur ce chapitre vous me décevez, mon cher ! Une bonne femme qui pourrait être votre mère ! Une dondon de bazar ! Mais qu’est-ce qui vous prend ? C’est par sadisme ou quoi ? San-Antonio, mon enfant, seriez-vous devenu un obsédé sexuel ? Ne me couveriez-vous pas quelque complexe oedipien ?
— Mais, monsieur le…
— Tatata, vous vous déréglez au plan sensoriel, voilà la vérité. Je veux que vous consultiez. Ça se soigne. Du train où vous allez, ce sera les radasses de la porte Saint-Martin avant longtemps, les pas regardables, grosses et voyouses, couvertes de vergetures, de cellulite, de mauvaise graisse. Oh ! qu’il me peine, ce petit ! Un garçon qui possédait tant de charme, faisait tant de glorieuses conquêtes : des filles pour couvertures de magazine. Et même des demoiselles de la noblesse, parfois ! Si, si, je sais tout, j’ai tout su. Et maintenant ça vient se taper une rancerie d’Outre-Atlantique. Une femme de marchand d’engrais du Nevada ! Une personne affolée par sa ménopause ! Quelle horreur ! Quelle déchéance ! Mais mon petit malheureux, avant d’en arriver là, on se paie des choses moins effroyables : des travelos, des chèvres du Tibet, des chaisières, son oncle ! Vous l’avez regardée, cette greluse, Antoine ? Avez-vous essayé de lui enserrer la taille ? Non, n’est-ce pas, car la chose est impossible : elle n’en a pas, c’est une meule de paille ; que dis-je ! de saindoux. Allons, suivez-moi.
— Mais, monsieur le…
— Non ! pas de mais. Oh ! la la, surtout pas ! Des « mais », quand on est pris en flagrant délit de déviation sexuelle, un commissaire ! Et par qui ? Son supérieur suprême ! Je rêve ? Des « mais » alors qu’il vous bande encore au nez pour une quincaillière de Chicago enlisée dans ses varices ! Pour une marchande de frites du Bovery ! Il est fou ! Venez, vous dis-je, cela urge !
— Je dois au moins prendre congé de cette dame, monsieur le…
— Prendre congé de ce machin difforme qui pue à vingt mètres le moisi et le parfum d’uniprix californiens !
— Laissez-moi au moins régler la chambre, monsieur le…
— Elle a les moyens de le faire ; elle dégouline de bijoux, de mauvais goût certes, mais de valeur. Cela lui apprendra à débaucher les jeunes gens !
Il m’a harponné le brandillon et fonce à fortes enjambées en direction de la porte automatique que t’as juste à foutre le pied sur le paillasson pour qu’elle s’ouvre.
Parvenu à cette lourde, je m’arrête sec, sur le point d’exploser.
— Votre attitude me déconcerte, monsieur le directeur. Admettez-vous qu’un Français puisse se comporter comme un butor avec une étrangère, fût-elle physiquement éloignée de vos canons de la beauté ?
Paf ! Chope ! Il prend en plein cœur. La rafale patriotarde. Son crâne devient bleu, ses yeux blancs, ses joues rouges et son souffle a soudain des accents de Marseillaise.
— Exact, mon petit. Pardon. La colère m’emportait. Filez m’attendre au bureau, je vais vous excuser auprès de cette aimable femme et je paierai la chambre.
— Ne serait-il pas mieux que je…
— Et merde, San-Antonio ! éclate le Tondu au point que j’en suis baba. Sachez que le troisième a été assassiné ! Nous n’avons pas de temps à perdre. Hâtez-vous, sacrebleu. Il s’agit de protéger le dernier coûte que coûte ! C’est un ordre. Si on me tuait le quatrième, San-Antonio, je serais contraint de donner ma démission après avoir exigé la vôtre ! Prenez ma Rolls, mon chauffeur va vous conduire ; moi je vous rejoindrai en taxi. Je fais ça pour la France, San-Antonio. Elle seule ! Unique ! Toujours. La Victoire, en chantant, nous ouvre la barrière…
Il fonce à rebrousse-hall en bramant le « Chant du Départ ». Je sais pourquoi dans le fond je demeure très attaché à cette vieille baderne : c’est quelqu’un de pas ordinaire.