Lorsque nous fûmes sortis du sélect établissement d’Alonzo, Bérurier et moi, nous nous concertâmes. Cette visite à l’ancien briseur de fourgons postaux venait de nous révéler qu’avant de solliciter mon aide, feu Arthur Rubinyol s’était livré à l’enquête à laquelle nous-mêmes procédions. Tout naturellement, il était allé questionner l’éditeur et celui-ci n’avait pas pu (ou pas voulu) lui fournir le renseignement souhaité à propos de la photo.
Je lus alors le chapitre consacré à la race balte. Il était rédigé à coups de trique par quelqu’un qui se souciait davantage de précision que de style, et qui l’avait signé Roger Léon.
Je me payai de culot et appelai les éditions Mazoche. Le cher vieux comptable bleu qui continuait d’empiler des chiffres et de les additionner pour obtenir des totaux fatalement débiteurs, me répondit. Il n’avait pas encore mis le nez à l’imprimerie et ignorait de ce fait qu’il se trouvait désormais sans patron. Je m’enquis de l’adresse de Roger Léon, le rédacteur du fameux additif ethnographique. Le comptable m’apprit qu’il s’agissait d’un professeur du Collège de France en retraite habitant Orvilliers, dans les Yvelines. Il avait écrit à Gontrand Mazoche pour proposer une réédition de l’atlas enrichie de ses textes, et Mazoche, auquel personne ne proposait plus rien, avait accepté à condition de n’avoir à verser aucun droit d’auteur.
Je dis « merci beaucoup » au comptable bleu et nous mîmes le cap sur Orvilliers, charmante localité où est inhumé le bon président Pompidou, que tu dois te rappeler, bien qu’il soit mort depuis des siècles.
Un facteur vélomotorisé nous indique la maisonnette du professeur Roger Léon.
Après avoir enjambé seize écuelles de Ronron, destinées je présume aux chats les plus déshérités de la commune, il m’est permis d’atteindre une chaînette actionnant une clochette. Et me voilà à carillonner un vibrant angélus.
Mais attends, je te causerai du professeur Roger Léon plus tard. Je préfère repartir en avant, me porter en tête du peloton pour rattraper l’histoire à l’endroit où le Vieux m’a littéralement arraché d’entre les cuisses quinquagénaires d’une dame américaine fort tentante. Surtout, lecteur très friand, ne renâcle pas devant cette fantaisie d’un auteur émérite qui te fit toujours passer par le droit chemin de l’ordre chronologique jusqu’à présent, mais qui, pour une fois, ou pour douze, nous verrons, se permet des folâtreries destinées à botter le cul de la belle histoire qu’il te narre avec un art tellement consommé qu’il ne va bientôt plus en rester.
Aimant mon métier, comme tu ne sauras jamais, je me permets de le mettre à l’épreuve, quitte à susciter ton mécontentement. Mais quoi de ton contentement, vieux cheval étique, cervelet spongieux ? T’entendre barrir du bout de ta trompe à conneries critiques ou compliments m’équivaut, m’équivoque. Tu es ma blessure grattée, furieusement inguérissable. Ma panne de bien-être. Si ce n’était toi ce serait donc ton frère, ou ton demi-frère, ou ta salope de sœur.
Allez, je pique de mes deux en avant !
Le Vieux m’ordonne de prendre sa vieille Rolls Royce pour foncer au bureau.