LXIX LES DERNIÈRES PAROLES DU BARON HUBERT

Jeanne Mareil, après avoir donné ses derniers ordres à Tricot et pris le dispositif de combat qu’on a vu, s’était mise en route vers la rive gauche.


Elle marcha sur l’hôtel d’Anguerrand. Son cœur ne battait pas. Une formidable résolution pétrifiait ses traits durs. Un sculpteur comme Rodin n’eût pas voulu d’autre modèle pour figurer la haine en marche vers le crime.


Lorsqu’elle atteignit le grand portail, il y eut pourtant sur cette morne physionomie un éclair de joie terrible: le portail était entr’ouvert. Hubert d’Anguerrand avait bien reçu le papier attaché à la balle de revolver que le petit garçon pâtissier avait jetée par-dessus le mur!


Elle se glissa à l’intérieur, et aussitôt la porte se referma…


Dans la cour de l’hôtel, La Veuve, tout de suite, avait vu la haute stature du baron d’Anguerrand. Tout de suite, elle l’avait reconnu. Et elle avait frémi de l’effort qu’elle faisait pour se contenir.


Une minute, ils demeurèrent silencieux, dans cette cour, dans cette nuit, pareils à des spectres qui cherchent à reconnaître leurs intentions. Hubert poussa un profond soupir, et dit douloureusement:


– Venez… je vous attendais…


Il monta lentement. La Veuve montait derrière lui, et toute son énergie, à ce moment, elle l’employait à dompter la joie furieuse qui se déchaînait en elle, à refréner la tentation violente qui lui venait de le frapper tout de suite. Mais Jeanne Mareil eût cru sa vengeance incomplète si elle n’avait parlé. Ainsi, aux heures les plus tragiques, la femme demeure femme; il faut qu’elle parle. Il faut que l’acte s’enveloppe de poésie, dût cette poésie compromettre l’acte. Il faut qu’elle décharge son cœur, dût-elle se mettre en péril…


Hubert entra dans ce cabinet, dont la fenêtre donnait sur la rue. Il tira les rideaux, afin qu’on ne vît pas la lumière du dehors. Il poussa un fauteuil près de la cheminée, et dit, toujours doucement:


– Asseyez-vous, Jeanne.


Elle obéit. Et lui-même s’assit en face d’elle.


Il allait parler… il allait dire… oui, cela lui semblait le seul mot possible à ce moment:


– Jeanne, je vous ai fait beaucoup de mal… mais peut-être me pardonnerez-vous si c’est moi qui vous ramène votre fille…


Il allait dire cela!


À ce moment, La Veuve parla. Et elle disait:


– Monsieur le baron, je suis venue pour vous donner des nouvelles de toute votre famille, les deux fils et la fille.


Hubert eut un long tressaillement.


Tout de suite, il comprit que des choses terribles allaient se passer.


Il se leva, et alla à un secrétaire qu’il ouvrit. La Veuve le regardait faire sans curiosité. Hubert, d’un tiroir, sortit la lettre qu’une nuit il avait écrite pour Jeanne Mareil – lettre dans laquelle il lui disait que Lise était la fille de Jeanne, et qu’il dotait cette enfant.


Il posa la lettre sur la cheminée, reprit sa place, et dit sourdement:


– Parlez, maintenant!…


Et La Veuve, d’une voix lente, comme si elle eût espéré que chaque mot s’enfoncerait dans le cœur d’Hubert comme un coup de couteau, parla sans colère ni haine apparente, avec une formidable tranquillité.


– Il est inutile, monsieur le baron d’Anguerrand, de vous rappeler ce que vous avez fait: ma mère morte en proférant contre vous et aussi contre moi une malédiction dont il est juste que nous portions le poids… mes enfants morts (Hubert tressaillit, son bras se leva vers la lettre, mais retomba pesamment); quant à moi, je n’en parle pas. Vous m’avez regardée longuement tout à l’heure, et vous avez vu ce que vous avez fait de moi. Vous m’avez poussée dans un enfer où ce qu’il pouvait y avoir de bon, de généreux, de vivant en moi, s’est brûlé lentement… Ce furent des années de supplice… Figurez-vous, monsieur le baron, que dans votre poitrine vivante, vous sentez mourir et se dessécher votre cœur… figurez-vous que, vivant vous portez en vous ce cœur mort, et vous aurez une idée des angoisses, des douleurs, des épouvantes que j’ai subies…


– Jeanne!… Jeanne!… balbutia Hubert livide, je puis d’un mot, d’un seul mot…


– Rien! interrompit La Veuve. Vous ne pouvez rien. Dieu même, Dieu auquel je crois, Dieu qui m’a tirée de l’enfer où vous m’avez jetée, qui m’a prise par la main et m’a mise sur votre route, Dieu serait impuissant à effacer le passé… Taisez-vous… Je suis ici pour dire ce qu’il est juste que vous entendiez… Et il est juste que ce soit moi et non une autre qui vous affirme ce qui se passe…


– Ce qui se passe? murmura le baron en essuyant son front ruisselant.


– Sans doute. Vous pensez bien que si je suis venue, pour cela… Le passé, c’est inutile! Laissons-le s’enfoncer dans les ombres qui conviennent à la honte, à la douleur et au crime! Mais le présent, Hubert, le présent! Voilà ce qu’il est utile que vous sachiez.


Elle se penchait à demi sur son fauteuil, le touchait presque, et le tenait sous son regard de flamme…


– J’avais une famille, reprit-elle. N’en parlons pas!… Mais, vous aussi, vous aviez deux fils et une fille… Je ne me trompe pas, n’est-ce pas? Les deux fils s’appelaient l’un Edmond, l’autre Gérard; la fille s’appelait Valentine ou Lise…


Une secousse ébranla le baron. Il fut sur le point de hurler:


– Lise! Lise! mais c’est ta fille, à toi!…


Mais déjà La Veuve en avait trop dit. Le baron voulait savoir, maintenant. Des pensées de terreur évoluaient lourdement dans son esprit. Et, malgré ses efforts, malgré ses remords, il sentait aussi une sorte de fureur se réveiller en lui. Les instincts de violence qui l’avaient dominé dans sa jeunesse reprenaient leur force.


– Procédons avec ordre, continua La Veuve dont le visage se convulsait, dont la voix devenait rauque. Edmond… Celui-là, le diable seul sait où il se trouve, et je le regrette… oh! pas pour vous, pour moi!… Passons!… Parlons de Gérard… Où est Gérard, monsieur le baron? Où est votre fils Gérard? C’est-à-dire votre fils Charlot, voleur, assassin, depuis longtemps traqué par la police? Vous ne savez pas?… Il est au château de Prospoder!… Mais il n’y est pas seul! À l’heure qu’il est, le chef de la Sûreté doit être arrivé là-bas! À l’heure qu’il est, les agents ont mis la main au collet de Charlot, c’est-à-dire de Gérard d’Anguerrand!… Qu’est-ce que cela signifie? Cela veut dire: votre illustre nom traîne à la cour d’assises! cela veut dire que j’espère vivre assez pour voir comment un d’Anguerrand sait mourir sous le couteau de la guillotine! Et tout cela, grâce à moi! Moi qui ai suivi pas à pas votre Gérard! Moi qui l’ai dénoncé! Moi qui ai lancé la police à Prospoder! Moi qui déshonore à jamais votre nom et le jette dans une boue sanglante! Voilà ce que j’ai fait!…


Stupide d’horreur, écrasé dans son fauteuil, le baron d’Anguerrand considérait avec une indicible épouvante La Veuve, qui s’était levée et se penchait sur lui.


Elle avait écarté son voile de son visage.


Elle apparaissait, fulgurante de haine satisfaite, comme la personnification de la Vengeance.


– Vous avez fait cela? bégaya le baron dans un effort inutile pour se redresser, car, déjà, il sentait sa tête s’embarrasser et s’alourdir sous les afflux de sang.


– J’ai fait bien mieux! rugit sourdement La Veuve. Le fils, c’est bien! Le fils à l’échafaud!… Mais la fille! la fille, Hubert! ta Valentine! ta Lise adorée!…


Un hurlement s’échappa des lèvres du baron. Il essaya de saisir la lettre destinée à Jeanne Mareil, et n’y put parvenir; l’apoplexie déjà le terrassait…


– Sais-tu ce que j’en ai fait? À l’heure qu’il est, oui, à cette heure bénie où je puis enfin te cracher ma haine au visage, un monstre, un escarpe de la plus vile espèce, un hideux bandit s’est emparé d’elle. Il la tient! il l’emporte! Elle se débat en vain dans la nuit! Je connais mon homme! je lui ai laissé le temps de rester deux heures avec elle!… Ce qu’il en fera, tu le devines! C’est ce que tu as voulu faire de moi!… Et quand elle sera souillée, à demi morte de honte et de terreur, un coup de couteau va l’achever!… Dans deux heures, les eaux du canal se refermeront sur le cadavre et la honte de Lise d’Anguerrand!… Et toi!… toi qui souffres comme un damné, toi qui râles, toi, tu vas mourir, sachant que, dans l’heure même où tu meurs, on arrête ton fils pour le mener à l’échafaud, on saisit ta fille pour la traîner au canal… Tiens, meurs, meurs de ma main, comme toute ta famille maudite!


L’éclair du poignard jeta une rapide lueur…


Le baron s’affaissa avec un long gémissement.


La lame avait pénétré tout entière dans la poitrine.


Pendant quelques instants, il se tordit dans le fauteuil.


La Veuve le regardait mourir avec une joie sauvage… Puis, jetant un coup d’œil sur la pendule, elle murmura:


– Allons…: tout est fini… À l’autre, maintenant! à la dernière!…


Elle fit un mouvement comme pour se diriger vers la porte… À ce moment, elle vit Hubert se redresser, livide, sanglant. Un phénomène naturel s’accomplissait chez le baron: l’apoplexie l’avait terrassé; le coup de poignard enrayait l’apoplexie… la saignée abondante dégageait son cerveau… Il parvenait à se soulever, et, dans l’effort suprême de l’agonie, il se cramponnait au bras de La Veuve.


La Veuve demeura immobile, sans crainte: elle voyait bien que le baron avait à peine quelques minutes de vie encore. Froidement, elle demanda:


– Que veux-tu, maintenant?…


– Ma fille!… râla Hubert. Ma fille… ce n’est… pas…Lise… Ma fille s’appelle… Marie Charmant… Et Lise…


– Eh bien, Lise?… rugit La Veuve, qui sentait son cerveau se détraquer, ses muscles se tordre d’épouvante et tout son être vivant sombrer dans la folie.


– Lise! râla Hubert. Tiens… Vois cette lettre… là… sur la cheminée… Lise… Lise… c’est… ta fille!


– Ma fille! hurla Jeanne Mareil.


Et ce fut un hurlement tel qu’il dut être entendu du dehors.


Le baron était tombé à la renverse, tout de son long; une seconde, il se débattit dans le spasme de la mort; puis Il se raidit dans l’immobilité suprême.


La Veuve était debout, jetant autour d’elle des regards insensés.


Brusquement, elle s’abattit à genoux, se pencha sur le cadavre, le secoua furieusement et gronda:


– C’est pour rire, dis! C’est une atroce vengeance! Lise? Lise? ma fille? J’aurais été la tourmenteuse et l’assassin de ma fille!… Parle! mais parle donc, misérable!… Il ne peut plus!… Il est mort!… Oh! que faire? Comment savoir?


Elle se relevait.


Elle écumait… D’un mouvement machinal de ses ongles, elle s’arrachait des lambeaux de peau sur le visage, un râle sifflait sur ses lèvres tuméfiées…


– Mon rêve! bégaya-t-elle, mon rêve! J’ai vu ma fille! et ma fille me conduisait à La Veuve! moi, La Veuve!…


Elle eut un éclat de rire atroce.


– C’est faux! rugit-elle. C’est faux!… Elle est morte!… Tu mens, Hubert!…


À ce moment, ses yeux tombèrent sur la lettre que le baron d’Anguerrand avait placée sur la cheminée.


D’un bond, elle y fut.


En quelques instants, elle l’eut ouverte et dévorée du regard.


Alors, ses mains tremblantes laissèrent échapper la lettre. Alors, avec des gémissements qui eussent attendri le bourreau, à petits pas, vacillante, chaque pas lui coûtant un effort énorme, elle se traîna vers la porte… et elle disait… ou plutôt elle pensait, car sa gorge ne pouvait laisser sortir que cet effroyable gémissement, elle pensait:


– J’arriverai à temps… Je te sauverai… Nous partirons ensemble… Lise! Lise ma fille! mon enfant chérie!… Ne pleure plus! voici ta mère qui vient!… Ta mère!…


À ce moment, la porte s’ouvrit violemment; la pièce fut envahie par les policiers.


Finot, montrant le cadavre d’Hubert d’Anguerrand, s’écria:


– Je vous le disais bien qu’on assassinait ici!…


Et M. Lambourne jetait cet ordre:


– Arrêtez cette femme!…


La Veuve voulut parler, expliquer, supplier… Elle sentit sa langue se paralyser et ses pensées se coaguler, pour ainsi dire. Elle crut qu’elle criait à Finot de courir, de voler, d’arrêter Biribi, de sauver Lise…


En réalité, elle n’articula que quelques sons confus et, presque aussitôt, elle s’abattit entre les bras des agents, sans connaissance…


Finot, déjà, faisait fouiller l’hôtel, certain qu’il allait y trouver Jean Nib.


Toutes recherches furent inutiles.


Alors, il revint dans le cabinet du baron et contempla un instant La Veuve en songeant:


– Celle-là est raide, tout de même. Je crois pincer Jean Nib, et c’est sur La Veuve que je mets la main… Pourvu qu’elle ne casse pas du sucre sur mon dos!… Bah! je trouverai toujours le moyen d’expliquer nos relations, dont il n’y a aucune trace, d’ailleurs. C’est égal… la voilà dans de beaux draps!… Assassinat… sans compter le reste; son compte est bon… Il fallait que ça finisse comme ça pour elle!


Il y eut une perquisition minutieuse.


Le corps du baron avait été transporté sur le lit de sa chambre à coucher, et un agent demeurait en permanence dans la chambre.


La Veuve, dans un état complet de prostration, avait été emmenée, ou plutôt portée au dehors et mise dans un taxi qui avait pris aussitôt le chemin du Dépôt.


Au point du jour, le Parquet faisait son entrée dans l’hôtel. Après les explications du commissaire Lambourne, le juge d’instruction apposait partout les scellés.


* * * * *


La Veuve avait été transportée au Dépôt, et mise aussitôt à l’infirmerie. On pensa d’abord que, semblable à beaucoup de criminelles, au moment de l’arrestation, elle simulait l’évanouissement de la crise de nerfs; les moyens ordinaires auxquels on eut recours pour l’obliger à renoncer à son jeu échouèrent successivement; alors on pensa que, vraiment évanouie, elle ne tarderait pas à revenir à elle. Au bout de trois heures, comme la syncope se prolongeait et que l’accusée pouvait mourir et échapper ainsi à la vindicte légale, on alla chercher le médecin du Dépôt, qui, étant arrivé vers cinq heures du matin, employa toutes les ressources de son art à ranimer la criminelle.


Il fut enfin assez heureux pour y parvenir.


La Veuve ouvrit les yeux.


Alors, bien qu’il fût cuirassé depuis longtemps contre le frisson de la douleur physique par son état de médecin, et contre celui de la douleur morale par son état spécial de médecin du Dépôt, bien qu’il eût vu et analysé toutes les formes que peut prendre la souffrance humaine, ce médecin ne put s’empêcher de frémir.


À ce moment, l’accusée, brisant enfin les derniers liens de la prostration, parvint, par un violent effort, à se soulever et à saisir le bras du médecin; en même temps, elle essaya d’articuler quelques mots.


– Vous voulez parler?… Mais, ma pauvre femme, je ne suis ni juge ni agent, moi… je suis le médecin… Allons, calmez-vous…


L’effort de La Veuve devint effrayant. Ses yeux s’exorbitèrent. Son visage ruissela de sueur.


Et enfin, distinctement, elle prononça ces mots qui étonnèrent le médecin, mais qui, pour elle, avaient un sens si effroyable:


– L’heure!… je veux savoir… l’heure!…


– Délire!… murmura le médecin. Voyons, tranquillisez-vous… qu’importe l’heure?…


– Oh.!… oh!… reprit-elle dans un gémissement si lugubre que l’homme en frémit jusqu’aux entrailles; l’heure!… pourvu qu’il… ne soit pas… quatre heures…


Quatre heures!


L’heure où Biribi, ne voyant pas revenir La Veuve, devait suriner la malheureuse Lise!…


Comme dans tous les phénomènes de syncope, La Veuve croyait n’avoir perdu connaissance que quelques minutes seulement.


Il était à ce moment six heures du matin!…


C’est-à-dire que depuis deux heures, les eaux du canal devaient être refermées sur le cadavre de Lise…


Le médecin, en présence de la question qu’il jugea bizarre, voulut naturellement abonder dans le même sens que lui indiquait le délire de la malheureuse.


Tirant sa montre, il répondit:


– Non, non… tranquillisez-vous…, il n’est pas quatre heures… à peine trois heures…


Ce fut un véritable hurlement de joie qui s’échappa des lèvres de La Veuve. Son visage, instantanément, prit une expression de bonheur qui épouvanta le médecin; les larmes fusèrent de ses yeux…


Elle joignît les mains avec force et prononça:


– Vite!… vite!… On la sauvera!…


– De quoi est-il question? demanda le médecin, qui comprit soudain que l’accusée avait toute sa présence d’esprit et qu’il s’agissait d’une révélation.


En même temps, il alla ouvrir la porte de la cellule, et fit entrer un agent de la Sûreté qui attendait là.


– Je crois que cette femme veut parler…


L’agent entra précipitamment, se pencha sur La Veuve, et grogna:


– Vous avez du nouveau à dire?… Faut-il appeler le chef?…


– Non, non! pas de temps à perdre… Courez!… Saint-Denis… Au delà de Saint-Denis, à l’endroit où la grande route coupe la ligne du Nord… là, à quatre heures un homme doit tuer!… tuer ma fille!… entendez-vous? Entends-tu, misérable! ma fille! ma fille!… Oh! le misérable! ma fille! ma fille!… Oh! le misérable il ne bouge pas!… il ne court pas!… Ma fille, te dis-je! Et il est déjà trois heures!…


– Bon! bon, j’y cours! répondit l’agent sur un signe du médecin.


– Oh! le brave homme d’agent!… On peut me tuer maintenant!… Toute ma fortune, je te la lègue! cria La Veuve qui retomba sur son lit, brisée, pleurant et criant, baisant éperdument les mains du médecin qu’elle avait saisies.


Elle bégayait parmi ses hoquets:


– Ils arriveront, dites?… La police, ça va vite, quand il faut… et puis Biribi attendra bien encore le quart d’heure de grâce!… Je le connais, Biribi… Au fond, il n’est pas méchant… je vous dis qu’il attendra… Oh! si j’étais là, moi!… Croyez-vous qu’on me laisserait aller?… Non! on ne me laisserait pas aller… Je connais la police, elle n’a pitié de rien… de rien!… Cet homme, cet agent…


Il n’ira pas assez vite! Et puis, Il faut qu’il emmène du monde… Je connais Biribi… c’est l’escarpe le plus hideux qu’on puisse voir… Oh! mon bon monsieur, par pitié, par grâce, obtenez qu’on me laisse aller… On me mettra le cabriolet, tout ce qu’on voudra, pour que je ne me sauve pas… Est-ce que vous ne pourriez pas prévenir le chef de la Sûreté, les juges, le préfet de police?… Oh! mais quand je vous dis que Biribi assassine ma fille!… et que c’est moi! moi, sa mère! moi qui le lui ai dit!…


Échevelée, furieuse, la mère sautait de son lit; deux femmes-gardiennes, un agent du Dépôt, le médecin unissaient leurs forces pour la contenir; elle, se ruant vers la porte que les gardiennes avaient ouverte pour entrer, parvenait à la franchir, à entrer dans les couloirs, et, comme plusieurs gardiens accouraient, brusquement La Veuve s’arrêta… un hurlement de bête égorgée fusa de sa gorge, puis un autre, si lugubre, si lamentable, puis un troisième qui ne fut qu’un vagissement… Elle tendit les bras vers un objet pendu à la muraille de la galerie, et tomba, comme assommée…


Alors, les gardiens, pâles et terrifiés, levèrent les yeux vers l’objet qui semblait avoir produit une si épouvantable impression sur l’accusée… et ils ne comprirent pas.


Cet objet, c’était un œil-de-bœuf, une de ces vulgaires horloges comme il y en a dans les galeries du Dépôt, section des femmes.


Et l’horloge marquait six heures et demie!…


* * * * *


– Emmenez cette femme dans la cellule capitonnée, dit le médecin qui, seul, comprit, et qui, entre ses dents, ajouta: À défaut de l’heure, le jour qu’il fait dans la galerie eût instruit cette malheureuse… Quel drame! quel affreux drame!


La Veuve fut enfermée dans la cellule du Dépôt réservée aux aliénés; car le médecin supposait qu’au réveil la crise se déchaînerait plus violente que jamais.

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