XLVI UN LOGIS POUR LISE

Dans l’auto-taxi où ils venaient de monter, Gérard et Lise demeuraient silencieux. Depuis la rue Saint-Vincent, c’est à peine s’ils avaient prononcé quelques mots.


Le taxi filait vers l’adresse qu’avait donnée Gérard. Il s’arrêta bientôt rue Roquépine. Gérard descendit, fit descendre Lise, et, avec elle, pénétra dans une maison bourgeoise de tranquille apparence.


À l’entresol, il entra, lorsqu’il eut sonné, dans une vaste antichambre décorée avec un goût somptueux.


– Prévenez votre maître que je veux lui parler à l’instant, dit-il au valet de chambre.


Une minute plus tard, il était introduit dans un petit salon, et le maître de céans, c’est-à-dire Max Pontaives, apparaissait, la main tendue, un peu étonné de la visite qu’on aurait dû lui annoncer, mais cachant cet étonnement sous un sourire.


– Comment! dit-il, vous n’êtes pas mort? Vous n’êtes pas à Tombouctou, ou plus loin encore? Oh! pardon! ajouta-t-il en s’inclinant vivement devant Lise.


– Mon cher monsieur, dit Gérard, voulez-vous accorder dix minutes d’hospitalité dans ce salon à mademoiselle, et dix minutes d’entretien à moi dans votre cabinet?


– Mademoiselle est chez elle, dit Max Pontaives de son ton le plus courtois, et si vous voulez me suivre…


– Un instant! Je voudrais, pendant notre entretien, être sur que personne n’entrera chez vous…


– Justin! appela Pontaives.


Le valet de chambre reparut.


– Jusqu’à nouvel ordre, lui fut-il ordonné, n’ouvrir à personne.


Pontaives alluma une cigarette, poussa devant Gérard une table roulante qui supportait tout ce qu’il faut pour élaborer un cocktail, puis se jeta sur l’immense canapé qui occupait la profonde et vaste embrasure de la baie ouverte sur la rue. Il avait parfaitement remarqué que le baron d’Anguerrand était vêtu de bizarre façon et qu’il y avait sur son visage des traces de maquillage. Mais il était trop subtil Parisien pour s’étonner ouvertement de ces détails, et la présence de la jolie inconnue lui laissait entrevoir quelque aventure qu’il serait enchanté de connaître. Il attendit donc paisiblement que le baron s’expliquât.


– D’abord, fit Gérard, votre parole que vous ne m’avez pas vu, que vous n’avez pas vu… celle qui m’accompagne…


– Vous avez ma parole.


– Maintenant, Pontaives, je veux vous emprunter de l’argent…


– Combien? fit Max qui s’attendait à quelque gros emprunt motivé par il ne savait quelles causes. Car le baron d’Anguerrand était archimillionnaire au su et au vu de Tout-Paris.


– Une centaine de louis, dit Gérard.


Pontaives, cette fois, ne put maîtriser un tressaillement. Que s’était-il passé pour que le millionnaire baron eût besoin de deux mille francs, alors qu’il ne sortait jamais sans une grosse somme sur lui?…


Il se souleva à demi, et dit:


– Tournez-vous… Allongez la main vers cette japonaiserie que vous voyez… Tournez la clef… là… vous y êtes… Prenez ce qu’il vous faut, mon cher.


Gérard avait obéi. Au fond d’un tiroir, il vit quelques billets de banque et de l’or… l’argent de poche du riche désœuvré. Il prit deux billets de mille francs et referma le meuble.


– Je vous rendrai cela demain soir, dit-il.


– Fi donc! Ne parlons pas de cette misère, ou vous allez me faire croire que vous m’en voulez de ce que je me suis trouvé votre témoin adverse au duel de ce pauvre de Perles… Vous savez qu’il est mort?


– Oui. J’ai su cela hier. Mais passons maintenant à une troisième question Que dit-on de moi… depuis…


– On a dit… attendez donc… que n’a-t-on pas dit?…que vous aviez filé pour voir le soleil de minuit au Groënland; vous savez que c’est la mode… et d’autres, que vous aviez armé un yacht pour faire le tour du monde…


– La vérité est plus simple, dit Gérard qui eut un deuxième soupir de soulagement: nous étions à Prospoder… un vieux manoir que nous avons là-bas, en Bretagne… une toquade de feu mon père…


– Eh bien! vous me voyez enchanté! J’ai été seul à le dire, et par conséquent le seul à avoir deviné la vérité…


– Pontaives, vous possédez à Neuilly une villa dont j’ai admiré la position et l’agencement. Loin du bruit, loin des importuns, des murs élevés, enfin tout ce qu’il faut pour assurer le mystère. Pontaives, voulez-vous me céder votre villa?


– Jamais! s’écria Pontaives en riant.


– Alors, louez-la moi? Il me la faut tout de suite!… Soyez généreux jusqu’au bout, Pontaives!


– Diable, mon cher!… Tout de suite? C’est que j’installe à Neuilly une jeune personne qui me tient fort au cœur et qui, elle aussi, veut absolument, et de toute nécessité, demeurer cachée… Il faut au moins deux jours pour lui installer un autre logis… et vous céder la villa.


– Vous êtes l’homme le plus généreux que je connaisse, dit Gérard avec une sombre émotion qui, du moins, était réelle. Vous faites là pour moi un sacrifice que bien peu de gens de notre monde eussent consenti. Mais, dites-moi, est-il réellement indiscret de vous demander qui est cette personne qui habite votre villa?…


– Magali est une cocotte, dit Pontaives; mais elle n’est pas ma maîtresse.


– Ah! elle s’appelle Magali?…


– Oui. Et tenez… elle a été la cause indirecte du duel de ce pauvre marquis avec mon ami Ségalens.


– Ce Ségalens est votre ami?


– Oui, dit gaiement Pontaives. Pour en revenir à Magali, je vous répète qu’elle n’est pas ma maîtresse. Je lui donne l’hospitalité dans ma villa, voilà tout. Mais je vous assure que j’ai rarement vu dans une femme plus de délicatesse de cœur. Elle est incapable d’une pensée basse. Et je suis bien heureux de rendre à la pauvre fille le service qu’elle m’a demandé en tremblant.


– Écoutez! fit brusquement Gérard. Votre Magali est-elle… comment dirais-je… enfin, y a-t-il dans ses manières ou son langage?…


– Quelque chose qui fasse soupçonner ce qu’elle est… ou ce qu’elle a été?… Elle a simplement les mœurs, les attitudes, le langage d’une honnête et brave petite ouvrière…


– Eh bien! en ce cas, j’ai trouvé la solution. Votre Magali et… la personne à laquelle je m’intéresse pourraient se partager la villa.


– Admirable! fit Pontaives en se levant.


– Eh bien! pourquoi n’irions-nous pas tout de suite à Neuilly?


– Partons!…


Gérard et Pontaives passèrent dans le petit salon où ils avaient laissé Lise.


– Chère enfant, dit Gérard en lui prenant la main, monsieur que voici et qui est un excellent, un bon ami à moi, vous offre l’hospitalité dans une maison où vous serez en parfaite sûreté…


Lise adressa un regard à Pontaives qui la saluait.


Mille pensées confuses passaient par sa tète.


Déjà Gérard l’entraînait…


Bientôt la limousine roula. La route se fit silencieusement. On arriva à la villa où avait eu lieu le duel. Pontaives introduisit Gérard et Lise dans un coquet petit salon, où il les pria de l’attendre.


Au bout d’une demi-heure d’absence, il revint en disant:


– C’est fait. Je vais vous montrer la partie de la villa qui sera honorée de votre séjour; et de la façon dont j’ai arrangé les choses, mademoiselle pourra prolonger ce séjour tout autant qu’il lui sera nécessaire ou simplement agréable…


La visite fut bientôt terminée. Trois pièces furent mises à la disposition de Lise et devaient constituer son appartement pendant son séjour, qui, assura Gérard, ne dépasserait pas un mois, peut-être quelques jours.


Lorsque Lise se fut retirée dans la chambre à coucher qui lui était destinée, Gérard, ayant fait signe à la jeune fille qu’il la rejoindrait bientôt, entraîna Max de Pontaives dans le petit salon et lui dit:


– Je n’oublierai jamais votre bonne grâce; quoi qu’il arrive, Pontaives, souvenez-vous que vous avez en moi un ami dès ce jour…


– Je n’ai jamais douté de votre amitié, baron. En eussé-je douté que la confiance que vous me témoignez de préférence à tant d’autres de vos amis me l’eût clairement prouvée.


– Non, Pontaives, non! Jusqu’à ce jour, je n’étais pas votre ami. Vous étiez pour moi une de mes nombreuses connaissances parisiennes… Aujourd’hui, je vous considère comme mon ami, et vous pouvez prendre note de ce que je vous dis là, pour l’avenir…


Gérard paraissait en proie à une émotion que Pontaives ne pouvait s’expliquer.


– Ce n’est pas tout, ajouta-t-il. Cette jeune fille, Pontaives, est réduite à se cacher… jusqu’à ce que j’aie arrangé certaines questions; ce sera l’affaire de quelques jours. Mais pendant ce temps, si court qu’il soit, j’ai besoin de toute ma liberté. Ni le jour, ni la nuit… (la nuit surtout, gronda-t-il en lui-même), je ne pourrai exercer autour de cette maison la surveillance nécessaire…


– Mon cher baron, dit Pontaives, je vous ai confié que Magali elle-même, pour des raisons que j’ignore, d’ailleurs, se trouve dans la même situation. J’ai donc dû prendre, hier, toutes les dispositions pour la mettre à l’abri. Mon ami Ségalens m’a promis de m’amener aujourd’hui un homme sûr, capable de protéger une femme contre toute tentative… d’enlèvement. Est-ce bien un enlèvement que vous redoutez?


– C’est cela même.


– C’est également ce que redoute Magali; du moins, c’est cela qu’elle m’a dit. Je vous avouerai que je n’étais pas autrement inquiet, les femmes ayant l’habitude d’exagérer… Je supposais donc que Magali était en parfaite sûreté ici. Mais puisque vous, vous dont je connais le sang-froid, craignez de semblables aventures, eh bien! je m’installe ici jusqu’à l’arrivée de l’homme que m’a promis Ségalens. La villa étant accaparée par nos deux prisonnières, ajouta-t-il en riant, je m’installerai dans ce petit pavillon que vous voyez là-bas, au bout du jardin. Et je vous assure que je monterai ma faction en conscience.


– Faisons le tour de la maison, voulez-vous?


– Soit!


Les deux hommes firent donc le tour du jardin. Ils rentrèrent dans la maison. Gérard s’assura de la solidité de la porte et des volets du rez-de-chaussée.


– Je n’ai rien à dire pour les volets, murmura-t-il, ils ont un système de fermeture qui défie toute effraction; mais la porte… la porte m’inquiète!


– Bon! fit Pontaives ébahi. Je défie bien le cambrioleur le plus avisé de l’ouvrir…


– Eh bien! enfermez-vous, dit Gérard, et vous allez voir…


Pontaives obéit, s’enferma dans le vestibule et poussa les verrous de sûreté. Gérard était resté dehors. Un quart d’heure se passa. Pontaives tenait ses yeux fixés sur la porte. Il souriait et songeait:


– Est-ce que la raison de ce brave baron serait quelque peu dérangée?…


Tout à coup, il tressaillit: il venait de voir la porte massive s’entr’ouvrir lentement, par poussées successives; Pontaives, stupéfait, n’entendait pas le moindre bruit; la porte cédait toujours, et, tout à coup, elle s’ouvrit, non pas toute grande, mais assez pour donner passage a Gérard qui apparut, ruisselant de sueur, la figure convulsée, avec une si étrange physionomie que Pontaives se sentit frémir d’un indéfinissable malaise.


– Mes compliments! fit-il en riant du bout des dents.

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