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1 h 13 du matin, heure locale. De petites loupiotes sur des gueules fatiguées. Les voyants Attachez votre ceinture, d'un rouge pâle, au-dessus des têtes immobiles.

Impatiente d'arriver enfin à destination, Lucie avait le front plaqué contre le hublot de l'A320. En contrebas, Albuquerque lui apparut comme un gigantesque nid de lumière au milieu d'un trou noir. Des filaments orangés - les Interstates - partaient du centre vers les quatre points cardinaux et fendaient l'obscurité, direction l'horizon. Le ciel était pur, chargé d'étoiles. La lune, assez basse et particulièrement rousse, laissait deviner des reliefs hachés, entourant la ville comme des gardiens attentifs. Juste avant l'atterrissage, Lucie aperçut les eaux noires d'un fleuve. Elle se rappela les vieux films de cow-boys qu'elle visionnait avec son père et se dit qu'il s'agissait probablement du fameux Río Grande.

Un air froid et sec la cueillit à la sortie de l'avion. D'après ce qu'avait raconté le commandant de bord, la température était de -5°C et la ville se situait, pour sa partie la plus basse, à 1490 mètres d'altitude.

Col remonté, gants enfilés, Lucie s'étira un bon coup, foula le sol américain et, passeport et commission rogatoire internationale en main, franchit sans trop de difficulté les contrôles de sécurité. Elle trouva facilement un taxi à la sortie de l'aéroport - il fallait néanmoins marcher une centaine de mètres jusqu'à la Albuquerque Cab Company - et demanda, en anglais, l'hôtel Holiday Inn Express, 12th Street North West. Le chauffeur, un vieux Blanc plutôt rustre avec un pantalon à bretelles, portait un tee-shirt sur lequel était inscrit : Chuck Norris can clap with one hand (Chuck Norris peut applaudir d'une seule main). Patriotique jusqu'à l'os vu la décoration intérieure du taxi, il s'engagea sur l'Interstate I40 quelques minutes plus tard.

Malgré l'obscurité, Lucie sentait les vibrations du grand Ouest américain : les voitures de tailles démesurées - Hummer, Pickup, Chevrolet, - les panneaux aux consonances magiques au-dessus de l'autoroute - Santa Fe, Las Cruces, Río Grande Boulevard, - les enseignes lumineuses des drive-thru ou des drive-in en tout genre. Quant à son hôtel, situé aux abords de la ville, il était moderne, avec des couleurs pourpres et roses comme celles des canyons. Une décoration discrète, dans l'entrée, et la présence d'un grand sapin soulignaient l'arrivée prochaine de Noël.

Lucie s'enregistra à l'accueil, son anglais lui revenait en tête et elle se débrouillait plutôt bien. Néanmoins, après les quatorze heures de vol, avec le décalage horaire dans les jambes, elle était éreintée. Elle fut soulagée seulement lorsqu'elle claqua la porte de sa chambre.

L'endroit était propre, neutre et fonctionnel. Après une douche rapide, elle envoya un SMS à Sharko.

« J'ai pris mes quartiers, tout s'est bien passé. J'espère que tout va bien de ton côté. Je t'aime. »

Elle régla le réveil de son téléphone - qui s'était automatiquement branché sur le réseau Western Wireless et mis à l'heure locale - et s'effondra sur son lit, les mains se caressant le ventre, les yeux fixés sur le ventilateur immobile.

Elle sourit. Un bébé était en elle, elle le sentait comme seule une mère peut sentir ces choses-là. Une petite graine qui, elle le souhaitait plus que tout au monde, se transformerait un jour en une fillette aux yeux bleus. Elle pensa à Sharko et s'imagina, encore, sa réaction à l'annonce de la nouvelle. Elle aimait songer à ce moment-là.

Elle éteignit. Tandis que le calme l'enveloppait, elle se rendit compte que ses oreilles bourdonnaient. Un ridicule sifflement, pareil à celui d'une Cocotte-Minute lointaine. Le bruit des réacteurs, l'altitude devaient jouer. Elle se tourna et se retourna sous ses draps, l'oreiller sur la tête, incapable de trouver une bonne position. Et plus elle se disait qu'il fallait absolument qu'elle dorme, moins elle y parvenait.

Elle sombra finalement aux alentours de 4 heures du matin, l'oreiller collé contre son ventre.

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